L’efficacité des discours antiterroristes dans la légitimation du pouvoir

Dans un travail sur la justification des mesures d’exception dans trois pays européens (France, Grande-Bretagne et Italie) à la suite des attentats du 11 septembre 2001, Anastassia Tsoukala a mis en évidence deux modes de légitimation des politiques antiterroristes : la défense des mesures d’exception et la quête d’équilibre. Ce travail, construit à partir d’une analyse thématique des déclarations politiques ou « expertes » parues dans la presse nationale, souhaite dévoiler les cadres conceptuels des politiques antiterroristes contemporaines. En se fondant sur la notion de pouvoir chez Michel Foucault et Antonio Gramsci, elle inscrit ces discours politiques dans un processus de légitimation politique par la revendication permanente du consensus social (Tsoukala, 2006, p. 25).

Dans une contribution plus récente, l’auteure a prolongé cette idée en élargissant sa perspective : elle a cherché à montrer comment les discours antiterroristes ont contribué à la construction d’une nouvelle représentation de l’ordre social. « Dans le désordre créé par les attentats, il s’agissait de rappeler les fondements, réels ou imaginaires, de l’ordre passé, voire de redessiner les contours d’un ordre politique nouveau » (Tsoukala, 2008, p. 283). Les argumentaires publics sur la lutte contre le « terrorisme » ont construit cette menace comme un phénomène nouveau (marqué par l’interconnexion du niveau local et global et par sa dangerosité durable23) et attentatoires aux valeurs démocratiques fondamentales (l’État de droit et les libertés publiques). Cette construction rhétorique facilite l’adoption de mesures sécuritaires de plus en plus élargies et modifie en profondeur la représentation de la liberté, rabaissée au niveau d’un droit à défendre, et non pas, la condition nécessaire à l’existence des droits fondamentaux.

‘« La liberté est désormais opposée à la sécurité, comme s’il s’agissait de valeurs égales mais qui ne peuvent être également défendues, puisque le renforcement de l’une ne peut s’opérer qu’aux dépens de l’autre. […] La liberté cesse en effet d’être considérée comme la condition qui rend possible l’existence même de la démocratie, d’où découlent tous les autres droits, pour être assimilée à ces droits. Ainsi relativisée, elle peut faire l’objet de restrictions, toujours présentées comme provisoires, au nom justement de la protection d’un ou plusieurs de ces autres droits » (Tsoukala, 2008, p. 290).’

A rebours des travaux sur l’inefficacité des discours antiterroristes, cette perspective conclue à l’imprégnation réussie de ces argumentaires au sein des représentations des décideurs politiques à l’aune de leur matérialisation dans les politiques publiques de sécurité. Vecteur de ritualisation ou discours inefficace, le discours antiterroriste suscite des appréciations diversifiées. En nous appuyant sur ces ressources théoriques, nous faisons l’hypothèse que le discours antiterroriste vise à réaffirmer le consensus social autour du pouvoir à l’aide de trois modes de légitimation principaux.

Notes
23.

Selon l’auteure, les discours en France et en Grande-Bretagne divergent sur les causes du « terrorisme ». Au Royaume-Uni, la question des motivations des « terroristes » est quasiment absente du débat public et les violences sont appréhendées sous un angle militaire. A l’inverse en France, la représentation militaire des attentats est minoritaire et des explications en terme de frustration économique et politique sont avancées par les dirigeants politiques (Tsoukala, 2008, p. 286-287).