A – La célébration du chef

La politique et l’esthétique ont toujours été articulées l’une à l’autre. Depuis qu’existe ce que l’on appelle les politiques culturelles, le Pouvoir s’est toujours attaché à se donner une image de lui-même dans la société. Or grâce à l’art, sous quelque forme que ce soit, le souverain, le président possède un outil de construction de son image. L’histoire en est un témoin privilégié. Combien de monuments ont été réalisés pour symboliser le pouvoir en place. Louis XIV a été l’un des souverains à penser la culture comme ce que l’on appellerait aujourd’hui, un outil de marketing politique. Il a compris que la culture et que les grands travaux, à l’image de Versailles, lui permettraient de bénéficier d’un « rayonnement intemporel ».

Historiquement et traditionnellement, l’image du chef a toujours été présente dans les mouvements d’extrême droite ce qui correspond à un idéal centré autour de l’ordre et de la hiérarchie. Le F.N., bien qu’il ne soit pas un parti de pouvoir, ne déroge pas à cette tradition mais en amplifie la figure par le caractère patriarcal de Jean-Marie LE PEN. La célébration du chef implique, selon nous, une valorisation aiguë de l’héroïsme, ce qui pour le F.N. correspond à la valorisation de l’enracinement de l’individu dans sa nation.

Le F.N. conçoit une représentation imaginaire du chef que nous qualifions de représentation fantasmatique du Jean-Marie LE PEN. « Avec la politique comme mission, c’est l’homme politique dans le rôle de prophète qui s’impose dans les discours de Jean-Marie Le Pen. Dans sa conception, l’homme politique n’est pas celui qui participe à la recherche et à la production collective des normes en fonction de projets de société qu’il explique et qu’il défend. […] Jean-Marie Le Pen est celui qui sait ce qui est juste, ce qui est vrai et qui annonce ce qui va arriver » 710 . Leader de sa famille politique mais aussi chef d’une famille dont les membres font partie du F.N.711, Jean-Marie LE PEN développe le mythe du fils et héros du peuple. Lors de son discours d’inauguration de la fête de Jeanne d’Arc de 1997, le président du F.N. s’est présenté de la sorte comme un « [p]etit-fils de paysan et de marins qui dans la première moitié du siècle travaillèrent, pour certains, comme mon grand-père Le Pen, dès l’âge de cinq ans, quinze heures par jour, sept jours par semaine, élevèrent des enfants sans allocations familiales ni espoir de retraite et allant de temps à autre mourir à la guerre, j’ai connu dès l’enfance la dureté de leur condition. […] ». Cette tirade se conclut ainsi : « je suis à même de comprendre ceux qui travaillent et leurs humbles mais lancinants problèmes » 712 . Le leader du F.N justifie ainsi sa légitimité à s’exprimer au nom du peuple et à diffuser des messages porteurs de vérité.

Nous avons rappelé dès l’introduction de cette thèse, que l’idéologie peut se définir comme l’imaginaire politique fondé sur des croyances partagées. Dans Le système totalitaire 713, Hannah ARENDT estime que l’idéologie crée une réalité fictive, et que la propagande des mouvements totalitaires se caractérise par son côté prophétique. Jean-Marie LE PEN, au nom de la défense de la « vérité », se présente comme celui qui « dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas » 714. Comme il se veut le chef, de ce qu’il nomme un « mouvement populaire », ses revendications et « vérités » se font toujours au nom du peuple français.

L’image du chef est tout aussi symbolique que les rites, manifestations, auxquels il se rattache par la « personnification du politique » qui selon Peter REICHEL, dans son ouvrage La Fascination du nazisme, vise à « réduire les structures politiques complexes et anonymes à un nom, une idole, un idéal personnel d’identification, puis transformer l’idole, par un processus héroïque et religieux, en une sorte de « Kaiser rédempteur » qui s’élevait au-dessus de la masse mais en était issu et était lié à elle « à la vie, à la mort » » 715 . Le F.N., depuis sa création, est dirigé par un seul et même homme politique : le F.N., c’est Jean-Marie LE PEN. De nombreux outils de communication du parti portent le nom de son leader (LE PEN TV, Radio LE PEN, La Lettre de Jean-Marie LE PEN, etc… 716) ce qui renforce la capacité de rassemblement autour de Jean-Marie LE PEN.

Ainsi, il s’agit, selon nous, d’une forme de personnification du politique dans la mesure où le ralliement à la « communauté » dépend autant du programme et des promesses émises que de l’existence même de son chef : rallier les rangs du parti implique que l’on accepte le primat accordé à la célébration de son chef717.

«La conception de la politique comme ordre moral fondé sur la loi naturelle permet à Jean-Marie Le Pen, établi comme prophète, de se démarquer de ses adversaires et de se donner une légitimité. La référence au peuple et à sa conception populiste l’autorise à se donner une légitimité populaire» 718 .

La représentation du chef contribue à expliquer la place de l’émotion dans le champ de la médiation culturelle du F.N. « [L]a sociabilité s’instaure au moment même où le désir est refoulé par le sujet qui en est porteur et qui, dès lors, trace une ligne de séparation irréductible entre la logique du désir et celle de la loi : entre la logique de l’identité et celle de l’appartenance ». 719 Or dans le cadre du F.N., il n’y a pas de séparation entre la subjectivité et l’appartenance. Tout le travail de la symbolique frontiste, accentué par l’imaginaire, vise donc à renforcer le sentiment communautaire.

Les politiques culturelles sont définies afin de symboliser le pouvoir de Jean-Marie LE PEN, dans son exercice de dirigeant de parti. Elles contribuent ainsi à la formation d’une identité politique fantasmatique en ce sens où elles expriment les multiples composantes obsessionnelles de la culture politique du F.N., dont par exemple, les menaces qui pèseraient sur la nation et au nom desquelles le F.N. s’est engagé dans un combat culturel.

Notes
710.

SOUCHARD, WAHNICH, CUMINAL et WATHIER (1997), p.134

711.

La seconde femme de Jean-Marie LE PEN, Jany, et ses filles ont toutes ou ont toutes eu, un rôle important au sein du parti.

712.

L’intégralité du texte est accessible sur le Site Internet du Front national dans les pages consacrées aux Archives.

713.

ARENDT (1972), p.78

714.

Cf. la quatrième de couverture de l’ouvrage de Jean-Marie LE PEN, Pour la France (1982)

715.

Nous empruntons à Peter REICHEL sa théorie d’esthétisation du national-socialisme [in La fascination du nazisme, Editions Odile Jacob, Histoire, Paris, 1993, 400 p.] qui repose sur quatre éléments : « la personnification du politique », « la dimension mythique de la politique », « la mise en scène », et « la schématisation de l’individu ».

716.

Cf. Cinquième partie, p.X

717.

Cette réflexion amène de nombreux universitaires et journalistes à s’interroger sur ce qu’ils appellent « L’après LE PEN », entraînant ainsi des débats quant au futur rôle de Marine LE PEN. Pour certains, la loyauté de Bruno GOLLNISCH ne détrônera pas la filiation.

718.

SOUCHARD, WAHNICH, CUMINAL, et WATHIER (1997), p.140

719.

LAMIZET (1998), p.17