Conclusion

Comme nous l’avons montré dans cette partie, le Front national possède une logique esthétique qui lui est propre au sens où elle doit correspondre à des principes précis, principalement le refus de toute forme de modernisme qui déformerait la réalité, entraînant la décadence et la dégénérescence, et le rejet de toute forme de dialogue interculturel. L’expression culturelle du Front national correspond ainsi à une conception fermée, centrée sur elle-même, du peuple et de la nation.

Aussi, les politiques culturelles du Front national vont agir dans la médiation culturelle en bouleversant les relations existantes entre les différents acteurs, dans le sens où elles suppriment toute forme de médiation et ce, selon nous, pour trois principales raisons : l’infantilisation du public, l’absence de reconnaissance des acteurs de la médiation culturelles, et le refus de toute forme de création artistique.

Nous avons voulu montrer tout au long de cette réflexion que la création et la diffusion de formes culturelles représentent l’inscription du politique dans des formes que le public est susceptible de s’approprier. Or dans le cadre du F.N., il n’existe aucune reconnaissance de la part des acteurs de la sociabilité du fait de l’absence de toute forme de médiation.

L’imposition de logiques artistiques et esthétiques souhaitée par le F.N. produit, selon nous, une forme d’infantilisation du public. Le choix étant fait pour lui en amont, le public n’a plus la possibilité de faire une démarche critique des œuvres, ni même de se reconnaître au travers de représentations qui lui sont imposées.

Cette normalisation artistique et esthétique s’exprime également au travers des conditions nécessaires à l’attribution de subventions aux artistes, comme l’annonce très clairement le F.N. dans son programme de 1993 : « les subventions publiques seront accordées aux créations artistiques qui respectent notre identité nationale comme les valeurs de notre civilisation » 742 . Aussi, les logiques esthétiques et culturelles du F.N. peuvent être définies comme les composantes d’une politique d’imposition et de censure qui correspond, selon nous, à une forme de propagande idéologique. « Les choix culturels des municipalités détenues par le Front national ont défrayé la chronique à plusieurs reprises […]. A travers ces dérives populistes de la politique culturelle, ce sont les questions essentielles du lien social, des rapports entre les individus et la Nation, et de la démocratisation de l’accès à la culture qui est en jeu » 743 .

Le Front national, par son accession à des responsabilités locales, a rapidement saisi l’importance de l’enjeu culturel en ce sens que ses actions auront suscité un « intérêt » national à divers degrés en fonction de l’identité politique de chacun. Par ailleurs, les représentations culturelles de l’identité politique du Front national, par les jugements esthétiques portés et par les choix culturels imposés, dénotent le primat de la nation sur l’individu : l’expression « culture nationale », utilisée dans la majorité des programmes et discours frontistes, illustre à elle seule le projet de société vers lequel tend le F.N.

De plus, l’absence de toute forme de créativité réduit le travail artistique à une forme d’instrument de propagande dont l’objectif sera d’amener les acteurs de la sociabilité à une fascination esthétique, notamment par la personnification des politiques culturelles du F.N.

Peter REICHEL dans La fascination du nazisme 744, ouvrage dans lequel il analyse l’esthétisation du pouvoir nazi, a montré que l’art est considéré comme un« agent de contrôle social » en participant à une interprétation orientée de la réalité. En faisant de la culture un moyen prépondérant à la diffusion de son idéologie, le Front national impose une interprétation de la réalité influencée par une identité politique paranoïaque, et exprime son refus de toute distanciation esthétique.

Ainsi, la fonction sociale et la fonction politique de l’art ne peuvent plus s’exprimer dans le cadre de ces politiques culturelles. L’art se réduit alors à être un simple instrument de propagande dont la fonction éducative d’ouverture sur le monde est réduite.

Notes
742.

FRONT NATIONAL (1993), 1ère proposition, « Restaurer la liberté d’expression et de création »

743.

RIZZARDO (1997), p.99

744.

REICHEL (1993)