Historiquement, les sociétés occidentales ont connu, depuis le Moyen-âge, un processus de pacification des relations sociales grâce à la monopolisation étatique des moyens de sécurité et du développement corollaire de l’autocontrôle des pulsions57. Depuis le vingtième siècle, la violence est discréditée par l’affirmation des normes démocratiques et humanistes ou le développement du commerce comme mode de régulation des conflits. Ce mouvement, non linéaire et restreint aux temps de paix58, conduit à un déplacement de la violence vers d’autres champs d’ordres économiques ou moraux.
Ces évolutions profondes n’empêchent pas la visibilité de la violence dans le débat public puisque cette dernière se nourrit d’un paradoxe déjà relevé par Alexis de Tocqueville en son temps. Plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qu’il en reste est perçu ou vécu comme insupportable.
‘« Ainsi, toute diminution du niveau de violence s’accompagne d’une sensibilité accrue à la violence, donc d’une aggravation du sentiment d’insécurité. Dès lors, interpréter la poussée du sentiment d’insécurité en termes d’accroissement de la violence objective est non seulement illusoire, mais mystificateur » (Chesnais, 1981, p. 398).’Moins la violence est présente dans les faits sociaux, plus son effet est démultiplié. On constate une forte sensibilité de nos sociétés à l’égard des violences ; l’augmentation de la susceptibilité sociale jouant d’autant sur sa visibilité, et donc, son efficacité.
Élias Norbert, 1973, La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy ; 1975, La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy.
Les pratiques guerrières au cours des conflits mondiaux du vingtième siècle viennent ainsi interroger une vision linéaire du processus de pacification (Audouin-Rouzeau Stéphane, 2008, Combattre. Une anthropologie historique de la guerre moderne (XIXe-XXIe siècle), Paris, Seuil).