2.2 Le basculement de l’été 1986 : de l’accommodement à la répression du terrorisme

La fin d’année 1985 et le début d’année 1986 sont scandées par une série d’attentats revendiqués par le Comité de Solidarité avec les Prisonniers Politiques Arabes qui, au-delà d’une vulgate marxiste359, réclame la libération de trois membres d’organisations terroristes détenus en France : Waroujan Karbedjian (chef du commando de l’ASALA, responsable de l’attentat à Orly devant le comptoir de la Turkish Airlines, le 15 juillet 1983, huit morts et cinquante-deux blessés), Anis Naccache (condamné, le 10 mars 1982, à la prison à la perpétuité360) et Georges Ibrahim Abdallah (alias Abdel Kader Saadi, chef présumé des Fractions armées révolutionnaires libanaises, FARL) qui attend son jugement par la cour d’assises de Lyon en juillet 1986.

La campagne électorale, marquée par le thème de la montée de l’insécurité, prendra un tour tragique avec l’annonce de la mort de Michel Seurat, le 5 mars 1986361, les menaces d’assassinat à l’encontre des diplomates enlevés, le 8 mars, l’enlèvement de l’équipe d’Antenne 2 le 9 mars et les atermoiements du ministère de l’Intérieur lors de l’expulsion vers l’Irak de deux membres d’une organisation en opposition au régime de Saddam Hussein362.

Les attentats de 1985/1986 à Paris
7 décembre 1985 Une bombe explose dans les grands magasins Printemps et Galeries Lafayette à Paris : 35 blessés.
3 février 1986 Une bombe explose au sein de la galerie marchande de l’hôtel Claridge sur les Champs-Elysées : 8 blessés. Une bombe est désamorcée au 3ème étage de la Tour Eiffel une heure plus tard.
4 février Explosion à la librairie Gibert Joseph à Paris : 4 blessés.
5 février Une bombe explose dans le magasin Fnac-Sport du forum des Halles : 9 blessés.
5 mars Le Djihad islamique revendique l’assassinat de Michel Seurat dans un communiqué qui dénonce le soutien français à l’Irak.
16 mars Victoire de l’opposition RPR/UDF aux élections législatives.
17 mars Explosion suivie d’un incendie au sein du TGV Paris-Lyon : 9 blessés. Nomination de Jacques Chirac comme Premier Ministre.
20 mars Une bombe explose dans la galerie Point-Show sur les Champs-Elysées : 2 morts et 28 blessés. Quelques minutes plus tard, une bombe est désamorcée dans le métro à la station Châtelet.
4 septembre Attentat manqué contre le RER à la gare de Lyon.
8 septembre Une bombe explose au bureau de poste de l’Hôtel de ville de Paris : 1 mort, 18 blessés.
12 septembre Une bombe explose à la cafétéria Casino du centre commercial de la Défense : 31 blessés.
14 septembre Une bombe explose au moment de son désamorçage contre le pub à Paris : 3 morts et 1 blessé.
15 septembre Une bombe explose à la préfecture de police de Paris : 1 mort et 51 blessés. Attentat revendiqué à Beyrouth par un groupe inconnu (les Partisans du Droit et de la Liberté) semblant appartenir au même réseau que le CSPPA (l’objectif étant d’augmenter la pression par une double revendication).
16 septembre Une bombe contre un restaurant au Nord de Paris : 1 blessé
17 septembre Une voiture piégée explose près du magasin Tati, rue de Rennes, à Paris : 7 morts et 51 blessés.
  Total : 14 morts et 246 blessés

Face à cette situation, les futurs dirigeants choisiront la voie de la dramatisation. Ainsi, Jacques Chirac, nommé Premier Ministre à la suite de la victoire de l’opposition de droite aux élections législatives du 16 mars 1986, assimilera « le terrorisme [à] une forme de guerre » (Madelin, 1988, p. 124) tandis que son futur ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, affirmera sa volonté de « terroriser les terroristes » (cité par Le Monde, 16 mars 1989). Ces déclarations de guerre avaient pour but de mobiliser une population à laquelle les dirigeants politiques demandèrent une méfiance accrue363. Ainsi le nouveau Premier Ministre exigea une vigilance supplémentaire de la population à l’occasion d’une déclaration le 22 mars 1986.

‘« Il ne s’agit pas de tomber dans l’excès de je ne sais quelle psychose mais il faut être attentif […] pour faire en sorte que les paquets suspects soient identifiés. Il vaut mieux se tromper que prendre le risque de voir un engin qui explose » (cité par Le Monde, 25 mars 1986) 364. ’

Cette stratégie de simulation s’intègre également dans un cadre d’interprétation qui faisait du terrorisme une relation interétatique dissimulée, violente et discréditée.

Le terrorisme était lu comme une stratégie indirecte, « une diplomatie coercitive »365 menée par un État étranger sur le sol français. D’ailleurs selon les médias français et les autorités gouvernementales, les revendications privées du CSPPA (la libération de Georges Ibrahim Abdallah) étaient supposées masquer les intérêts stratégiques de la Syrie au Liban (Quadruppani, 1989, p. 270). Le printemps et l’été 1986 furent d’ailleurs marqués par un débat politique intense au sujet de la possibilité, soit de libérer Georges Ibrahim Abdallah, soit de le condamner à une peine légère lors de son second procès prévu pour le début d’année 1987366. Cette version domina lors des assises alors même que Georges Ibrahim Abdallah était jugé pour sa participation à l’assassinat de diplomates étrangers367. Les autorités françaises, craignant une reprise des attentats, souhaitaient un verdict clément que la cour d’assises spéciale leur refusa en condamnant Georges Ibrahim Abdallah à la perpétuité368. En définitive, la vague d’attentats prit fin sans explication définitive369. Puis le gouvernement enregistra en mars 1987 un premier succès avec l’arrestation370 par la DST du véritable responsable des attentats : le réseau d’Ali Fouad Saleh lié au Hezbollah libanais.

‘« La connexion avec le Hezbollah est donc quasiment certaine. C’est cette organisation qui a programmé les attentats en France en s’appuyant sur un réseau volant très limité (une ou deux personnes) et sur un réseau sur place lui aussi très réduit et dont l’allégeance tient à la seule personne de Fouad Saleh » (Bigo, 1992, p. 153).’

L’apparition du Hezbollah, étroitement lié à l’Iran, modifie les représentations quant aux motivations des poseurs de bombe. A travers l’intermédiaire du Hezbollah, l’Iran voulait faire pression sur la France afin qu’elle stoppe ses livraisons d’armes à l’Irak. Si cette implication ne fait guère doute pour certains371, elle n’a pu être prouvée judiciairement.

En effet, les parrainages divers et contradictoires des organisations violentes complexifiaient l’étiologie des événements. Le retour judiciaire sur l’organisation du réseau (à la fois humaine et logistique), les motivations des acteurs et les parrainages divers et contradictoires contribuent à modifier l’analyse des évolutions du « terrorisme international ».

‘« Dans une telle campagne d’attentats un des acteurs a-t-il pu avoir une stratégie planifiée et obtenir les résultats qu’il escomptait ou la situation, de par la multiplication des tiers et des parasites [notamment la Syrie], a-t-elle échappé totalement aux acteurs initiaux [Hezbollah] pour profiter aux derniers venus [Iran] » (Bigo, 1992, p. 163).’

Cette difficulté d’appréhension est reconnue également par Gilles Ménage372.

‘« Le terrorisme international était une guerre larvée faite par associations ou regroupements de factions terroristes, variables dans leur composition et fluctuants dans leurs “revendications”. Les signatures constituaient à la fois un leurre et un message. […] Dans ce dédale se perdaient nos recherches, cependant que les responsabilités apparentes se dissolvaient dans le chaos d’une guerre civile soigneusement prolongée par ceux qui se réjouissaient des facilités qu’elle offrait. Il n’a pas été aisé de se roder à cette diplomatie de la terreur […]. » (Ménage, 2001, p. 17).’

La stratégie de simulation se matérialisa dans plusieurs mesures politiques qui affichèrent la mobilisation et la fermeté des autorités.

Un Conseil de Sécurité fut créé autour du Premier Ministre qui comprenait également les ministres de la Justice, de l’Intérieur, de la Défense, des Affaires Étrangères, le directeur général de la Police Nationale, celui de la Gendarmerie, de la DGSE, des affaires criminelles et des grâces à la Chancellerie, le Secrétaire Général de la Défense Nationale et les chefs du service sécurité et défense. La seconde mesure, adoptée également par décret, portait sur une gestion informatique élargie des cartes d’identités (notamment par l’autorité judiciaire, la police ou la gendarmerie, en plus des services directement en charge de ce dossier). Le gouvernement décida enfin de renforcer les moyens juridiques pour lutter contre le terrorisme et de réorganiser les services qui participent à cette lutte. Loin d’une adoption précipitée ou contrainte par l’actualité, les mesures gouvernementales prolongèrent une vision, issue de propositions de magistrats, comme Alain Marsaud en charge de l’instruction des attentats de décembre 1985 et de février 1986373, et de parlementaires qui avaient consacré l’aggravation de la menace terroriste374. Ces mesures seront insérées au projet de loi relatif à la sécurité des biens et des personnes, présentés par le garde des Sceaux, Albin Chalandon, en conseil des ministres le 28 mai 1986.

Dans son volet antiterroriste, le projet de loi comprend une définition spécifique des actes de terrorisme, une centralisation des affaires terroristes au sein de formations spécialisées de magistrats parisiens, l’extension de la durée de la garde à vue à quatre jours, le report de l’intervention de l’avocat à la soixante-douzième heure de garde à vue, l’alourdissement des peines (un maximum de vingt ans de réclusion criminelle), l’extension des contrôles de police et l’exemption de peines pour des criminels qui empêchent la réalisation d’un attentat et l’interdiction de séjour pour les étrangers accusés de terrorisme. Le projet de loi comportait une ambiguïté fondamentale vis-à-vis de l’incrimination de crime terroriste, résultant d’une liste objective de crimes et délits et d’une intention des auteurs de troubler gravement la paix publique par l’intimidation ou la terreur.

Le gouvernement ne souhaitait pas créer une incrimination spécifique375 tout en instituant des procédures particulières applicables en cas de terrorisme. Dans la pratique, ce fut bien une définition distinctive du terrorisme que produisit la loi du 9 septembre 1986. Cette dernière présente donc un double visage, à la fois « trivial » (Camus, 2007, p. 117) avec l’utilisation d’incrimination classiques (déjà réprimées par le Code Pénal telles que l’atteinte à la vie, l’atteinte à l’intégrité de la personne, le vol, la détention d’armes ou la constitution de groupes de combat) et exceptionnel, avec le déclenchement possible d’une procédure singulière du début de l’instruction jusqu’au jugement. Cette ambiguïté trouve son fondement dans la volonté du ministre de la Justice de ne pas constituer d’innovations juridiques majeures mais de privilégier une logique plus pragmatique d’adaptation de la justice à une nouvelle menace.

‘« Nous n’avons pas voulu, nous, faire des mausolées législatifs, des monuments du droit. Dans des domaines bien ciblés, nous avons apporté des améliorations qui étaient indispensables à l’efficacité de la lutte contre le terrorisme » (Jacques Toubon, secrétaire général du RPR, cité par Le Monde, 13 septembre 1986).’

Lors de la discussion à l’Assemblée, le parti socialiste adopta une posture mesurée. Globalement d’accord sur la finalité de la loi, la lutte contre le terrorisme, les socialistes firent porter le désaccord plus sur les moyens, notamment l’usage d’une définition imprécise376.

Le Conseil Constitutionnel valida la loi par sa décision n° 86-213 du 3 septembre 1986. Elle est complétée par la loi du 30 décembre 1986 qui prévoit le jugement des crimes terroristes par une cour d’assises spéciale composée uniquement de magistrats professionnels et issue de la procédure judiciaire militaire377. Cet ensemble législatif marque un tournant dont la teneur n’était pas mesurable lors de son adoption.

Par l’organisation spécialisée et centralisée qu’elle met en place, par la dérogation au droit commun mais également par sa justification politique pragmatique, cette loi creuse un sillon qui va guider durablement la stratégie française de lutte contre le terrorisme. Pour Colombe Camus, la loi du 9 septembre 1986 clôt une appréhension bienveillante de la violence politique par

‘« le refus systématique de reconnaître une quelconque légitimité aux révolutionnaires et autres combattants nationalistes pour leur préférer le statut de criminel : toute violence politique issue d’organisations clandestines (nationales ou étrangères) sera désormais tenue pour illégitime, quelles que soient ses motivations » (Camus, 2007, p. 117).’

Cette perspective était déjà clairement avouée par certains acteurs tels que le juge d’instruction antiterroriste Alain Marsaud. « La loi a ainsi considéré que les infractions terroristes […] ne relevaient pas de la violence politique mais d’infractions de droit commun. Le message était clair : les terroristes sont avant tout des auteurs de crimes ou de délits, quelle que soit la motivation de leurs actes »378. Pourtant, son nature fondatrice et son efficacité future n’ont pas été décelés à l’époque ; la politisation de la lutte et les attentats se perpétuant au cours de l’année.

Ce doute fut partagé par de nombreux policiers qui contestaient la pertinence d’une solution policière à la recrudescence des attentats de septembre 1986 par rapport à la voie politique et diplomatique.

‘« Tant que les causes de cette violence subsisteront dans le monde et tant que de telles actions sont conçues pour atteindre un objectif précis, à savoir créer une inquiétude permanente dans les démocraties afin d’obtenir d’elles des concessions, le terrorisme ne disparaîtra pas de la planète. Il croîtra et embellira »379.’

La gauche s’éleva également contre la centralisation des services antiterroristes qu’elle voyait comme une reprise en main partisane. La nomination d’Alain Marsaud, en 1986, à la tête du parquet antiterroriste, suscita un certain nombre de critiques au sein de la magistrature sur son affiliation partisane à droite. Son entrée en politique, en 1989, aux côtés du centriste Alain Poher ne fit que renforcer cette perception. D’une manière générale, à partir de 1988, les rapports entre la 14ème section et le gouvernement socialiste furent des plus tendus ce qui n’améliora donc pas l’efficacité de la structure (Cettina, 1994, p. 159-160). En outre, le gouvernement de Jacques Chirac et notamment son omnipotent ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, avaient maintenu la lutte contre le terrorisme au niveau des relations d’État à État en poursuivant des négociations officieuses avec les organisations libanaises380. Second élément favorisant l’absence de qualification historique à la nouvelle loi antiterroriste, l’aggravation de la situation sécuritaire.

Le mois de septembre 1986 est ainsi marqué par une série d’attentats quotidiens et meurtriers (douze morts et cent cinquante trois blessés). Après le calme du printemps et de l’été 1986381, l’ampleur de la violence stupéfia les autorités françaises et plaça la population parisienne dans une tension extrême. Un sondage Le Figaro-Sofres, paru le 14 septembre 1986, dévoila que 75% des personnes interrogées estimaient que la France était en guerre et 60% qu’il fallait aider la police382. Le gouvernement réagit par un discours guerrier qui appelait à la mobilisation et à la vigilance de l’ensemble de la population. « Il faut que chacun se sente concerné c’est-à-dire soit vigilant et n’hésite pas à alerter instantanément les forces de police dès que quelque chose de suspect apparaît » (Jacques Chirac, 4 septembre 1986)383. Les mesures adoptées dépassèrent donc le cadre de la loi votée en juillet : expulsions de douze ressortissants proche-orientaux interpellés durant l’enquête sur l’attentat du 8 septembre, instauration temporaire d’un visa pour tous les étrangers (hors CEE et Suisse), contrôle des entrées dans les lieux et les services publics, développement de la coopération internationale en matière de renseignement et d’action et mise en œuvre des lois récentes sur les contrôles d’identité généralisés.

Matérialisation d’une stratégie de simulation guerrière, la participation de quelque deux mille soldats à des tâches de contrôle des frontières et de sécurité publique visait à rassurer la population par la visibilité de la fermeté du gouvernement. Elle anticipait également une modification profonde de l’outil militaire.

‘« [Dès] septembre 1986, l’armée offre un renfort humain pour protéger les sites sensibles, dissuader et réconforter la population. […] Une surveillance visible se met en place. Un usage renouvelé, modernisé et adapté du contingent militaire se dessine. Désormais les unités militaires remplissent des tâches de sécurité intérieure apportant une réponse aux besoins matériels de sécurité intérieure » (Cettina, 2001, p. 112).’

En dépit de toutes ces mesures, c’est un travail classique de police et de renseignements (à l’aide d’écoutes et d’utilisation d’informateurs) qui permit le démantèlement du réseau terroriste en mars 1987.

La représentation du « terrorisme international » s’est complexifiée avec l’arrestation de Fouad Ali Saleh, revendiquant des motivations de nature politique (le soutien de la France) et religieuse (la défense de l’Iran, pays sacré de l’Islam)384. Le 14 avril 1992, la cour d’assises spéciale de Paris condamna Fouad Ali Saleh à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 18 ans. Ses complices, un autre Tunisien Hassan Aroua qui avait transporté des explosifs, et le Marocain Omar Agnaou, qui les avait entreposés chez lui, furent condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Abdelhamid Badaoui, un étudiant marocain bénéficiant du statut de repenti, écopa de 20 ans de réclusion385. Si l’homogénéité religieuse du groupe fut loin d’être établie, comme le montre la délation très rapide que les membres pratiquèrent les uns envers les autres dès leur arrestation, il n’en resta pas moins que les motivations de Fouad Ali Saleh étaient gouvernées par une haine destructrice de l’Occident (Bigo, 1992, p. 166). Cette modification du cadre d’analyse sera entérinée par l’ancrage progressif de la menace « islamiste »386 et une nouvelle vague d’attentats au cours de l’été 1995.

Notes
359.

Dans un communiqué du 12 septembre 1986, le CSPPA dénonçait l’impérialisme américain : « la vraie maladie c’est l’impérialisme américain et les gouvernements de la bourgeoisie européenne qui lui sont inféodés », cité par Le Monde, « Nous sommes les vraies héritiers du courant humaniste », 14-15 septembre 1986.

360.

Il fût gracié par François Mitterrand en 1992. Gilles Ménage commente cette grâce comme un mélange de pragmatisme et de fermeté : « François Mitterrand n’accepta de les [Naccache et ses complices] gracier qu’après qu’ils eurent accompli dix ans de prison et que les conditions légales pour leur libération anticipée pour remise de peine eurent été réunies. Au cours de ces dix années, la France paya le refus de libérer Anis Naccache et ses compagnons d’un tribut de souffrances et de sang dont on ne peut mesurer l’ampleur avec exactitude, tant les motivations de la nébuleuse terroriste qui agit au cours de cette période furent complexes, diverses et imbriquées. [Au] total, le refus de céder et de libérer Anis Naccache et ses complices s’est traduit par plusieurs dizaines d’attentats et de morts, des détournements d’avions et des prises d’otages » (Ménage, 2001, p. 13).

361.

Michel Seurat mourra au cours de sa détention tandis que l’organisation qui l’avait enlevé, le Djihad Islamique, annonça son exécution le 5 mars. Selon sa femme Marie, Michel Seurat souffrait d’une hépatite ou d’un cancer et il aurait été achevé par ses geôliers. Le 7 mars 2006, sa dépouille, découverte quelque mois plus tôt à Beyrouth, a été rapatriée en France. Le 22 mai 2002, Marie Seurat et cinq des anciens otages (Roger Auque, Marcel Carton, Georges Hansen, Jean-Paul Kauffmann et Jean-Louis Normandin) avaient déposé plainte contre X, devant la justice française pour « crimes d’enlèvement et de séquestration aggravés en relation avec une entreprise terroriste » sans que l’instruction n’ait pu aboutir à ce jour, « Marie Seurat s’en prend au juge Bruguière », RFI Radio France Internationale, URL : http://www.rfi.fr/actufr/articles/073/article_40982.asp , site visité le 23 mars 2006.

362.

Cette erreur fût assimilée à une provocation à l’encontre du régime iranien, présenté comme le commanditaire, au moins indirect, des prises d’otages du Djihad Islamique qui réclamait alors la fin du soutien français à l’Irak. Qualifiée de « naïveté sinon d’inconscience » par Edwy Plenel (« La faute… à la procédure », Le Monde, 9 et 10 mars 1986), l’attitude de Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur, fut fragilisée par la colère de Mme Seurat : « M. Pierre Joxe a fait assassiner mon mari » cité par Le Monde du 13 mars 1986. Finalement, la fermeté affichée par le gouvernement dès l’enlèvement des journalistes lui permis de reprendre provisoirement la main, « Otages : MM. Barre et Chirac approuvent la fermeté du pouvoir », Une du Monde, 12 mars 1986.

363.

Ces déclarations martiales n’impliquèrent pas une participation majeure de l’armée à la lutte contre le terrorisme qui demeurait de la compétence de la police, en l’occurrence de la brigade criminelle de la Préfecture de Police de Paris, aidée de la DST, qui mènera les enquêtes de 1985 et 1986.

364.

L’injonction se fera plus pressante à la suite de la nouvelle vague d’attentats déclenchée en septembre de la même année : « Il faut que chacun se sente concerné c’est-à-dire soit vigilant et n’hésite pas à alerter instantanément les forces de police dès que quelque chose de suspect apparaît » (cité par Le Monde, 6 septembre 1986).

365.

Gérard Chaliand, « Une diplomatie coercitive », Le Monde, 26 mars 1986.

366.

Georges Ibrahim Abdallah a été condamné, le 10 juillet 1986, à quatre ans d’emprisonnement pour usage de faux papiers et détention d’armes et d’explosifs. Sous la pression des autorités américaines et la découverte opportune d’une cache d’armes par la DST, un second procès fut organisé pour le début d’année 1987 (Quadruppani, 1989, p. 270).

367.

Dans son ouvrage, Serge Quadruppani évoque un conflit d’intérêts entre les RG et la DST pour expliquer, en partie, la multiplication des pistes concernant les commanditaires des vagues d’attentats de 1986. Il cite le journaliste du Monde, Edwy Plenel, qui lui assura que le gouvernement était convaincu de l’implication du clan Abdallah au moins, jusqu’à la fin d’année 1986 (Quadruppani, 1989, p. 271).

368.

Le 21 février 1987, la police arrêta les quatre membres principaux d’Action Directe (Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joëlle Aubron et Georges Cipriani) près de Vitry-aux-Loges. Avec ce succès politique éclatant, les autorités politiques estimaient compenser une éventuelle clémence à l’encontre de Georges Ibrahim Abdallah (Quadruppani, 1989, p. 216).

369.

Didier Bigo évoque l’absence momentanée d’explosifs dont le réapprovisionnement relativement fastidieux devait repousser une future série d’attaques au cours de l’année 1987 (Bigo, 1992, p. 146)

370.

L’enquête avança grâce à une infiltration du réseau, opérée par la DST et un certain Lofti Ben Khala au début de l’année 1987, arrêtée lors des interpellations de février 1986 et suivi, depuis, par les RG (Bigo, 1992, p. 146, Ménage, 2004, p. 546-547).

371.

« [La] version officielle ne parle pas des décisions qui ont été prises face aux véritables enjeux de la crise qui a connu son épisode français le plus sanglant en septembre 1986 : à savoir le fait que la France fût engagée dans la guerre Irak/Iran aux côtés du premier des deux États beaucoup plus gravement que les autorités ne le reconnaissaient. Les livraisons massives d’armement sont connues, la présence de militaires français dans des opérations de guerre le sont moins » (Quadruppani, 1989, p. 275-276).

372.

A propos de cette période, Franz-Olivier Giesbert établit un portrait cinglant d’un Jacques Chirac à la stratégie incompréhensible devant les méandres des revendications. « Apparemment, Chirac, disloqué comme jamais, se débat entre les malentendus et les quiproquos. Il accuse et disculpe à la fois. On dirait un pauvre hère sorti du théâtre de Shakespeare, balloté par les circonstances, ballonné d’incompétence, maladroit d’impuissance » (Giesbert Franz-Olivier, 1987 (1995), Jacques Chirac, Paris, Flammarion, p. 483).

373.

Il souhaite ainsi la création d’un « organisme unique de poursuite et d’information regroupant des magistrats spécialisés et [compétents] pour tout acte de terrorisme d’une certaine gravité », « Pour un conseil de sécurité », Le Monde, 21 décembre 1985.

374.

« Proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les conditions de fonctionnement et d’intervention des différents services de police et de sécurité engagés dans la lutte contre le terrorisme », Rapport n° 322 de Paul Masson, fait au nom de la commission de contrôle du Sénat, déposé le 17 mai 1984.

375.

Allant sur ce point à l’encontre de la commission Justice du RPR ou des conclusions du rapport Masson.

376.

Voir les arguments socialistes dans le chapitre « La constitution insuffisante d’une infraction autonome à partir de 1986 », infra.

377.

L’article 1 précise que la composition de la cour d’assises relève de l’article 698-6 du Code de Procédure Pénale qui relève du chapitre sur « la poursuite, de l’instruction et du jugement des crimes et délits en matière militaire en temps de paix », loi n° 86-1322 modifiant le code de procédure pénale et complétant la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État.

378.

Alain Marsaud, « Réformer la législation antiterroriste », Le Monde, 9 septembre 1995.

379.

Un officier de la DGSE cité par Le Monde, « Un défi pour les services secrets », Le Monde, 16 septembre 1986.

380.

Ces dernières ne furent pas forcément soumises à une confidentialité absolue. Ainsi, Charles Pasqua évoquant la libération de Georges Ibrahim Abdallah, condamné à quatre ans d’emprisonnement lors de son procès aux assises en juillet 1986 à Lyon : « il n’est certainement pas question de libérer Ibrahim Abdallah mais si une décision doit être prise un jour, elle ne fera pas l’objet d’une discussion publique », interview à Antenne 2, 8 septembre 1986. Ces tractations sont également confirmées par Gilles Ménage dans son livre, voir le chapitre « L’apprentissage de la diplomatie terroriste » (Ménage, 2001, p. 319-465).

381.

Accalmie que le gouvernement attribuera à ses pressions sur la Syrie afin qu’elle maitrise la famille Abdallah. La presse et la classe politique pensait que la famille de Georges Ibrahim Abdallah tentait de faire pression sur le gouvernement, par l’intermédiaire des actions du CSPPA, afin de le faire libérer. En fait, le calme estival trouva son explication dans l’arrestation, le 14 mars 1986, de résidents du foyer Ahl El Beit connu pour être un lieu de rencontre du chiisme intégriste. Si les enquêteurs ne purent rassembler suffisamment de preuves pour inculper les suspects et durent les libérer, ils procédèrent, sans le savoir, à l’expulsion du réseau logistique et du poseur de bombe, Hussein Mazbou, probablement le maître d’œuvre des attentats de décembre 1985 et de février 1986 (Bigo, 1992, p. 2).

382.

Toutefois, si les représentants des commerçants évoquaient une baisse de 10% de la fréquentation des magasins, d’autres chiffres venaient relativiser l’inquiétude : 67% des Parisiens n’avaient pas renoncé à leurs projets de week-end et 68% continuaient à faire leurs courses dans un grand magasin selon un sondage Le Journal du Dimanche-Ipsos du 18 septembre 1986.

383.

Pour les commentateurs de l’époque, l’attentat contre le bureau de poste de l’Hôtel de ville de Paris que Jacques Chirac interpréta comme une provocation personnelle, constitua un tournant dans l’implication du premier ministre dans la lutte contre le terrorisme

384.

Il déclara peu après son arrestation : « la forteresse de l’Islam est l’Iran. Votre pays, en aidant l’Irak combat l’Iran, est donc un ennemi. Notre principal objectif est de ramener la France à la raison par des actions violentes », cité par Associated Press, 28 juin 2007.

385.

Le 8 octobre 1992, la cour d’assises de Paris condamna par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité cinq autres protagonistes en fuite, tous Libanais: Abdelhadi Hamade, considéré comme le n°2 du Hezbollah et planificateur des attentats de 1985/86, Hassan Ghosn et Ibrahim Akil, ses deux lieutenants, ainsi que Hussein Mazbouh et Haidar Habib, deux poseurs de bombes. Fouad Ali Saleh est toujours emprisonné après le rejet de plusieurs demandes de libération anticipée, à cause de son prosélytisme persistant et de son refus d’indemniser les victimes des attentats, dépêche Associated Press, 19 juillet 2007.

386.

Selon le Journal du Dimanche du 6 août 1995, les RG avaient produit, dès 1992, un rapport s’inquiétant d’éventuelles dérives violentes de mouvements islamistes prosélytes dans les communautés maghrébines, « Un rapport de 92 sonnait l’alarme », dépêche Reuters, 6 août 1995.