Présentée par la Commission Européenne dès le 19 septembre 2001, une proposition de décision-cadre visait à harmoniser les législations pénales sur la base d’une infraction terroriste commune. L’incrimination du terrorisme est un des axes prioritaires de la politique européenne contre le terrorisme.
La Commission s’inscrit avec ce document dans le cadre conceptuel du « nouveau » terrorisme caractérisé l’usage d’armes dévastatrices, le fanatisme de ses acteurs et de nouvelles pratiques comme les infractions électroniques.
‘« Le terrorisme a une longue histoire mais ce qui rend le terrorisme actuel particulièrement dangereux c’est que, à la différence des actes terroristes du passé, les effets réels ou potentiels des attaques armées sont de plus en plus dévastateurs et mortels. Cela peut être dû à la sophistication croissante et aux impitoyables ambitions des terroristes eux-mêmes, comme l’ont récemment montré les terribles événements du 11 septembre aux États-Unis. Cela peut aussi résulter de l’évolution technologique […] tant en ce qui concerne le domaine des armes et des explosifs conventionnels que dans les domaines encore plus terrifiants des armes chimiques, biologiques ou nucléaires. En outre, de nouvelles formes de terrorisme apparaissent. A plusieurs occasions récentes, des tensions dans les relations internationales ont entraîné une recrudescence d’attaques contre les systèmes d’information » (Exposé des motifs, Proposition de décision-cadre, Commission Européenne, COM(2001) 521, 19 septembre 2001).’Cette situation nouvelle exige donc un nouveau régime pénal qui doit être distinct du droit commun254. L’objectif est réduire les risques de disparités dans le traitement juridique entre les pays par l’obligation d’une aggravation commune des peines pour les infractions visées et de favoriser la coopération judiciaire par la substitution du processus d’extradition classique par le mandat d’arrêt européen. Cette décision oblige également les États membres à adopter une législation spéciale contre le terrorisme (s’ils n’en disposent pas encore).
‘« Les profonds changements dans la nature des infractions terroristes font apparaître l’insuffisance des formes traditionnelles de coopération judiciaire et policière dans la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme résulte de plus en plus des activités de réseaux opérant au niveau international, qui sont basés dans plusieurs pays, exploitent les lacunes juridiques résultant des limites géographiques des enquêtes et bénéficient parfois d’une importante aide financière et logistique. […] Les terroristes pourraient tirer profit de toute différence de traitement juridique dans les différents États membres. Aujourd’hui, plus que jamais, des mesures doivent être prises pour lutter contre le terrorisme en élaborant des propositions législatives visant à punir de tels actes et en renforçant la coopération policière et judiciaire. […] [La proposition de décision-cadre] a pour objectif de rapprocher les législations des États membres concernant les infractions terroristes […] » (ibid.).’En dépit de la détermination « nouvelle » des infractions terroristes, le cadre conceptuel de l’UE s’inscrit largement dans ces représentations antérieures notamment telles que l’on peut les trouver dans la déclaration de la Gomera255. En outre, le paradoxe est renforcé dans le constat d’une situation originale à laquelle l’UE répond par des moyens anciens comme le mandat d’arrêt européen.
Si on accepte l’hypothèse que les attentats du 11 septembre 2001 ont ouvert une situation nouvelle, force est de constater que les outils promus pour y faire face ont été développés dans un cadre réflexif antérieur au 11 septembre 2001 (le mandat d’arrêt européen avait été présenté lors du Conseil européen de Tampere en Finlande des 15 et 16 octobre 1999). Ainsi, le Commission présente comme une solution adaptée à la rupture profonde des attentats aux États-Unis, des outils répressifs conçus près de deux ans auparavant. Objet syncrétique, la définition de l’UE telle qu’adoptée dans la décision-cadre du 13 juin 2002 reprend la notion du double critère d’incrimination (une liste d’infractions objectives et une qualification objective).
Le document s’inscrit dans la continuité des actions antérieures de l’UE (Convention du Conseil de l’Europe du 23 janvier 1977 sur la répression du terrorisme, déclaration de la Gomera de 1995, TUE, réalisation d’un espace judiciaire de sécurité et de liberté, Europol, etc.) ou des Nations-Unies (la convention de Genève de 1951, la convention pour la répression des attentats terroristes à l’explosif du 15 décembre 1997 et la convention pour la répression du financement du terrorisme du 9 décembre 1999) et réaffirme le respect des droits fondamentaux256. La définition de l’infraction terroriste se fonde sur un double critère constitué d’actes préalablement réprimés en droit pénal et d’une incrimination supplémentaire. Pour l’UE, le terrorisme est un ensemble d’
‘« actes intentionnels […] tels qu’ils sont définis comme infractions par le droit national, qui, par leur nature ou leur contexte, peuvent porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale lorsque l’auteur les commet dans le but de : gravement intimider une population ou contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ou gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou une organisation internationale » (Décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme, Conseil, 2002/475/JAI, 13 juin 2002).’Le double critère de détermination distingue un crime terroriste d’un crime de droit commun par la motivation de l’auteur. Cet objectif recouvre l’intimidation d’une population, la tentative de contrainte sur une entité collective (État ou organisations internationales) ou les atteintes aux structures fondamentales d’un pays. Sur le point de la visée « terroriste », la décision-cadre a précisé la proposition de définition faite par la Commission en septembre 2001.
Cette proposition à la dénomination trop générale avait été critiquée car elle pouvait en théorie qualifier de « terroristes » des crimes relevant des mouvements sociaux ou des violences urbaines257. En dépit d’une précision supérieure (notamment vis-à-vis de la définition juridique française), l’incrimination terroriste ne détermine pas précisément ce que le Conseil entend par la déstabilisation aux structures fondamentales d’un État et elle comporte des éléments de variabilité historique et politique puisque l’acte est à appréhender en fonction de sa « nature » et de son « contexte ». L’ambiguïté se renforce quand on sait que le document rappelle en introduction ses principes fondamentaux dont une représentation dépolitisée des infractions terroristes, issue de la Convention européenne contre le terrorisme de 1977 qui s’illustre par la criminalisation du terrorisme258. Le document tente également de préciser la définition d’un groupe terroriste entendue comme « une association structurée, de plus de deux personnes, établie dans le temps et agissant de façon concertée ». L’élément objectif de la définition est beaucoup plus simple à déterminer puisqu’il se fonde sur des incriminations déjà réprimées dans les régimes pénaux des États-membres.
Les actes visés sont le meurtre, les dommages corporels, l’enlèvement, la prise d’otages, l’intimidation, le chantage, le vol simple ou qualifié, l’usage d’armes ou d’explosifs (c’est-à-dire leur fabrication, leur possession, leur acquisition, leur transport ou leur fourniture), la destruction d’installations gouvernementales, de moyens de transport publics, d’infrastructures, de lieux publics et de biens (publics ou privés) susceptibles de causer la perte de vie humaines ou des conséquences économiques sévères. L’usage d’une double incrimination s’inspire des régimes pénaux des États membres qui disposaient déjà d’une législation antiterroriste spécifique (France, Royaume-Uni, Grèce, Espagne, Italie, Portugal)259. L’approche de la Commission reprise dans la décision-cadre s’inspire de la législation britannique. Le Terrorism Act du 20 juillet 2000 définit le terrorisme par un objectif d’intimidation d’un gouvernement ou d’une population afin de promouvoir une idéologie.
‘« In this Act “terrorism” means the use or threat of action where […] the use or threat is designed to influence the government or to intimidate the public or a section of the public, and the use or threat is made for the purpose of advancing a political, religious or ideological cause » (Part 1, Terrorism Act 2000, 20 juillet 2000).’En dépit d’un volontarisme politique et d’effort de précision quant à la détermination de la nature terroriste d’un acte, la décision-cadre ne parvient à dépasser les défauts intrinsèques des définitions juridiques du terrorisme.
Tout État semble en effet contraint par le paradoxe d’une dramatisation de la menace terroriste qui passe par le dévoilement d’objectifs politiques fondamentaux260 et une répression renforcée qui use d’outils juridiques relevant de la criminalité organisée et nécessitant une dépolitisation de l’acte261. Cependant, concernant l’UE, la désignation relativement générale était volontaire puisque la décision-cadre avait également pour objectif la constitution d’un régime pénal antiterroriste dans les États-membres qui ne disposaient pas de législation spécifique. Plus la définition demeurait générale, plus le rapprochement des législations nationales des États-membres était facilitée. Selon un rapport de la Commission daté du 8 juin 2004262, la majorité des États membres a mis en œuvre les mesures nécessaires même si certaines parties de la décision-cadre n’ont été que partiellement transposées dans quelques droits nationaux. Cette approche générale de la définition empêcha toutefois son maniement aisé.
Par exemple, le Comité d’Experts sur le Terrorisme refusa de l’utiliser pour fonder des conventions ultérieures de lutte contre le terrorisme. Les experts européens semblent en effet dénoncer la visée politique à l’origine de cette définition conduisant à une généralisation des termes employés.
‘« Le CODEXTER a décidé de ne pas utiliser cette définition étant donné qu’elle avait été acceptée par l’Union européenne “aux fins de la position commune” et parce qu’il n’avait pas mandat d’élaborer une convention générale contre le terrorisme mais plutôt un instrument à portée limitée et spécifique à la prévention du terrorisme »263. ’Dans une note de bas de page du présent document, les experts précisaient que « dans le contexte de l’Union européenne, cette définition a été choisie d’un commun accord aux fins du rapprochement de la législation des États membres de l’Union européenne dans la Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 ».
De fait, la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme signée à Varsovie, le 16 mai 2005, utilise dans son article premier la définition issue de la Convention du 9 décembre 1999 sur la répression du financement du terrorisme264. Si ce choix est justifié par la volonté de ne pas alourdir la somme des définitions déjà existantes265, il renforce la circulation circulaire des définitions internationales du terrorisme. Bien que peu satisfaisantes, celles-ci sont consacrées par leurs usages répétés dans les documents juridiques ultérieurs. Ce problème est d’autant plus saillant que cette Convention s’inscrit dans une perspective préventive forte en instituant trois nouvelles infractions susceptibles d’être qualifiées de « terroristes ».
Le problème réside dans la détermination de l’infraction qui peut être parfois difficile à prouver : l’article 6 sur le recrutement du terrorisme incrimine le fait de solliciter une tierce personne à commettre un acte terroriste ou seulement à l’inciter à se joindre à un groupe qui commettrait des actions terroristes266. L’article 7 sur l’entraînement du terrorisme incrimine le fait de donner des instructions servant à la perpétration d’un acte terroriste (fabrication d’explosif, modes d’action violents)267. Enfin l’article 5 qualifie de « terroriste » toute provocation publique pouvant être considérée comme favorisant la perpétration d’actes terroristes268. En outre, selon l’article 8, « pour qu’un acte constitue une infraction au sens des articles 5 à 7 de la présente Convention, il n’est pas nécessaire que l’infraction terroriste soit effectivement commise ». En d’autres termes, certains actes répréhensibles peuvent être qualifiés de « terroristes » sans qu’ils n’aient abouti à la moindre violence alors même que c’est la visée violente de ses actions qui fonde leur incrimination terroriste.
Cette logique préventive, proche en cela de la logique française de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, s’appuie sur d’autres connaissances que les incriminations juridiques (inscription du groupe visé sur les listes internationales d’organisations terroristes) pour qualifier de « terroristes » tels ou tels crimes. En outre, la vérification de la validité des incriminations terroristes que contenaient les procédures classiques d’extradition a disparu au profit de l’accélération des remises de détenus, offerte par le mandat d’arrêt européen.
« Les infractions terroristes diffèrent des infractions de droit commun et affectent d’autres droits prévus par la loi. En conséquence, il semble approprié de prévoir d’autres éléments constitutifs et d’autres sanctions spécifiques pour des infractions d’une telle gravité » (ibid.).
Voir annexes et supra.
« L’Union européenne se fonde sur les valeurs universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres. […] La présente décision-cadre respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes du droit communautaire » (Décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme, Conseil, 2002/475/JAI, 13 juin 2002).
« La [définition de la Commission] ajoute toute une série [d’actes] plus proches de la désobéissance civile ou de moyens de lutte syndicale ou citoyenne (occupation de lieux publics ou d’infrastructures, certains dommages à des propriétés qui ont une valeur symbolique, cyberactions). C’est l’intention politique qui rassemble tous ces actes. Une action anticapitaliste qui se servirait de moyens à la limite de la légalité, voire illégaux, mais en aucune manière violents, serait ainsi considérée comme du terrorisme » (Brown John, « Les périlleuses tentatives pour définir le terrorisme », Le Monde Diplomatique, février 2002, p. 5). Dans son rapport sur la proposition de la Commission, le Parlement Européen avait amendé cet article afin d’exclure de la définition du terrorisme les actes mineurs (Rapport de la Commission des libertés et des droits des citoyens, de la justice et des affaires intérieures, Parlement Européen, A5-0397/2001, 14 novembre 2001).
« Le Conseil de l’Union Européenne considérant ce qui suit […]. La convention […] du 27 janvier 1977 […] ne considère pas les infractions terroristes comme des infractions politique […] ou des infractions inspirées par des mobiles politiques » (ibid.).
« La plupart des actes terroristes sont fondamentalement des infractions de droit commun qui prennent un caractère terroriste en raison des motivations de leur auteur. Si cette motivation consiste à porter gravement atteinte aux bases et aux principes fondamentaux de l’État, à les détruire ou à menacer la population, il s’agit d’une infraction terroriste. C’est sur cette idée que sont fondées les législations des États membres en matière de terrorisme. Bien que leur libellé soit différent, elles sont pour l’essentiel équivalentes » (Proposition de décision-cadre, Commission Européenne, COM(2001) 521, 19 septembre 2001).
« Le terrorisme constitue l’une des plus sérieuses violations de ces principes [de] la démocratie […] de l’État de droit » (Décision-cadre relative à la lutte contre le terrorisme, Conseil, 2002/475/JAI, 13 juin 2002).
En refusant de considérer le terrorisme comme une infraction politique, les États peuvent ainsi éviter la clémence historique accordée au délit politique.
Rapport de la Commission fondé sur la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme, COM(2004)409, 8 juin 2004.
Article 48 du rapport explicatif de la Convention Européenne de Prévention du Terrorisme, 16 mai 2005, Conseil de l’Europe, [en ligne] http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/196.htm , site visité le 25 septembre 2008.
Elle a été ratifiée le 13 février 2008 par le gouvernement français, loin° 2008-134 du 13 février 2008 autorisant la ratification d’une convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, Journal Officiel, 15 février 2008.
« La Convention ne définit pas de nouvelles infractions terroristes qui s’ajouteraient à celles figurant dans les conventions internationales contre le terrorisme. A cet égard, elle fait référence aux traités mentionnés dans son annexe », article 32 du rapport explicatif de la Convention Européenne de Prévention du Terrorisme, 16 mai 2005, Conseil de l’Europe, [en ligne] http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/196.htm , site visité le 25 septembre 2008.
« Aux fins de la présente Convention, on entend par “recrutement pour le terrorisme” le fait de solliciter une autre personne pour commettre ou participer à la commission d’une infraction terroriste, ou pour se joindre à une association ou à un groupe afin de contribuer à la commission d’une ou plusieurs infractions terroristes par l’association ou le groupe », Convention Européenne de Prévention du Terrorisme, 16 mai 2005, Conseil de l’Europe, [en ligne] http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/196.htm , site visité le 25 septembre 2008.
« Aux fins de la présente Convention, on entend par “entraînement pour le terrorisme” le fait de donner des instructions pour la fabrication ou l’utilisation d’explosifs, d’armes à feu ou d’autres armes ou substances nocives ou dangereuses, ou pour d’autres méthodes et techniques spécifiques en vue de commettre une infraction terroriste ou de contribuer à sa commission, sachant que la formation dispensée a pour but de servir à la réalisation d’un tel objectif », Convention Européenne de Prévention du Terrorisme, 16 mai 2005, Conseil de l’Europe, [en ligne] http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/196.htm , site visité le 25 septembre 2008.
« Aux fins de la présente Convention, on entend par “provocation publique à commettre une infraction terroriste” la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition du public d’un message, avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, lorsqu’un tel comportement, qu’il préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, crée un danger qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises », Convention Européenne de Prévention du Terrorisme, 16 mai 2005, Conseil de l’Europe, [en ligne] http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/196.htm , site visité le 25 septembre 2008.