Nous avons vu la centralité de la loi du 9 septembre 1986 dans la définition juridique du terrorisme et la constitution d’un régime pénal dérogatoire. Cette loi marque également un tournant fondateur dans le dispositif, policier et judiciaire, de lutte contre le terrorisme. Complété par les lois du 22 juillet 1996, du 15 novembre 2001, du 9 septembre 2002, du 18 mars 2003, du 9 mars 2004 et du 23 janvier 2006337, le système français a été consacré depuis le 11 septembre 2001338. La constitution historique de ce dispositif, tout à la fois législatif, juridique et opérationnel, est marquée par un double mouvement, pragmatique et préventif.
D’une part, si les outils juridiques adoptés visaient initialement à renforcer la répression des actes terroristes, une logique préventive s’est progressivement rajoutée pour modifier en profondeur le sens du dispositif. « Notre stratégie est celle de la neutralisation préventive judiciaire. Les lois antiterroristes mises en place en 1986 puis en 1996, font notre force. On a créé les outils pour neutraliser les groupes opérationnels avant qu’ils ne passent à l’action »339. D’autre part, le système antiterroriste français est le produit des décisions et de réformes consécutives à des attentats, notamment en 1986 et en 1996. « Dans ce domaine comme dans d’autres, on progresse sur un mode réactif : jusqu’à présent, rares sont les cas où les réformes structurelles ont devancé les événements. On s’adapte, mais on anticipe guère, ou plutôt on anticipe par adaptation » (Pochon, Pochon et Caprioli, 2004, p. 175). Nous souhaitons donc éclairer la nature empirique et réactive du système français de lutte contre le terrorisme à travers le retour sur les origines de sa constitution.
Pour cela, nous nous sommes inspirés de la catégorisation effectuée par deux chercheurs anglo-saxons, Jeremy Shapiro et Benedict Susan, afin d’interpréter cette période historique selon trois grandes périodes : la sanctuarisation (des années 1970 jusqu’à 1986), la suppression (à partir de septembre 1986 jusqu’aux années 1993/1994) et la prévention (depuis 1994/1995 jusqu’à aujourd’hui) (Shapiro, Susan, 2003)340.
Il est intéressant de noter que mise à part la loi du 23 janvier 2006 qui évoque expressément le terrorisme, les autres lois qui adaptent les réponses antiterroristes s’insèrent dans des textes traitant de la sécurité en général : loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure et loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. La loi de janvier 2006 n’est pas exempte de certains amalgames puisque sa dénomination complète la « loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant diverses dispositions sur la sécurité et les contrôles frontaliers ».
« Le système judiciaire de lutte contre le terrorisme, régulièrement adapté depuis 1986, donne satisfaction. Il ne nécessite pas de réforme d’ampleur », La France face au terrorisme. Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, Paris, La Documentation Française, 2006, p. 55.
Christophe Chaboud, directeur de l’UCLAT cité dans « La menace terroriste contre la France est élevée », Libération, 18 octobre 2006.
En dépit d’une démarcation temporelle pas toujours très nette, les auteurs rajoutaient une quatrième période, renvoyant à une stratégie de négociation qui prévalu, selon eux, au cours de l’été 1986 (Shapiro, Susan, 2003, p. 73-74).