2.2.2 Le terrorisme et la mobilisation des ressources

Central dans la sociologie des conflits et des mouvements sociaux, le courant de la mobilisation des ressources ne s’est intéressé que tardivement à la question du terrorisme. L’un de ses principaux représentants, Anthony Oberschall a récemment intégré cet objet dans ses réflexions sur l’engagement. Il estime que la théorie de l’action collective est un outil approprié pour traiter toutes les formes d’engagement collectif, y compris les engagements violents comme le terrorisme. Il montre que le passage à la violence terroriste relève des étapes classiques de l’action collective (existence d’un mécontentement, retraduction des griefs dans une idéologie globale, capacités d’organisation et des opportunités politiques). Le terrorisme peut donc être lu dans un cadre instrumental.

‘« Le terrorisme n’est pas le fait de fous ou de sociopathes politiques ou religieux mais le fait d’acteurs politiques qui choisissent des moyens clandestins et violents pour atteindre des buts politiques, qu’ils soient ethno-nationaux, religieux ou idéologiques. Le terrorisme s’explique de la même manière que les autres formes d’action collective telles que les insurrections, les mouvements sociaux, les dissidences ou les guérillas » (Oberschall, 2004, p. 27).’

Même des actes tels que des attentats à la bombe contre des civils, relèvent de cette perspective puisque les individus qui les perpètrent se justifient en invoquant un discours moral, notamment celui de la légitime défense. Oberschall prend l’exemple d’Oussama Ben Laden justifiant les attaques du 11 septembre 2001 par la mort de millions d’enfants irakiens à cause du blocus américain et de plusieurs centaines de millier de personnes lors des bombardements sur le Japon pendant la Seconde Guerre Mondiale (Oberschall, 2004, p. 30).

L’auteur précise que les groupes terroristes cessent leurs actions violentes s’ils atteignent leur but politique ; encore faut-il que les demandes soient réalistes. Pour Xavier Crettiez et Isabelle Sommier, la discontinuité entre les moyens et les fins de l’action terroriste est une des ruptures provoquées par les attentats du 11 septembre 2001 dans la réflexion sur le terrorisme.

‘« L’attentat du 11 septembre est peu lisible en termes d’objectifs d’action (quelles sont les visées opérationnelles et même idéologiques des responsables criminels ?), rendant difficilement compréhensible l’intensité de la violence produite. […] Comment raisonnablement croire que les moyens criminels utilisés par Al-Qaïda pourraient forcer l’Occident à renoncer à son identité moderne, si telle est la fin poursuivie ? » (Sommier et Crettiez, 2002, p. 63). ’

Le terme réalisme est cependant difficile à manier car il tend à naturaliser le caractère rationnel ou pas des motivations terroristes. Si nous sommes d’accord pour dire que la conversion de l’ensemble des pays occidentaux à l’Islam constitue un objectif bien peu réaliste, il faut reconnaitre que de nombreux exemples historiques ont montré la réussite finale d’objectifs considérés comme irréalistes au commencement de la lutte (création de l’État d’Israël, indépendance de l’Algérie, autonomie de l’Irlande du Nord, etc.). En outre, l’approche instrumentale du terrorisme souffre d’un défaut déjà relevé dans l’analyse de la violence politique : la forclusion de la spécificité de la violence comme mode d’action.

‘« Les avancées indéniables qu’elle apporte à la sociologie des mouvements sociaux se font toutefois au prix d’une totale dissolution de l’objet violence, en réaction sans doute aux théories concurrentes. […] Dans l’ignorance des cadres sociaux et culturels de la mobilisation, les interactions se réduisent à un échange de coups stratégiques dont les acteurs maîtriseraient totalement les enjeux. […] Recourir à la violence n’a rien d’insignifiant ni de systématique et l’on saurait de ce fait appliquer à l’engagement violent une grille d’analyse absolument identique à l’engagement tout court » (Sommier, 2008, p. 14-15).’

Même si Oberschall reconnait la logique d’exacerbation de la violence terroriste143, la perspective instrumentale du terrorisme n’éclaire pas la totalité du phénomène.

A partir d’un travail sur l’engagement militant, Doug Mc Adam complexifie la perspective instrumentale de l’action collective en distinguant l’activisme à faible et à haut risque144. L’activisme risqué renvoie aux contraintes ou aux dangers de tous ordres (physique, social, légal, financier, etc.) qui pèsent sur la décision d’engagement. Au delà du risque physique (la mort ou la prison), l’auteur relève également des contraintes culturelles ou symboliques à la mobilisation collective violente comme la mise au ban de la société ou l’impossibilité de tout retour en arrière. Il rejoint sur ce point des propos de Michel Wieviorka évoquant « l’image d’un processus autonome dans lequel la violence s’alimente d’elle-même, sans retour en arrière possible, toujours plus haut, toujours plus fort, jusqu’à l’anéantissement d’un acteur débordé par la logique qu’il a mise en œuvre » (Wieviorka, 1986, p. 88). La profondeur de l’engagement de l’acteur terroriste (en termes de ruptures sociales ou de sacrifices consentis) et les violences consécutives avaient conduit des auteurs à centrer leurs réflexions sur les critères psycho-sociologiques du passage au terrorisme.

Notes
143.

« The logic of violence on the terrorist side also tends towards escalation, more violence, more targets, and more brutal violence » (Oberschall, 2004, p. 29).

144.

Mc Adam Doug, 1986, « Recruitment to High Risk Activism : The Case of Freedom Summer », American Journal of Sociology, 92, p. 67.