L’adoption du mandat d’arrêt européen marque une inflexion historique dans la jurisprudence de l’infraction politique tant l’extradition a été le lieu de déploiement de la plasticité et des contradictions de l’infraction terroriste269. Ce mandat d’arrêt avait été conçu en 1999 dans le but de remplacer le système d’extradition pour en accélérer la procédure270. Il a donc été décidé avant les attentats aux États-Unis mais ces derniers ont évidemment accéléré son adoption : présenté lors du Conseil extraordinaire consacré à la riposte européenne aux attentats, le 21 septembre 2001, entériné par le Conseil JAI des 6 et 7 décembre 2001 et adopté le 13 juin 2002 en vue d’une entrée en vigueur le 1er janvier 2004.
Le mandat d’arrêt remplace les procédures d’extradition classiques en constituant une liste d’incriminations (dont le terrorisme fait partie avec la traite des êtres humains, la participation à une organisation criminelle, le faux monnayage, l’homicide, la corruption, etc.271) qui peut donner lieu à une remise de l’État d’exécution (pays où a été arrêté le criminel) à l’État d’émission (pays qui a émis le mandat d’arrêt) sans contrôle de la double incrimination (les autorité judiciaires de l’État d’exécution vérifient que l’infraction est également punie dans son droit pénal). Cet instrument implique deux logiques importantes. La première est une dépolitisation du processus d’extradition dans la mesure où les autorités judiciaires des États membres peuvent communiquer directement sans médiation des autorités gouvernementales. Seconde logique, c’est la reconnaissance mutuelle des systèmes judiciaires de l’ensemble des pays membres ce qui constitue une avancée notable dans l’objectif d’un espace judiciaire européen272.
Le mandat d’arrêt est le produit d’un processus d’approfondissement de l’intégration européenne, amorcée par la Commission européenne. Soutenue par des acteurs judiciaires en lutte contre le manque de coopération entre les États en matière de corruption273, la Commission proposa, au cours des années 1999, de nombreuses expertises et décisions allant dans le sens d’une amélioration de la coopération judiciaire entre les États avec pour objectif final, la création d’un espace judicaire européen. Afin de dépasser les réserves étatique traditionnelles sur des questions relevant de la souveraineté nationale, la Commission diffusa un récit de menaces transnationales (criminalité organisée, délinquance financière, etc.) déjà existant au niveau national274 et capable de faire accepter aux États la dépossession d’une partie de leurs prérogatives.
‘« Si la Commission recherche avant tout une extension de ses prérogatives, les chancelleries nationales entendent garder leur pouvoir de décision dans un domaine très politique : si pour les gouvernements, la représentation symbolique de l’État est en jeu, pour la Commission, étendre ses conséquences dans ces domaines, c’est asseoir la légitimité politique de l’Union Européenne » (Mégie, 2004, p. 105-106).’Progressivement, une logique de collaboration se substitua à la logique de compétition comme le symbolisa le Conseil européen de Tampere, instance de l’intergouvernementabilité, où les États membres encouragèrent la Commission à proposer de nouvelles règles en vue de l’unification d’un espace judiciaire commun275.
Ainsi, la période ouverte par les attentats du 11 septembre 2001 accéléra le processus de négociation et d’adhésion du projet de mandat européen, contraignant les dirigeants européens à communiquer rapidement sur des mesures répressives concrètes.
‘« [Il] semble que le 11 septembre ait accéléré le processus de décision, en incitant les États européens à faire un geste politique et médiatique dans le souci de montrer leur position en faveur de la lutte contre le terrorisme, sur la base du travail technique et juridique dirigé par la Commission. En d’autres termes, les attentats ont créé une convergence d’intérêts entre les deux têtes de l’exécutif européen, dont les objectifs étaient jusque-là divergents » (Mégie, 2004, p. 113).’La convergence se produit également entre les crimes visés par le nouvel instrument judiciaire, la lutte contre la criminalité, les trafics de drogue ou d’êtres humains étant devancés par la lutte contre le terrorisme. Ce déplacement a été d’autant plus facile à effectuer qu’il s’inscrit dans un processus similaire de construction de la menace. La criminalité organisée, personnifiée dans la figure du « migrant criminel », est mise au second plan par la lutte contre le terrorisme, personnifiée par la figure du « migrant terroriste ».
‘« Le concept de sécurité jadis axé sur la criminalité organisée a été réorienté vers le terrorisme. Cependant, il n’est pas possible de parler de révolution mais d’évolution du concept. En effet, la menace même si elle a changé d’objet, demeure toujours personnifiée par l’étranger. La création du nouveau concept européen de sécurité ne contredit pas l’ancien : l’étranger demeure toujours une menace. Seulement au lieu d’être un criminel potentiel, il est un terroriste potentiel » (Berthelet, 2002).’A l’instar de la stratégie valorisée pour la lutte contre la criminalité, la lutte contre le terrorisme doit passer par une coopération accrue tant au niveau policier que judiciaire entre les pays européens : la liberté de circulation des criminels doit être réduite par l’échange d’informations entre les policiers et l’amélioration de la coordination entre les différents services et le risque d’un traitement judiciaire différent est amoindri par l’harmonisation judiciaire, issue de la reconnaissance mutuelle et du mandat d’arrêt.
Mais Antoine Mégie précisait que si les États ont abandonné une partie de leurs prérogatives lors du processus d’adoption du projet à l’automne 2001, ils ont réaffirmé leur souveraineté en négociant âprement certains points au cours de la mise en œuvre concrète du mandat.
‘« En pratique, l’utilisation du mandat d’arrêt européen dans la lutte contre le terrorisme est donc entravée par les dynamiques politiques et institutionnelles que le processus de négociation avaient surmontées dans le contexte de l’après-11 septembre mais qui sont réapparues au moment de la mise en œuvre. [Ainsi], la mise en œuvre de la nouvelle procédure d’extradition reste fortement tributaire de la volonté des pouvoirs étatiques » (Mégie, 2004, p. 116).’Ainsi, au 1er janvier 2004, seuls huit États avaient introduit le mandat d’arrêt européen dans leur législation nationale (Royaume-Uni, Irlande, Espagne, Portugal, Belgique, Danemark, Finlande et Suède). Le mandat d’arrêt européen a été institué en France par la loi Perben 2 du 9 mars 2004276 avec deux limites à l’exécution d’une remise : l’article 695-22 qui porte sur des discriminations de toute nature (âge minimal, amnistie, etc.) et l’article 695-23 si l’objet du mandat ne constitue pas une infraction au regard de la loi française. Au 1er novembre 2004, tous les États membres, sauf l’Italie, avaient transposé le mandat d’arrêt ; l’attentat du 11 mars 2004 à Madrid accélérant les procédures de transposition des États retardataires. Lors de son dernier rapport de mise en œuvre le 11 juillet 2007, la Commission qualifiait le mandat d’arrêt de « succès » en dépit de « certaines difficultés initiales de transposition »277.
Le rapport révèle également la liberté laissée aux États-membres dans la transposition des décisions du Conseil. La visée de rapprochement de la décision-cadre du 13 juin 2002 est contrainte par la marge de manœuvre laissée aux États-membre dans l’établissement des sanctions, l’obligation d’incriminer la tentative ou la complicité d’infraction terroriste ou la mise en œuvre de la stratégie communautaire. Ainsi, en matière d’antiterrorisme, il semble plus juste d’évoquer une « harmonisation de surface » plutôt qu’une intégration des politiques des États-membres (Adam, 2005, p. 42). L’exemple du mandat d’arrêt inscrit toutefois la stratégie européenne de lutte contre le terrorisme dans une stratégie de criminalisation à travers l’adoption d’une définition commune de l’infraction terroriste et les instruments répressifs utilisés.
Ce retour sur les insuffisances de l’appréhension du terrorisme, comme infraction distinctive des crimes politiques, ouvrant des régimes pénaux spécifiques, nous incite à revenir sur le contexte de production de ces normes juridiques.
Présenté au début du chapitre comme une codification de relations sociales, le droit n’est qu’une formalisation de pratiques sociales inscrites dans une période historique donnée. Une compréhension des insuffisances comme des avancées de la théorie juridique au sujet du terrorisme ne saurait être complète sans revenir sur son contexte de production. D’autant que ce régime juridique s’est constitué de manière réactive, le législateur produisant des règles normatives dans des contextes marqués par la tension et l’urgence à la suite d’une multiplication des attentats.
‘« [Face] à une multiplication d’attentats, [la situation] devient intolérable parce que l’opinion publique réclame des résultats immédiats et que le politique a besoin de ces résultats. En définitive, ce sont les événements qui ont conditionné l’évolution des structures juridiques » (Jean-Pierre Pochon, Pochon et Caprioli, 2004, p. 160).’En outre ce régime pénal s’insère dans un dispositif, policier et judiciaire, centralisé dont l’originalité a été mise en avant depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Un magistrat français évoque une « révolution copernicienne » pour mesurer l’impact du mandat d’arrêt en matière de coopération judiciaire (Cécile Prieur, « Les Quinze prennent des mesures pour combattre le terrorisme », Le Monde, 22 septembre 2001).
« En matière pénale, le Conseil européen engage les États membres à ratifier sans tarder les conventions d’extradition de l'UE de 1995 et 1996. Il estime que la procédure formelle d’extradition devrait être supprimée entre les États membres pour les personnes qui tentent d’échapper à la justice après avoir fait l’objet d’une condamnation définitive et remplacée par un simple transfèrement de ces personnes, conformément à l’article 6 du traité UE. Il convient également d’envisager des procédures accélérées d’extradition, sans préjudice du principe du droit à un procès équitable » (Conclusions du Conseil Européen de Tampere, Conseil, 15 et 16 octobre 1999).
A l’origine, la lutte contre le terrorisme n’était pas présentée comme l’objectif prioritaire de la coopération au sein de l’UE. « Le Conseil européen demande que les équipes communes d’enquêtes prévues par le traité soient mises sur pied sans délai, dans un premier temps, pour lutter contre le trafic de drogue et la traite des êtres humains, ainsi que contre le terrorisme » (Conclusions du Conseil Européen de Tampere, Conseil, 15 et 16 octobre 1999).
« Le Conseil européen de Tampere invitait les États membres à faire du principe de la reconnaissance mutuelle la “pierre angulaire” d’un véritable espace judiciaire européen » (Décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002).
Le 1er octobre 1996, sept magistrats européens ont lancé un appel aux États européens afin qu’ils prennent conscience des menaces engendrées par la criminalité organisée. Ils dénonçaient l’inégalité et l’inefficacité des systèmes judiciaires dans la lutte contre le blanchiment d’argent et les paradis fiscaux. Désignée depuis comme « l’Appel de Genève », cette interpellation médiatique fût l’objet d’un ouvrage du journaliste Denis Robert (Robert Denis, 1996, La justice ou le chaos, Paris, Stock, 347 p.).
Dans son article sur l’analyse sociologique du processus de décision du mandat d’arrêt européen, Antoine Mégie rappelle que le thème de la criminalité organisée, objet d’une forte exposition médiatique et scientifique à la suite l’accroissement du trafic de stupéfiants des années soixante-dix, investit progressivement le champ politique à travers des rapports d’enquêtes parlementaires ou la multiplication de conférences politiques (Mégie, 2004, p. 94).
« Le Conseil européen est déterminé à faire de l’Union un espace de liberté, de sécurité et de justice en exploitant pleinement les possibilités offertes par le traité d’Amsterdam. [… ] La Commission est invitée à présenter une proposition de tableau de bord à cette fin » (Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Tampere, 15-16 octobre 1999, document disponible sur http://www.europarl.europa.eu/summits/tam_fr.htm#b , site visité le 5 septembre 2008).
Article 17 de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Ce succès est mesuré à la fois dans le volume d’émissions de mandat (six mille neuf cent en 2005) et dans le raccourcissement des délais de remise (la durée moyenne d’une extradition est passé d’un an à quarante-trois jours, voire onze jours pour certains cas), « Rapport de la Commission sur la mise en œuvre, depuis 2005, de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres », Commission, SEC(2007) 979, 11 juillet 2007.