Introduction

Les attentats du 11 septembre 2001 constituent un événement historique qui laissera une trace comparable, dans la mémoire d’une génération, à l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy1. En attendant que les historiens débattent dans les années futures de la portée réelle de cet événement, il est indéniable que ces attentats et la succession des attaques labellisées « Al-Qaïda » depuis 2001 ont conduit à ancrer la menace « terroriste »2 au cœur de la vie publique dans l’ensemble des pays occidentaux. Si la France n’a pas eu à subir d’attentats de grande ampleur3, les gouvernements successifs ont pris à bras le corps le thème de la lutte contre le « terrorisme »4.

Ces prises de paroles publiques sont structurées par un canevas qui nous semble familier : l’indignation devant la souffrance des victimes ; la dénonciation de l’usage de la violence dans un contexte démocratique qui offre, pourtant, de nombreuses voies pacifiques pour exprimer son mécontentement ; l’opposition entre les valeurs démocratiques des pays visés et la barbarie des « terroristes » ; la détermination et la fermeté affichée par les gouvernants qui promettent de punir les auteurs de l’attentat ; le renforcement et l’efficacité de la coopération internationale comme horizon indépassable de la sécurité. Cette familiarité se fonde sur la redondance et l’évidence du contenu des réactions. Les images de destructions et de souffrances entraînent immédiatement la réprobation de la violence « terroriste ».

Les discours politiques sur le « terrorisme » sont avant tout des discours contre le « terrorisme ». Cette stigmatisation se fonde sur le refus de la violence et du meurtre comme mode de protestation légitime dans des régimes démocratiques fondés sur la liberté d’expression et le pluralisme politique. Il y a donc une évidence de la posture antiterroriste comme il existe une évidence de la posture antiraciste. « Dans les démocraties occidentales, on se dit volontiers antiraciste. Cela va de soi. Et tout semble alors dit. L’action urge, et la lutte suffit à faire oublier les questions » (Taguieff, 1995, p. iii). L’efficacité pragmatique de l’évidence5 dans la production du consentement tient dans le fait que le locuteur n’a pas à démontrer ou à prouver la véracité de son discours. Le discours antiterroriste se présente ainsi sous la forme d’une doxa 6. Sa nature doxique ne signifie pas qu’il soit faux ou mensonger mais qu’il est construit à partir de lieux communs difficilement réfutables. Pourtant ce sont les choses les plus évidentes qui méritent d’être le plus examiné comme le préconisait Pierre Bourdieu à propos de l’État.

‘« Cela dit, il ne faut pas oublier que cette croyance politique primordiale, cette doxa, est une orthodoxie, une vision droite, dominante, qui ne s’est imposée qu’au terme de luttes contre des visions concurrentes […]. Ce qui se présente aujourd’hui sur le mode de l’évidence, en deçà de la conscience et du choix, a été bien souvent, l’enjeu de luttes et ne s’est institué qu’au terme d’affrontements entre dominants et dominés » (Bourdieu, 1994, p. 128-129). ’

Affronter les évidences du discours antiterroriste nécessite de réfléchir aux mots employés et nous renvoie d’emblée aux questionnements classiques de la méthodologie sociologique.

Notes
1.

« Où étiez-vous le 22 novembre 1963 ? Même les plus jeunes se souviennent de cette date, car l’assassinat de John F. Kennedy ce jour-là inaugurait un nouvel âge politique pour une Amérique dégrisée. La même question se posera de façon encore plus lancinante pour le 11 septembre 2001 » (Howard, 2001, p. 8). Voir également Lardellier, Pascal, 2006, 11 septembre 2001... Que faisiez-vous ce jour-là ? Entre sociologie du quotidien et histoire du temps présent, Paris, L’Hèbe.

2.

L’emploi des guillemets signifie une mise à distance vis-à-vis de l’emploi de ce mot. Nous préciserons, dans la suite de ce travail, l’usage précis que nous en ferons (choix d’une définition opératoire, écriture sans guillemet).

3.

Au moment où ces lignes ont été écrites.

4.

D’ailleurs l’absence d’attentats ne signifie pas l’absence de tentatives d’attentats et ce résultat peut être obtenu par un travail efficace des services de lutte antiterroriste.

5.

Le dictionnaire Le Petit Robert 2008 évoque une « force » de l’évidence.

6.

« La doxa correspond au sens commun, c’est-à-dire à un ensemble de représentations sociales prédominantes, dont la vérité est incertaine, prises le plus souvent dans leur formulation linguistique » (Charaudeau et Maingueneau, 2002).