Conclusion générale

Nous voici au terme de notre réflexion. L’intérêt que nous avons porté aux politiques culturelles du Front national constitue l’aboutissement d’un questionnement auquel nous avons tenté d’apporter notre réflexion depuis le début de nos différents travaux de recherches745. Mais il témoigne surtout de notre volonté de montrer que les Sciences de l’Information et de la Communication doivent êtres véritablement pensés comme des sciences rendant raison de la signification du fait politique et des formes de son expression.

La complexité de l’objet que nous nous sommes efforcées d’éclairer, nous a amené à opérer des choix en privilégiant l’étude de certains éléments par rapport à d’autres restés peut-être en retrait ; d’où également des arbitraires possibles commandés en amont par des contraintes théoriques et des exigences constitutives au terrain.

Nous avons amorcé notre réflexion en travaillant sur les notions de culture, d’identité, d’imaginaire, non pas du point de vue des électeurs du Front national, mais de celui du parti lui-même. Il est certain que l’idéologie du Front national a fait l’objet de multiples travaux de recherche, mais aucun ne s’est intéressé à un point spécifique de son identité politique : la culture.

Les représentations culturelles structurent un espace de visibilité et d’enracinement spatial et temporel par la médiation esthétique. Notre problématique vise à déterminer la façon dont la représentation du pouvoir s’inscrit dans les représentations de l’identité politique et dans les représentations personnalisées des hommes qui l’incarnent. En effet, nous estimons que l’attraction du Front national réside non seulement dans son discours idéologique explicite, mais aussi dans le pouvoir des émotions, des images, des fantasmes. Deux dialectiques majeures ont été analysées tout au long de cette recherche : entre les représentations culturelles du pouvoir et la conception politique qui le fonde, et entre la représentation du pouvoir et la conception de l’identité.

Bien qu’il l’ait peu exposé durant les campagnes électorales qui ont jalonné nos années de recherche (1986-1998), le Front national possède un véritable programme culturel élaboré au nom d’une « guerre culturelle » pour la défense de l’identité nationale. Au-delà de ce combat culturel se cache une véritable machine de guerre dont l'objectif est « l’enracinement » dans des logiques esthétiques qui soulignent une dimension d’appartenance et une dimension exclusive.

La conception de la culture comme machine de guerre, nous semble être un point essentiel de la représentation de ce que nous avons défini comme l’identité paranoïaque du Front national.

La violence, qu’elle soit verbale ou physique, a toujours été présente au sein des mouvements d’extrême droite. Dans le cas du F.N., elle s’exprime au travers de ce que Mathias BERNARD appelle la « culture de provocation »746 qui s’articule autour de ce que nous avons nommé le modèle idéologique vitaliste. Ce modèle synthétise l’idéal politique du F.N. et les attitudes mises en exergue par l’enracinement, le conservatisme, l’offensive de domination, etc… Cette perspective vitaliste s’associe, selon nous à l’idée d’un combat qui renvoie symboliquement aux notions de force et de faiblesse, de sélection, d’héroïsme, d’ordre, d’héritage, de sacralisation d’un territoire.

L’identité politique du F.N. que nous concevons comme une forme paranoïaque, se fonde sur la théorie du complot qui a été déclinée tout au long de notre réflexion, en trois types distincts mais complémentaires : le complot des politiques légitimes contre le F.N., le complot des « grands » contre les « petits », et enfin celui exercé par les médias.

Les politiques culturelles mises en œuvre par le F.N. suivent cette logique dans la mesure où les discours culturels sont majoritairement composés d’un vocabulaire de la peur. La rhétorique frontiste utilise la peur pour parler de la culture par la dénonciation des actions mises en place par les ennemis d’« une culture populaire et enracinée ».Et cette rhétorique participe pleinement à la structuration de l’imaginaire frontiste. Lorsque le F.N. annonce qu’il «rejette l'orientation cosmopolite et politiquement correcte dans laquelle on veut dissoudre l'âme du citoyen français» 747 , il développe l’idée d’une menace bipolaire, extérieure et intérieure, qui renforce à la fois la légitimité du F.N. dans la défense de l’identité nationale, la théorie du complot et ainsi le sentiment de communion et d’unité des membres du parti. Par ailleurs, la thématique de la peur et les fantasmes de persécution, que nous avons analysées dans la seconde partie, constituent, selon nous, des thématiques obsessionnelles dont l’objectif est d’agir sur le peuple.

Deux élections présidentielles ont suivi la période que nous avons choisi d’étudier. Le programme culturel proposé pour l’élection de 2002748 n’a fait que confirmer les revendications établies dans le programme de 1993, 300 mesures pour la renaissance de la France. En effet, hormis une introduction reprenant des arguments développés dans de précédentes parutions749, le programme n’a subit aucune modification : les titres des principes et des propositions sont les mêmes, tout comme les exemples et les critiques. Ainsi les interventions réalisées par les maires frontistes, à la fin des années 90 dans le secteur culturel, n’auront été à l’origine d’aucune évolution quant à la réflexion du parti autour des questions culturelles.

Il faudra en effet attendre l’émergence des Technologies de l’Information et de la Communication (T.I.C.) pour voir réapparaître, au sein du parti, de nombreux débats sur la liberté d’expression et de libre-échange d’informations et de données. Philippe HERLIN750, conseiller pour la culture au Front national et directeur de cabinet de Louis ALIOT, secrétaire général du FN751 a souligné la position du parti qui estime que « les échanges privés sur Internet doivent rester libres » 752 . Ce nouvel axe sera résumé dans le programme culturel753 rédigé à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007. Réduit à trois pages, le programme de 2007 ne porte pas de titre spécifique, contrairement au précédent qui s’intitulait « Liberté de la culture : enraciner l’avenir. Le génocide culturel»,et est composé de deux parties : le constat et les mesures.

La première partie se résume en un paragraphe fidèle aux analyses que nous avons établies durant nos travaux de recherche, notamment quant à la dénonciation d’un complot pratiqué à l’encontre du peuple français pour lequel se mobilise le parti au nom de la revalorisation de l’identité nationale.

La seconde partie présente, pour la première fois, des mesures relatives aux deux principaux secteurs du Ministère : la culture et la communication.

Les réformes sont destinées au peuple/public auquel le F.N. souhaite « redonner la parole » et « favoriser l’accès à la culture ».

Les principales mesures proposées par le F.N. sont les suivantes : l’attribution des subventions sera fonction de la fréquentation que le parti présente comme un « indicateur essentiel de bonne gestion » ; la création d’une place aux «associations représentatives» dans les conseils d’administration ; le développement du mécénat ; l’instauration d’un chèque-culture national, le rééquilibrage de la province par rapport à Paris ; la création d’une carte professionnelle pour réformer le statut des intermittents ; et le développement de l’Internet à très haut débit pour tous.

Ce programme constitue, selon nous, un exemple du renforcement de l’identité politique paranoïaque, notamment par la valorisation d’une nouvelle affirmation : « l’exception culturelle n’est rien d’autre que la préférence nationale appliquée à la culture ». L’exception culturelle française serait « menacée par les politiques mondialistes et nécessite plus d’équité dans son fonctionnement ». La théorie du complot est à nouveau développée ici pour camoufler l’absence de projet social et politique explicite dans la mesure où les positions politiques développées dans ce programme ont été élaborées par rapport à celles des autres acteurs politiques.

L’analyse des politiques culturelles du Front national dans un processus d’élaboration d’une théorie des représentations culturelles des identités politiques nous a ainsi amenée à montrer que l’idéal politique du parti de Jean-Marie LE PEN est fondé sur une identité politique paranoïaque. Idéal qui tend à se développer, en partie, au sein d’autres formations politiques. Ainsi, la question de l’identité a été le thème majeur de la dernière élection présidentielle.

La victoire de Nicolas SARKOZY à l’élection présidentielle de 2007 fut suivie par l’instauration du Décret n° 2007-999 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du Ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement qui marque le début d’un amalgame entre Identité et Immigration. La création de ce Ministère confirme l’application d’une idéologie selon laquelle « [l]’immigration, l’intégration et l’identité nationale sont complémentaires. Elles sont même intimement liées. C’est parce que la France a une identité propre dont elle peut être fière qu’elle a les moyens d’intégrer des immigrés qui respectent nos valeurs et qu’elle peut organiser de façon sereine l’immigration. » 754

La vivacité des réactions face à la politique de Nicolas SARKOZY montre que les questions liées à l’identité sont sensibles et qu’elles feront certainement partie de celles qui vont continuer à animer la vie politique durant ces prochaines années.

La thématique de l’Identité est devenue un véritable point d’ancrage pour de nombreuses idéologies politiques ; ce qui pourra constituer un nouvel axe de recherche par l’analyse des différentes lois et décrets qui seront votés sous l’impulsion de ce nouveau ministère, et des conséquences qu’ils entraîneront dans l’espace public.

Notes
745.

L’essentiel de nos travaux universitaires ont traité de la relation entre Front national et la culture. Le mémoire de maîtrise que nous avons soutenu en juin 1999 présentait une analyse des politiques culturelles de la ville de Vitrolles. Puis dans le cadre de notre mémoire de D.E.A., nos recherches ont porté sur « La médiation culturelle dans le domaine du spectacle vivant : Pourquoi poser le problème des politiques culturelles du Front national? ».

746.

BERNARD (2007), p.37

747.

Site Internet du FRONT NATIONAL, Pages « Archives » et « Culture », août 1998

748.

Cf. Annexe n°27

749.

Principalement l’ouvrage de Jean-Marie LE PEN, Pour la France, « La réforme intellectuelle et morale », Chapitre XIII (1982), et le texte de Bruno MEGRET, « Débat culturel et combat politique », in Jean-Marie LE PEN, Une âme pour la France (1987)

750.

Philippe HERLIN est Docteur en économie et finance internationale.

751.

Louis ALIOT a été nommé Secrétaire général du F.N. le 11 octobre 2005 et occupe par ailleurs le poste de Président du groupe F.N. au Conseil Régional de Midi-Pyrénées depuis mars 2004.

752.

Site www.lepen2007.fr

753.

Cf. Annexe n°28

754.

Cf. Annexe n 29, Missions et rôle du Ministère de l’identité nationale et de l’immigration