Annexe 24 : Extrait du 20e rapport d'activités de la C.N.I.L., prévu par l’article 23 de la loi du 6 janvier 1978

« C.N.I.L. contre S.E.R.P. »

Les scouts d’Europe

La CNIL a dénoncé au parquet la divulgation d’un annuaire local des chefs et cheftaines scouts d’Europe et son utilisation par diverses publications liées à des mouvements d’extrême droite. Saisie par les parents d’un garçon mineur, membre des scouts d’Europe, qui avait reçu à son domicile un catalogue de vente par correspondance édité par la Société d’études et de relations publiques (SERP) et comportant notamment des livres et disques évoquant la période nazie, ainsi qu’un exemplaire du journal « Français d’abord-le magazine de Jean-Marie Le Pen », la CNIL a effectué des missions de contrôle auprès du centre national de l’association des « Guides et scouts d’Europe » et de la SERP. La CNIL a pu ainsi établir qu’un annuaire des chefs et cheftaines des scouts d’Europe de la région Provence avait été irrégulièrement divulgué et que les coordonnées du fils du plaignant qui figuraient dans cet annuaire local, avec une faute d’orthographe dans le libellé de l’adresse, avaient été utilisées à des fins de prospection commerciale et politique par la SERP, d’une part, le journal « Français d’abord », d’autre part. La CNIL n’a pu en revanche procéder à la mission de contrôle qu’elle avait décidé d’accomplir auprès du journal « Français d’abord », dont seule la boîte postale est connue, les responsables de cette publication ayant refusé par deux fois de lui communiquer le lieu où se trouvait le fichier des abonnés. Par la suite, la Commission a été saisie d’une nouvelle plainte émanant des parents d’un autre chef scout de Provence qui avait également reçu, outre le catalogue de la SERP et un exemplaire du journal « Français d’abord », une invitation de la fédération Front national du Var à un dîner-débat en présence de M. Jean-Marie Le Pen. Compte tenu de la gravité des faits et du nombre de jeunes scouts dont les coordonnées figuraient sur l’annuaire divulgué, la CNIL, par une délibération

no 99-017 du 25 mars 1999, a décidé de dénoncer :

  • X pour n’avoir pas pris de précautions suffisantes pour empêcher que ne soient communiquées à des tiers qui n’ont pas à en connaître tout ou partie des informations nominatives, présentées sous forme de listes informatisées, se rapportant à des chefs et cheftaines des scouts d’Europe de Provence (article 226-17 du code pénal),
  • la SERP et le journal « Français d’abord » pour avoir utilisé, à l’insu de la personne concernée et de son représentant légal, des informations nominatives la concernant sous forme d’étiquettes adresses issues d’un traitement automatisé d’informations nominatives (article 226-18 du code pénal),
  • le journal « Français d’abord » pour entrave à l’action de la commission (article 43 de la loi du 6 janvier 1978).

La CNIL a transmis sa délibération au parquet de Nanterre, déjà saisi de faits connexes par l’association nationale des guides et scouts d’Europe. A la date de rédaction du présent rapport, l’instruction judiciaire ouverte sur ces faits était toujours en cours.

Délibération no 99-017 du 25 mars 1999 relative aux suites à donner aux missions de contrôle auprès de l’association des guides et scouts d’Europe, de la société SERP, du journal « Français d’abord-le magazine de Jean-Marie Le Pen » et des légionnaires du Christ et portant dénonciation au parquet

La Commission nationale de l’informatique et des libertés,

Vu la Convention du Conseil de l’Europe du 28 janvier 1981, pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ;

Vu la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, pris ensemble le décret no 78-774 du 17 juillet 1978 ;

Vu les délibérations de la Commission no 98-102, 98-103, 98-104 et 98-105 du 22 décembre 1998 décidant des missions de contrôle auprès de la SERP, des « Légionnaires du Christ », du journal « Français d’abord » et de l’association des guides et scouts d’Europe ;

Vu les comptes rendus de mission adressés l’un le 8 février 1999 à la SERP, l’autre le 17 février à l’association des guides et scouts d’Europe ;

Vu les observations en réponse du Président de l’association des guides et scouts d’Europe en date du 4 mars 1999 ;

Vu les courriers adressés par la CNIL au journal « Français d’abord » par lettres recommandées avec accusé de réception les 6 janvier et 2 février 1999 ;

Vu le courrier adressé à la Commission par les « Légionnaires du Christ » le 19 janvier 1999 invoquant les dispositions de l’article 31 alinéa 2 de la loi au bénéfice du groupement ;

Après avoir entendu Monsieur Alex Türk en son rapport et Madame Charlotte-Marie Pitrat, Commissaire du Gouvernement, en ses observations ;

Considérant qu’un garçon mineur, membre de l’association des guides et scouts d’Europe, a reçu à son domicile, d’une part, un catalogue de vente par correspondance diffusé par la société d’études et de relations publiques (SERP) proposant divers articles (artisanat, bijoux) et oeuvres (vidéo, livres, disques) dont certains évoquent la période nazie, d’autre part, un exemplaire du journal « Français d’abord, le magazine de Jean-Marie Le Pen », enfin un courrier émanant d’un groupement dénommé « Légionnaires du Christ » ; que ces envois, rapprochés dans le temps, ont appelé l’attention du père du mineur concerné qui a saisi la CNIL de ces faits en novembre 1998 afin de connaître l’origine des informations qui avaient été utilisées pour procéder à ces envois ;

Considérant que la Commission a, par délibération du 22 décembre 1998, décidé de procéder à plusieurs missions de contrôle sur place auprès des organismes concernés ainsi qu’auprès de l’association des guides et scouts d’Europe ;

Considérant qu’il résulte des missions de contrôle effectuées auprès du centre national de l’association des guides et scouts d’Europe et de la société SERP, éditrice du catalogue reçu par le garçon, que les informations ayant permis de solliciter le fils du plaignant, Philippe, trouvent leur origine dans un annuaire local des chefs et cheftaines scouts établi dans la région Provence à l’initiative de responsables locaux de l’association des guides et scouts d’Europe ; que l’association des guides et scouts d’Europe a indiqué que cet annuaire local avait fait l’objet d’une divulgation ; que les dires de cette association sont corroborés par le fait qu’une faute d’orthographe altérant l’adresse de l’intéressé, telle qu’elle figure dans cet annuaire local, se retrouve sur les étiquettes-adresse, que le plaignant a communiquées à la Commission, des courriers qui ont été adressés au jeune garçon par la SERP et le journal « Français d’abord » ;

Considérant en effet qu’il résulte des actes d’instruction accomplis par la CNIL que le centre national des guides et scouts d’Europe envoie à chaque chef de groupe la liste nominatives des scouts placés sous sa responsabilité ; qu’en outre, le centre national envoie, sur leur demande, aux chefs de district ou aux commissaires de Province, rangs hiérarchiques propres à cette organisation, la liste nominative des membres de l’encadrement (chefs et cheftaines) qui sont placés sous leur autorité ; qu’en outre, les chefs de district sont destinataires, chacun pour ce qui le concerne, des coordonnées des chefs de patrouille libre, c’est-à-dire de petits groupes locaux ne comportant pas un nombre suffisant de scouts pour constituer des unités à part entière ; que le nom et l’adresse du jeune Philippe, chef de patrouille libre, figuraient sur les listes ainsi communiquées aux responsables de la région Provence ; Considérant que la Commission a pu établir que les informations utilisées par la SERP, d’une part, par le journal « Français d’abord », d’autre part, ne provenaient pas d’une divulgation qui aurait été commise à partir des listes communiquées par le centre national de l’association des guides et scouts d’Europe aux responsables locaux dans la mesure où le fichier national des guides et scouts d’Europe duquel étaient extraites ces listes ne comporte pas de faute d’orthographe dans le libellé de l’adresse du jeune Philippe ; que les courriers qui ont été adressés à Philippe par la SERP et par le journal « Français d’abord » n’ont pu l’être qu’à la suite d’une divulgation des informations que comportait l’annuaire local des chefs scouts de Provence, comme l’atteste la faute d’orthographe qui se retrouve sur les courriers litigieux reçus ;

Considérant, dès lors, qu’un annuaire des chefs et cheftaines scouts de Provence a été divulgué en tout ou partie et en violation des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 à des organismes qui n’avaient pas à en connaître ; qu’ainsi, l’infraction prévue par l’article 226-17 du code pénal paraît établie, sans qu’il soit possible pour la CNIL, en l’état des pouvoirs dont elle dispose, d’identifier le responsable — personne physique ou personne morale — du fichier, automatisé ou non, des chefs et cheftaines scouts de Provence auquel incombait l’obligation de prendre toutes précautions utiles afin d’empêcher que les informations nominatives ne soient communiquées à des tiers non autorisés ;

Considérant que la Commission a pris note des déclarations du Président de l’association des guides et scouts d’Europe selon lesquelles l’annuaire de Provence aurait été irrégulièrement transmis à une société commerciale dénommée DEFI qui l’aurait à son tour utilisé pour son propre compte afin d’adresser un catalogue intitulé «Durandal» à l’ensemble des personnes figurant sur l’annuaire ; que plainte a été déposée sur ces faits par l’association des guides et scouts d’Europe auprès du Parquet de Nanterre ;

Considérant que la Commission prend acte qu’à la suite de cette divulgation l’association des guides et scouts d’Europe a pris des précautions nouvelles s’agissant de la diffusion de l’annuaire des chefs et cheftaines de Provence 1998/99 ; mais considérant que ces mesures, qui ne valent que pour l’avenir, ne sauraient ni retirer à la divulgation précédemment commise son caractère frauduleux, ni aux faits leur gravité ;

Considérant de surcroît que le fichier divulgué, qui comporte près de 300 noms, peut encore à ce jour être utilisé par des personnes ou organismes qui n’ont pas à en connaître, comme semble l’attester la plainte déposée le 19 janvier 1999 auprès de la CNIL par le parent d’un autre chef scout de Provence mineur inquiet que son fils ait reçu, outre le catalogue de la SERP et un exemplaire du journal « Français d’abord », le catalogue Durandal ainsi qu’une invitation de la fédération Front National du Var à un dîner-débat en présence de M. Jean-Marie Le Pen ;

Considérant que les investigations entreprises établissent que les informations utilisées par l’association des « Légionnaires du Christ » ne proviennent pas de l’annuaire local des chefs et cheftaines scouts de Provence ; qu’en effet, la Commission a pu constater que la faute d’orthographe figurant sur l’annuaire local ne se retrouve pas sur l’étiquette-adresse de l’envoi effectué par les « Légionnaires du Christ » au jeune Philippe, étiquette qui fait d’ailleurs mention d’une adresse plus complète que celle qui figure dans cet annuaire, ainsi que de l’adresse de l’intéressé telle qu’elle est enregistrée dans le fichier national des scouts d’Europe ; que le groupement des « Légionnaire du Christ » a fait savoir à la Commission que les coordonnées du jeune garçon figuraient bien dans son fichier et qu’elles avaient été radiées dès réception du courrier de la CNIL ; que le groupement concerné fait valoir que les coordonnées de Philippe avaient été obtenues par l’intermédiaire d’un aumônier qui les aurait lui-même recueillies directement auprès de l’intéressé lors d’un camp scout ; que le père de l’intéressé ne conteste pas cette version des faits ; que dans ces conditions, il n’y a pas lieu pour la Commission d’entreprendre auprès des Légionnaires du Christ la mission projetée ;

Considérant, s’agissant du journal « Français d’abord », que la mission de contrôle décidée par la Commission n’a pu à ce jour être entreprise ; qu’en effet, le Directeur administratif et financier du journal n’a pas répondu aux deux courriers qui lui ont été adressés par la CNIL, par lettre recommandée avec accusé de réception, lui demandant de préciser le lieu où se trouvait le fichier ; que l’adresse du journal ne fait état que d’une boîte postale, sans que son siège social puisse être localisé ; que le seul élément dont dispose la Commission pour déterminer le lieu exact où est tenu le fichier des destinataires de cette publication résulte d’un appel téléphonique, reçu par les services de la CNIL le 12 janvier 1999, d’une personne se présentant comme étant le directeur administratif et financier du journal « Français d’abord » précisant que « la CNIL serait surprise si elle savait où se trouvait ce fichier » ; que cet élément est insuffisant en l’état des moyens d’investigation dont dispose la CNIL pour lui permettre d’accomplir sa mission ;

Considérant que la SERP et le journal « Français d’abord » ont utilisé, à l’insu de l’intéressé et de son représentant légal, des informations, dont la présentation atteste qu’elles résultent de l’utilisation d’un traitement automatisé d’informations nominatives, sur l’origine desquelles ils ne se sont pas interrogés pour faire de la prospection ;

Considérant que la SERP ne conteste pas avoir pu utiliser des étiquettes-adresses qui lui auraient été communiquées par un tiers non identifié mais fait valoir qu’elle ne procède pas, dans ce cas, à l’enregistrement de ces données nominatives dans son fichier de clients ;

Considérant que la réponse du journal « Français d’abord » a consisté à réexpédier à la CNIL les courriers qui lui avaient été adressés lui demandant notamment de radier les coordonnées du jeune Philippe de son fichier, agrafés dans une même liasse portant la mention manuscrite, à l’encre rouge, « C’est fait » ; qu’il paraît résulter de cet envoi que les informations concernant le jeune Philippe avaient été enregistrées dans un traitement automatisé dont elles auraient été radiées à la suite de l’intervention de la CNIL ;

Considérant que l’utilisation d’informations nominatives par ces deux organismes qui ne pouvaient régulièrement en avoir connaissance est susceptible de constituer une collecte de données frauduleuse, déloyale ou illicite au sens de l’article 226-18 du code pénal ;

Considérant en outre que l’absence de réponse du journal « Français d’abord » aux deux courriers de la Commission lui demandant de lui faire connaître le lieu exact où se trouve le fichier des destinataires du journal ne permet pas à la Commission de conduire les investigations nécessaires pour s’assurer du respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 ; qu’un tel refus, dans ces conditions, constitue une entrave à l’action de la Commission, au sens de l’article 43 de la loi du 6 janvier 1978 ;

En conséquence, Décide, en vertu des dispositions de l’article 21-4° de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 — de dénoncer au Parquet X pour n’avoir pas pris de précautions suffisantes pour empêcher que soient communiquées à des tiers qui n’ont pas à en connaître tout ou partie des informations nominatives issues d’un fichier automatisé ou non se rapportant à des chefs et cheftaines des scouts d’Europe de la « province de Provence », faits constitutifs de l’infraction visée par l’article 226-17 du code pénal ; — de dénoncer au Parquet la société SERP et le journal « Français d’abord » pour avoir collecté et utilisé, à l’insu de la personne concernée et de son responsable légal, des informations nominatives dont ils ne pouvaient avoir régulièrement connaissance sous forme d’étiquettes-adresse issues d’un traitement automatisé d’informations nominatives, faits constitutifs de l’infraction visée par l’article 226-18 du code pénal ; — de dénoncer au Parquet le journal « Français d’abord » pour, en n’ayant pas répondu à deux courriers adressés par lettre recommandée avec accusé de réception lui demandant de préciser le lieu où était mis en oeuvre le fichier des destinataires de cette publication, avoir entravé l’action de la CNIL, faits constitutifs de l’infraction visée par l’article 43 de la loi du 6 janvier 1978.

La CNIL a procédé à une autre dénonciation en 1999.