2 – L’accompagnement musical des meetings et autres rassemblements politiques

Durant les premières années d’existence du Front national, la plupart des manifestations politiques débutaient par des chants militaires ou des opéras (Le chœur des esclaves des Nabucco de VERDI, des opéras de WAGNER, etc…). Brigitte FRANCOIS-SAPPEY, dans son ouvrage sur L’Histoire de la musique en Europe, rappelle que WAGNER représentait pour Louis II de Bavière, « l’homme-dieu qui ne saurait pécher ni faillir  » 686. Il est symptomatique de constater que cette définition correspond parfaitement à la figure de la victime et à celle du défenseur du peuple que souhaite incarner le président du F.N.

De plus, la majorité des œuvres de WAGNER « proclame la toute puissance de l’Allemagne, ses vertus d’héroïsme, de sagesse, d’intelligence » 687, valeurs que le Front national s’approprie dans son rapport à la nation et au peuple. L’utilisation de musiques à forte connotation guerrière, canalise la foule en la contenant dans une ambiance chargée symboliquement. L’arrivée de Jean-Marie LE PEN au centre de la scène, apparaissant comme le prophète, ne fait qu’amplifier le sentiment d’appartenance à un groupe d’« élus » dont dépendent la défense et l’intégrité de la nation. Dans la précédente partie, nous avons rappelé que le travail de mise en scène du politique dépend aussi bien du discours que de la représentation du pouvoir. Ainsi, l’accompagnement musical des rassemblements du F.N. illustre à la fois la personnification des politiques culturelles et la mobilisation de valeurs susceptibles de provoquer l’émotion, tels que l’héroïsme et le patriotisme.

Marco GERVASONI, dans son article « Musique et socialisme en Italie (1880-1922) », développe l’idée selon laquelle « WAGNER crée une relation empathique entre la musique et le public, en arrivant à le transformer en une communauté » 688 . Nous estimons que l’accompagnement musical des rassemblements politiques du F.N. par des œuvres de WAGNER peut s’expliquer par cette analyse. En effet, les partisans de l’idéologie frontiste, convaincus de faire partie de ce que nous avons nommé une contre-société, sont rassemblés autour de l’identité politique paranoïaque du F.N. La théorie du complot qui se fonde sur la peur mobilise les membres de cette « contre-société » par l’émotion qu’elle suscite.

Les nombreuses critiques, notamment journalistiques, concernant l’utilisation d’œuvres de WAGNER, obligèrent le parti à modifier sa programmation par des œuvres moins connotées. En effet, l’intérêt que Adolf HITLER portât à la musique wagnérienne a entraîné une comparaison entre ce dernier et Jean-Marie LE PEN689. Aussi, depuis quelques années, les meetings du F.N. sont accompagnés par La Marseillaise de ROUGET DE LISLE, Le chœur des esclaves du Nabucco de VERDI, L’Hymne à la joie de BEETHOVEN, et les Carmina Burana de Carl OFF. Chant révolutionnaire, ou oeuvre évoquant le triomphe de la joie et de la fraternité sur le désespoir sous la forme d’un message humaniste et universel, participent ainsi à la stratégie communicationnelle du F.N. Ces œuvres participent à l’expression de l’imaginaire politique du F.N. au sens où l’appartenance au parti exprimerait une joie face au désespoir du déclin de la nation causé par les gouvernants.

Notes
686.

FRANCOIS-SAPPEY (1999), p.82

687.

Sur ce sujet : MERESSE, Gabriel, « Le racisme de Richard Wagner et d’Adolf Hitler », Revue politique et parlementaire, 10 janvier 1935, pp.70-78

688.

GERVASONI (2004), p.31

689.

Cf. Deuxième partie, N.D.B.P. n°241, p.114