Malgré une lecture médiatique et politique dominante des attentats de 1986 en termes de « stratégie indirecte », un certain nombre d’éléments renforcèrent l’imprégnation d’une relation entre terrorisme et immigration.
Entre les renforcements des contrôles en matière de droit d’asile, les cadrages médiatiques menaçants sur les communautés implantées en France, à l’occasion de l’arrestation puis du procès du réseau Saleh, le brouillage des idées fut total et la circulation entre les termes immigration et terrorisme facilitée.
‘« La volonté de lutter contre l’immigration clandestine et de contrôler plus étroitement les demandeurs d’asile semble s’inscrire dans le cadre d’activités de prévention et de répression de la criminalité. L’amalgame est souvent fait entre immigration, intégrisme religieux, liens idéologiques des immigrés avec leur pays d’origine et risque de terrorisme », (Cettina, 1994, p. 53-54).’D’une manière plus large, le contexte médiatique était marqué par la guerre civile en Algérie, prisme déformant pour le traitement de l’Islam et ce, quelques années seulement après l’affaire des « tchadors » et de la fatwa, lancée par l’Ayatollah Khomeiny contre l’écrivain Salman Rushdie pour son roman Les Versets Sataniques.
Le retour de Charles Pasqua au ministère de l’Intérieur, après la victoire de la droite aux élections législatives de mars 1993, et la dégradation de la situation en Algérie conduisirent à une stratégie antiterroriste plus offensive, mêlant utilisation extensive des règles de procédure et négociations officieuses. L’objectif était d’exclure du territoire national les ressortissants algériens prônant un islamisme radical. Cette politique fut symbolisée par l’affaire des « islamistes de Folembray », point d’orgue d’une résurgence médiatique de la menace « intégriste »387. Le 24 octobre 1993, l’enlèvement de trois agents consulaires de l’ambassade de France à Alger fait de la France une cible des « islamistes » du Groupe Islamique Armé388 - qui émerge médiatiquement à cette occasion389 - et fait de ces derniers, une menace à éradiquer. Le 9 novembre, quatre-vingt-huit personnes sont interpellées dans les milieux islamistes su l’ensemble du territoire français. La plupart des individus interpellés est libérée le soir même. Le 3 août 1994, trois gendarmes et deux agents consulaires sont assassinés à Alger. Revendiqué et semble-t-il réalisé par le GIA, l’opération ne conduisit à aucune action judiciaire en France mais à une intervention très médiatique de Charles Pasqua qui confirma, en direct lors du journal de TF1, le 4 août, l’assignation à résidence de sept militants (Deltombe, 2007, p. 208).
En fait, ces derniers étaient des militants de la Fraternité Algérienne de France (FAF), déjà arrêtés au mois de novembre et assignés à résidence depuis. La police procéda à de nombreux contrôles d’identité (plus de deux mille par nuit) et à d’autres arrestations dans toute la France390. Ce sont finalement vingt-six « militants islamistes » désignés comme tel par la presse391 qui seront détenus illégalement dans cette ancienne caserne militaire392. Devant la montée des critiques, le gouvernement décida, le 31 août, d’expulser vingt des vingt-six personnes, les derniers étant dispersés sur l’ensemble du territoire393.
L’automne 1994, période pré-électorale, est émaillé par une politique antiterroriste agressive de Charles Pasqua, soutenu par le Premier ministre Édouard Balladur, qui se traduisit par l’expulsion de nombreux responsables religieux ou associatifs. Le 8 novembre, le juge Jean-Louis Bruguière ordonna l’arrestation de quatre-vingt quinze personnes, dont Mohamed Chalabi, suspectés d’appartenir à un réseau de « soutien logistique au GIA »394. Cette opération offrit au ministre de l’Intérieur l’occasion de dénoncer les liens entre le terrorisme, les communautés diasporiques et la délinquance de droit commun. Pour Charles Pasqua,
‘« cette affaire met[tait] en évidence l’implantation d’intégristes islamistes fortement déterminés à poursuivre et développer des actions terroristes ou clandestines à partir de notre territoire ou d’autres pays européens [ainsi que] l’implication de Français d’origine algérienne […] et l’utilisation quasi-systématique de délinquants de droit commun que les islamistes “blanchissent” dans des actions à leur profit » (cité par Reuters, 8 novembre 1994).’Quinze personnes seront rapidement libérées tandis que les autres restèrent en prison en attendant leur jugement395. Le 24 décembre 1994, le détournement d’un Airbus Alger-Paris finit d’ancrer la menace « islamiste ».
Un groupe armé396 prend d’assaut l’avion avec ses deux-cent-vingt-sept passagers et ses douze membres d’équipage à l’aéroport d’Alger ; l’assaut coûte la vie à deux passagers. Tandis que l’appareil était bloqué sur le tarmac, des négociations s’engagèrent, marquées par l’assassinat d’un passager français, le 25 au soir. Autorisé par le gouvernement français à décoller vers la France, l’Airbus atterrit à Marseille afin de refaire le plein. L’assaut du GIGN397, réussit à libérer les otages et à neutraliser les membres du commando (deux morts sur les quatre preneurs d’otage, sept blessés parmi les otages et sept parmi les gendarmes). Quelques jours plus tard, Charles Pasqua précisa que la motivation des preneurs d’otages était de s’écraser sur Paris : « nous avions reçu deux informations […] selon lesquelles l’objectif des terroristes était une opération suicide sur Paris »398. Pour Rohan Gunaratna, cette opération porte le « sceau d’Al Qaida » et contenait un avertissement que la communauté internationale aurait dû prendre en compte (Gunaratna, 2000, p. 147)399. Près de dix ans après la série d’attentats de 1986, les actes terroristes de l’été 1995 modifièrent la perception du terrorisme. En effet, ils ne seront pas lus comme un dévoiement meurtrier d’une stratégie étatique indirecte mais comme le symbole du fanatisme religieux400.
La victoire de Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1995 et la nomination de Jean-Louis Debré, au ministère de l’Intérieur, ne modifia pas la logique offensive de la politique antiterroriste. Le 20 juin 1995, près de cent-quarante personnes étaient arrêtées (soixante-dix déférées au parquet) sur l’ensemble du territoire français dans le cadre des enquêtes sur les réseaux de soutien au GIA. Jugée « extrêmement fructueuse », cette opération renforça la vision d’un terrorisme transnational, structuré à partir de réseaux impliquant des ressortissants algériens et tunisiens, installés dans différents pays européens401. La pression policière et judiciaire sur les organisations clandestines, notamment les arrestations massives de novembre 1994 et de juin 1995, n’empêcha toutefois pas le déclenchement des violences.
11 juillet 1995 | Assassinat de Cheikh Abdelbaki Sahraoui. |
25 juillet | Une bombe explose au sein d’une rame du RER à la station Saint-Michel (Paris) : 7 morts, 84 blessés. |
17 août | Une bombe placée dans une poubelle de la place de l’étoile, avenue Friedland (Paris) : 17 blessés. |
26 août | Une bombe est découverte sur la voie Lyon-Paris à Montanay (Rhône). |
3 septembre | Une bombe, placée dans une cocotte-minute, explose partiellement sur un marché près de la place de la Bastille (Paris) : 4 blessés. |
4 septembre | Une bombe est découverte dans une sanisette de la place Charles-Vallin (Paris) dont le mécanisme de mise feu prévoyait une explosion la veille, jour de marché. |
7 septembre | Une voiture piégée saute devant une école privée juive à Villeurbanne (Rhône), quelques minutes avant la sortie des classes : 14 blessés. |
6 octobre | Le jour même des obsèques de Khaled Kelkal, une bombe explose dans le métro à la station Maison-Blanche (Paris) 402 : 13 blessés. |
13 octobre | Une bombe explose dans le RER à la station Orsay (Paris) : 30 blessés. |
3 décembre 1996 | Une bombe explose à la station de métro Port-Royal (Paris) : 4 morts et 126 blessés. |
Bilan : 11 morts et 288 blessés |
Les violences débutèrent, le 11 juillet, par l’assassinat de Cheikh Abdelbaki Sahraoui, imam d’une mosquée parisienne, fondateur du FIS et présenté, par la presse française, comme un islamiste « modéré »403. Les policiers, le gouvernement et le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubaker, dénoncèrent de conserve l’« importation » de la violence algérienne sur le territoire français. Le 25 juillet, un attentat est perpétré dans une rame du RER à la station Saint-Michel, tuant huit personnes et en blessant quatre-vingt-quatre autres. Au-delà de leur indignation404, les dirigeants politiques insistèrent sur la mobilisation des services de police et la multiplication des contrôles aux frontières405.
La presse écrite adopta une lecture ambivalente, faite de dramatisation, en évoquant des scènes de guerre406 et de maitrise, en diffusant des témoignages décrivant le sang-froid des rescapés407. Le gouvernement, par la voix du Premier Ministre, Alain Juppé, se montrait rassurant en appuyant sur le volet préventif des mesures gouvernementales (multiplication des contrôles d’identité, présence de policiers et de militaires dans les lieux publics, renfort de 1800 policiers et gendarmes et rétablissement, dans les aéroports, des contrôles des passagers en provenance ou à destination des autres pays composant l’espace Schengen)408. Dans des termes moins guerriers qu’en 1986, les autorités appelèrent à la vigilance de la population tout en promettant une rançon d’un million de francs pour toute personne capable de fournir des informations susceptibles de favoriser l’identification ou l’arrestation des suspects409.
Au niveau de l’enquête, la piste « islamiste » domina rapidement, contrairement aux attentats de 1986410. Cette piste apparaît dans une dépêche Reuters publiée le 25 juillet, dès 20h03411, puis corroborée par une autre dépêche de 20h44, citant des sources policières412. Pourtant, le gouvernement hésita pendant quelques jours entre une origine algérienne et serbe à l’attentat, à l’instar de la presse du 26 juillet. François Baroin, porte-parole du gouvernement, précisait ainsi : « il y a deux pistes sur lesquelles les spécialistes de la lutte anti terroriste travaillent. C’est la piste islamique classique dans ce genre de drame odieux, aveugle qui vise à frapper des innocents […]. Et puis il y a également la piste serbe » (cité par Reuters, 26 juillet 1995). La piste algérienne se confirma rapidement à la suite d’un démenti des autorités serbes de Bosnie, le 27 juillet, un témoignage diffusé évoquant « deux maghrébins » au comportement suspect juste avant l’explosion413 et une revendication du GIA, le 28 juillet414.
Confiée au magistrat Jean-François Ricard, l’enquête restait suspendue aux analyses scientifiques, rendues difficiles aussi bien par l’incendie déclenché par l’explosion, que par les très nombreux témoignages à recueillir après la diffusion publique de trois portraits robots de « témoins importants »415. Les responsables ministériels avaient anticipé la lenteur et ont tenté de maîtriser politiquement le temps judiciaire416. Tandis que le ministre de l’Intérieur soulignait la « prudence » nécessaire de l’enquête, celui de la Justice, Jacques Toubon, précisait qu’il ne faudrait pas attendre de résultats immédiats, à cause du précédent de 1986 et de la multiplication des fausses pistes qui avaient retardé l’enquête.
‘« Jusqu’à preuves suffisantes, il ne faut privilégier ou exclure aucune piste. Je comprends cette tentation, pour tous ceux qui veulent absolument trouver les coupables, de vouloir aller vite. C’est humain. Mais je fais confiance aux magistrats du siège et du parquet qui sont des professionnels », (cité par Reuters, 29 juillet 1995).’L’enquête n’avança pas de manière significative pendant l’été et une succession des attentats entre la fin du mois d’août et le début du mois de septembre conduisit le pays dans un climat de tension perceptible417. Sur le plan policier, cette multiplication des tentatives permettra également d’accélérer les enquêtes en démultipliant les indices et de solidifier la piste « islamiste » par les similitudes dans le mode opératoire et dans le matériel418. La fréquence des actes terroristes (3 attentats en 5 jours) et le franchissement d’un seuil symbolique (le fait que des enfants aient été ciblés lors de l’attentat de Villeurbanne) contribuèrent à une dramatisation de la situation.
Les dirigeants politiques, Président de la République en tête, évoquèrent de manière plus insistante le recours à l’armée pour mener des actions de police. A la télévision, Jacques Chirac évoqua une « guerre » contre les terroristes qui se comportaient comme des « bêtes sauvages » (interview sur TF1, 10 septembre 1995). Le plan Vigipirate est réactivé le 8 septembre. Il permet, au-delà de la surveillance accrue de certains lieux publics, de rendre visible, par le truchement de soldats armés, la détermination de l’État dans la sécurité de la population419.
Les forces de police multiplièrent les arrestations dans les milieux « islamistes » sans qu’un lien avec les attentats ne soit avéré : le 31 août dans le Val d’Oise (quatre personnes arrêtées, pas d’inculpation) et à Châsse-sur-Rhône, près de Lyon (vingt-trois personnes arrêtées et quatre seulement déférées au parquet)420, le 9 septembre toujours dans la banlieue lyonnaise (Vénissieux, Villeurbanne, La Duchère, Vaulx-en-Velin) et en Isère (Bourgoin-Jallieu) (trente et une interpellations et trois personnes déférées au parquet), le 11 septembre à Paris, dans les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis et l’Essonne (trente six arrestations, pas d’inculpation421), le 12 à Paris, à Briançon et Rive-de-Gier (douze personnes arrêtées), le 13 à Lyon (arrestations de trois personnes étudiant ou travaillant à l’Institut National des Sciences Appliquées), le 15, dans le Vaucluse et les Alpes de Haute-Provence (quinze arrestations) et, enfin, le 27 septembre à Carpentras (quatre arrestations et une inculpation). L’objectif de ces nombreuses interpellations n’était pas la résolution directe de l’enquête sur les attentats de l’été mais de donner un « coup de pied dans la fourmilière » afin de « déstabiliser » d’éventuels réseaux de soutien aux auteurs des attentats422. Il s’agissait avant tout pour les autorités (judiciaires comme politiques) de « reprendre l’initiative » face aux terroristes423.
Parallèlement à ces actions massives, une étape déterminante de l’enquête se jouait le 9 septembre avec la diffusion par la police d’un avis de recherche concernant Khaled Kelkal dont les empreintes avaient été retrouvées lors de l’attentat avorté du 26 août contre un TGV424. Après qu’il ait été repéré par des gendarmes, ces derniers mirent en place un dispositif de recherche important (comportant huit cent gendarmes, deux hélicoptères et des chiens) dans les Monts du Lyonnais. Après plusieurs jours de recherche425 et d’une intense activité médiatique426, le fugitif fut abattu le 29 septembre par des gendarmes à Vaugneray (Rhône). Jean-Louis Debré se félicita d’avoir démantelé le réseau qui avait frappé la France427 alors que le ministre de la Justice, Jacques Toubon, se montrait plus circonspect428, au moment où, deux nouveaux attentats frappèrent Paris, les 6 et 13 octobre. Le 7 octobre 1995, une revendication du GIA et de son chef, Djamel Zitouni, est diffusée. Il revendique la série d’attentats de l’été 1995 et les actions contre les ressortissants français en Algérie et le détournement de l’Airbus de décembre 1994. Si les observateurs ont surtout noté l’incohérence de la demande de conversion à l’Islam de Jacques Chirac, ils ont omis le fait que Djamel Zitouni s’inscrivait dans une relation mimétique vis-à-vis de l’État français en mentionnant sa capacité à déployer des frappes militaires sur le territoire national429. Par cette revendication, le GIA s’imposait comme un interlocuteur capable de traiter d’égal à égal avec l’État (Marchetti, 2003, p. 182).
La mort de Khaled Kelkal et la découverte d’un groupe clandestin dans la banlieue lyonnaise signifiaient une accélération notable de l’enquête policière430. Grâce à la surveillance d’un contact de Kelkal, Nasserdine Slimani, les policiers purent arrêter Boualem Bensaïd et Smain Aït Ali Belkacem, le 1er novembre 1995. Ils projetaient un attentat à la voiture piégée sur un marché lillois dont l’imminence précipita l’interpellation des membres du groupe. Ces arrestations révélèrent également le rôle joué par Rachid Ramda, arrêté le 4 novembre en Angleterre, à la suite du lancement d’un mandat d’arrêt international431. Si Bensaïd revendique son appartenance au GIA et est considéré comme le donneur d’ordres (Laïdi, Salam, 2002, p. 206), l’implication d’un autre homme, Ali Touchent, chargé du recrutement selon les enquêteurs, est avancée. Personnage haut-placé dans l’organisation du GIA, il échappe de nombreuses fois aux arrestations au cours des années 1990432. L’arrestation des principaux responsables de la campagne d’attentats fut relativement rapide (entre fin septembre et le 1er novembre 1995) par rapport aux investigations menées en 1986/1987. Cependant, l’attentat du 3 décembre 1996 qui ne fut pas officiellement revendiqué et l’enquête demeure au point mort.
Le 19 octobre 2001, Boualem Bensaïd a été condamné en appel, par la Cour d’assises de Paris, à trente ans de réclusion criminelle, assortie d’une peine de sûreté de vingt ans, pour sa participation à l’attentat contre le TGV. Le 14 octobre précédent, le Conseil d’État avait autorité l’expulsion vers l’Algérie de Nacer Hamani, condamné en 1999 pour sa complicité dans cette tentative d’attentat. Le 30 octobre 2002, Boualem Bensaïd a de nouveau été condamné cette fois pour sa participation comme complice à l’attentat de Saint-Michel et comme auteur à celui de Maison-Blanche. Smain Aït Ali Belkacem fut, lui, condamné comme auteur principal de l’attentat du Musée d’Orsay. Malgré des preuves matérielles réduites, une condamnation eu lieu pour l’attentat de Saint-Michel sans que le poseur de bombe ne puisse être identifié. La mort d’Ali Touchent, responsable présumé de la campagne d’attentats, annoncée par les services de sécurité algériens, le 23 mai 1997, empêcha un éclaircissement total des tenants et des aboutissants de cette série d’attentats433.
Cette dernière conduisit à un réajustement de l’arsenal législatif anti-terroriste. Le dispositif constitué en 1986 avait déjà été modifié deux fois mais de manière marginale : en mars 1994, avec l’entrée en application du nouveau Code Pénal434 et, en février 1995, pour allonger les délais de prescription de l’action publique et des peines435. L’ancien juge antiterroriste, Alain Marsaud, alors député RPR, proposa des pistes de réformes comme une centralisation accrue de la lutte contre le terrorisme au sein d’une « task force ». A la différence de 1986436, sa stratégie de visibilité médiatique437 ne réussit pas à rapprocher le gouvernement de ses propositions438. Bien que rapporteur à l’Assemblée Nationale, Alain Marsaud ne vit pas le projet de loi antiterroriste, présenté en conseil des ministres, le 25 octobre 1995, reprendre ses éléments.
La réforme prévoyait un élargissement des infractions terroristes (notamment l’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier d’un étranger), un alourdissement des peines de prison, la possibilité de perquisitions nocturnes (entre 22 heures et 6 heures du matin) et la création d’une infraction spécifique d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Le ministre de la Justice justifia ces mesures par deux types d’arguments consensuels : la nécessité et le bon sens. « Il ne faut pas se faire d’illusion. Lorsque ce texte sera voté, ce n’est pas pour autant que nous pourrons mettre définitivement fin à l’offensive des terroristes mais je crois que cet arsenal législatif est une bonne chose. Il est indispensable »439. Le bon sens fut également invoqué pour dissocier le cadre interprétatif de la réforme. « Jusqu’à maintenant, on pouvait faire des perquisitions de nuit pour les affaires de proxénétisme ou de trafic de stupéfiants et, de manière paradoxale, on ne pouvait pas le faire quand il s’agissait de terrorisme »440. Loin d’être un texte de circonstance, ce projet de loi s’inscrit dans des sillons judiciaires déjà creusés pour d’autres phénomènes de violence, moins « graves » que le terrorisme.
A l’instar de l’argumentaire utilisé par son prédécesseur, Albin Chalandon en 1986, Jacques Toubon se défendit d’avoir élaboré un texte d’exception et de s’être attaqué aux symboles juridiques tels que l’ordonnance de 1945 sur les étrangers. Au contraire, il fait preuve de pragmatisme en s’adaptant aux nouvelles menaces. Ses propositions se justifient par des dispositions antérieures et consensuelles et, elles-mêmes, déjà justifiées avec des arguments similaires, comme nous l’avons vu dans les arguments déployés en 1986.
‘« Ces dispositions s’insèrent dans le code pénal et le code de procédure pénale, se réfèrent à la loi de 1986 et ne constituent pas une législation d’exception. Au contraire, il s’agit d’appliquer le code de procédure pénale, de respecter les droits de la défense et la présomption d’innocence face à une criminalité exceptionnelle nécessitant que l’autorité judiciaire dispose de davantage de pouvoir. […] Il ne s’agit que d’incriminations normales, s’inscrivant dans la loi antiterroriste avalisée en 1986 par le Conseil constitutionnel » (Jacques Toubon, « Notre arme, c’est le droit », Le Monde, 30 octobre 1995).’Malgré les garanties discursives apportées par son instigateur, le projet de loi s’attira les critiques de nombreuses associations (comme le MRAP, SOS-Racisme, la Ligue des Droits de l’Homme ou la fédération justice de la CFDT441), de l’opposition de gauche et, plus symbolique, engendra un avis critique du Conseil d’État, rendu public en partie par le journal Le Monde 442.
Sans remettre en cause l’économie générale du texte, les conseillers émirent deux réserves importantes, l’une sur le fait d’intégrer les infractions d’atteintes à l’autorité publique au sein d’une législation antiterroriste, l’autre sur les dispositions relatives à l’aide au séjour d’un étranger. Après un parcours législatif, marqué des dissensions entre le gouvernement et la majorité parlementaire443, le texte sera approuvé par le Conseil Constitutionnel, saisi par des parlementaires de l’opposition. Dans sa décision n° 96-377 du 16 juillet 1996, le Conseil censura toutefois l’article premier sur l’inscription de « l’aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’un étranger » comme infraction terroriste. Les Sages déclarèrent également non conforme à la Constitution, les moyens exceptionnels donnés à la police en matière de perquisitions de nuit et l’entrée en vigueur rétroactive des nouvelles dispositions dans les territoires d’Outre-mer. En revanche, le Conseil consacra la différence faite entre nationaux et étrangers.
La loi du 22 juillet 1996 ajouta à la dimension répressive, déjà largement affirmée, une dimension préventive par l’institution de l’infraction d’« association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Elle a étendu la possibilité de poursuivre des individus à partir de la seule constatation de l’existence de faits prouvant la nature terroriste de l’organisation visée, c’est-à-dire avant même la perpétration d’un crime.
‘« Les juges peuvent déclencher des investigations et déployer leur expertise et leurs outils juridiques avant que des attaques terroristes n’aient lieu, développant ainsi une capacité non seulement pour punir des attaques terroristes a posteriori, mais pour les empêcher dans un premier temps » (Shapiro, Susan, 2003, p. 85).’Pour les juges, l’efficacité ultime du système français réside dans cet élément-clé. Pour ses contempteurs, cette logique judiciaire conduit à une suspicion généralisée. « Ce n’est plus l’auteur d’un crime que l’on punit mais le criminel potentiel » (Camus, 2007, p. 118)444. Elle comporte une exception vis à vis de la règle du droit pénal français qui stipule qu’une infraction doit être matériellement constatée avant l’ouverture d’une enquête judiciaire (Camus, 2007, p. 130).
Si cette stratégie préventive permet de maintenir, selon les services antiterroristes, une pression constante sur les réseaux ou les terroristes potentiels, elle conduit également à un certain nombre d’abus. Les dérives potentielles de cet instrument juridique ont été matérialisées dans l’affaire dite « Chalabi ». Du nom d’un membre du GIA algérien, cette affaire fut instruite entre 1994 et 1995 par le juge Jean-Louis Bruguière. Lors d’arrestations effectuées le 8 novembre 1994 et le 20 juin 1995, cent-soixante seize « islamistes » avaient été mis en examen et écroués. Repris par le juge Gilbert Thiel, après les attentats de 1995, le dossier démesuré445 comportait de nombreuses entorses procédurales. Le juge finit par délivrer trente-quatre non-lieux et renvoyer cent-trente-huit personnes devant le tribunal. Mais, à la fin du procès, tenu en 1998, dans un gymnase près de la prison de Fleury-Mérogis, cinquante et une personnes furent relaxées et, sur les quatre-vingt-sept condamnés, trente-neuf l’ont été pour des peines inférieures à deux ans.
Autre exemple, le 26 mai 1998, près de 80 personnes sont arrêtées dans plusieurs pays européens dans le cadre d’une opération coordonnée en vue de prévenir ce qui sera qualifié de complot visant à commettre un attentat terroriste en France lors de la Coupe du monde de football de 1998. Cinquante-trois personnes sont appréhendées ce jour-là, quarante d’entre elles sont libérées dans les quarante-huit heures et vingt-quatre individus passeront en définitive en jugement. A la fin du procès, seules huit personnes seront reconnues coupables d’association de malfaiteurs en 2000 et leurs peines d’emprisonnement iront de quatre mois à quatre ans (Human Rights Watch, 2008, p. 26-27).
Un second problème renvoie au contexte de production de la législation antiterroriste, alors même qu’elle implique des changements judiciaires profonds. Ces dispositions furent votées tout au long de l’année 1996, dans un contexte politique et médiatique plombé par le souvenir des attentats précédents. La dimension réactive des textes antiterroristes trouve à cette occasion une confirmation éclatante. Ainsi, l’article 706-24-1, offrant au juge d’instruction la possibilité de prescrire une perquisition de domicile de nuit si l’acte de terrorisme est puni d’au moins dix d’emprisonnement, mesure rejetée par le Conseil Constitutionnel le 16 juillet 1996, sera finalement adoptée après l’attentat commis le 3 décembre 1996 à la station de RER de Port-Royal. Elle prit la forme d’un amendement au projet de loi relatif à la détention provisoire, devenu la loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996. Pour l’avocat Henri Leclerc, le danger de légiférer dans l’urgence est de pérenniser des lois d’exception.
‘« A chaque fois, on fait des exceptions à la loi au nom de la dangerosité du terrorisme, pour une période déterminée, puis on les étend après. Par exemple, la garde à vue de quatre jours avec l’avocat au bout de la 72ème heure, appliquée maintenant aux affaires de stupéfiants, les cours d’assises spéciales pour juger ces crimes, les perquisitions de nuit, etc. »446. ’Cette stratégie tend selon lui à produire des effets d’étiquetage, pointés par Howard Becker dans son étude sur la déviance447. A forcé d’être étiqueté comme délinquant, un individu finit par « coller » à l’image qui est renvoyée de lui-même et à devenir effectivement délinquant. « On criminalise des pans entiers de la population et je me demande si ça ne les rapproche pas des terroristes »448. Une crainte d’autant plus plausible compte tenu de l’intensité de la prédication fondamentaliste dans les prisons françaises449.
Depuis cette date, la logique préventive n’a pas été remise en cause, bien au contraire. La connaissance des nouvelles formes de terrorisme, permise par l’étroite collaboration entre magistrats et services de renseignements, a conduit à la pérennisation de l’appareillage antiterroriste. Mais la nature évolutive de la menace conduit à une évolution systématique de la législation ce qui signifie que la logique réactive de la constitution d’une politique antiterroriste se modifie. « Désormais, l’évolution de celui-ci ne dépendra plus de l’avènement d’attaques terroristes sur le sol français mais s’inscrira, tout naturellement, dans la dynamique de l’environnement sécuritaire international » (Camus, 2007, p. 120). De nombreux ajustements ont été présentés et justifiés comme ordinaires et nécessaires à l’aide de deux types d’arguments irréfragables : « l’exigence d’une adaptabilité face à une menace subversive et évolutive ; la coopération et l’harmonisation au niveau européen en matière de lutte antiterroriste » (Camus, 2007, p. 120). Ainsi, l’inscription dans une logique préventive et proactive (contrôle des citoyens, fichiers de données, etc.) a été consacrée depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Après avoir ancré la représentation du terrorisme dans une triple contextualisation académique, juridique et politique, nous allons nous attacher à décrire les principaux registres des discours politiques produits à l’occasion des attentats de 1986 et de 1995/1996. Ces discours antiterroristes sont marqués par une relative continuité historique.
Dans son ouvrage sur l’histoire de la couverture télévisuelle de l’Islam en France, Thomas Deltombe dénonce, au cours des années 1992-1993, un tropisme tout à la fois algérien et « intégriste » dans la vision donnée par les médias télévisés de la religion musulmane. Cette lecture erronée est, selon lui, le fruit de stratégies personnelles au sein des rédactions (rapprochement entre la rédaction de TF1 avec Charles Pasqua), d’intérêts économiques, de choix idéologiques et de manipulations menées par les services secrets (Deltombe, 2007, p. 171). Les reportages et les émissions se sont multipliés sur les groupes religieux chassant les dealers de certains quartiers populaires, sur les mosquées aux prêches radicaux et sur la domination masculine au sein de l’Islam.
Selon Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, l’enlèvement a été organisé par les services secrets algériens et la DST afin de contraindre le gouvernement français, et notamment le ministre des Affaires Étrangères, Alain Juppé, à basculer dans le camp des généraux (Aggoun, Rivoire, 2004, p. 344).
« Islamic group reports kidnap of three French consular staff », dépêche AFP, 28 octobre 1993. Le Front Islamique du Salut a, lui, condamné l’enlèvement, par la voix d’Anouar Haddam, leader en exil : « If these are innocent French citizens, I launch a sincere appeal to their abductors to release them unharmed », « Three French consulate employees kidnapped in Algeria », dépêche AFP, 25 octobre 1993.
« La sécurité pour Pasqua, la diplomatie pour Juppé », dépêche Reuters, 12 août 1994.
Des « militants » caractérisés par la nature hétéroclite de leurs statuts professionnels (un épicier alcoolique, deux libraires, un gérant de pizzeria, un étudiant en physique, le recteur d’une mosquée parisienne, Larbi Kechat, participant régulier aux émissions religieuses du dimanche matin sur France 2, et deux imams de province).
Les personnes présentes ne firent l’objet d’aucune poursuite judiciaire mais furent assignées à résidence par l’article 28 de l’ordonnance de 1945 sur les étrangers.
« La France expulse 20 des 26 islamistes de Folembray », dépêche Reuters, 31 août 1994. Expulsés au Burkina Faso, certains s’y sont installés tandis que d’autres ont émigré clandestinement vers la Suisse ou l’Angleterre. Cette décision fût approuvée par la presse de l’époque, lire Vincent Deltombe, « Quand l’islamisme devient spectacle », Le Monde diplomatique, août 2004, Xavier Ternisien, « Il y a dix ans, le camp retranché de Folembray à l’écart de la légalité républicaine », Le Monde, 21 août 2004 et Michel Henry, « Les relégués de Pasqua », Libération, 21 mars 2005.
Dépêche Reuters « Réseau d’extrémistes islamiques démantelé », 8 novembre 1994.
Voir supra.
Le gouvernement algérien désigna les membres du commando comme des membres du GIA, suivi ensuite par l’ensemble des commentateurs politiques et médiatiques. Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire évoquent une manipulation des services secrets algériens (Aggoun, Rivoire, 2004, p. 414-418).
Qualifiée d’« exploit » ou de « coup d’éclat », l’opération fut plébiscitée par la presse française, « La presse française salue l’exploit du GIGN », dépêche Reuters, 27 décembre 1994. Le Président de la République, François Mitterrand, exprima « la gratitude de la Nation » à l’égard des gendarmes, « L’hommage de la Nation au GIGN », dépêche Reuters, 27 décembre 1994.
« Les pirates auraient projeté une opération suicide », dépêche Reuters, 27 décembre 1994. Cette affirmation sera reprise par Charles Pasqua lors d’une interview à France 2, le 12 septembre 2001 (voir supra). Cela nous a été confirmé également par un de nos interlocuteurs dans un entretien.
Ces informations sont tirées d’un entretien mené avec des responsables de la sécurité militaire algérienne en janvier 2002. Ces derniers ont précisé que l’interrogatoire des passagers avait révélé qu’un des preneurs d’otages avait demandé une montre et parlé de martyre. Ce sont là les seules preuves avancées par Rohan Gunaratna pour prouver l’appartenance des preneurs d’otages à Al-Qaïda.
Une perception de fanatisme renforcée par les revendications de conversion de Jacques Chirac à l’Islam émanant du GIA, voir infra.
Le lien avec le grand banditisme est, cette fois, minoré, Hervé Gattegno et Nathaniel Herzberg, « La police juge fructueuse l’opération menée contre les réseaux islamistes en France », Le Monde, 22 juin 1995.
« Maison-Blanche » est également le nom du lieu-dit à Vaugneray où Khaled Kelkal a été abattu par les gendarmes, le 29 septembre 1995.
« Les assassins de l’imam Sahraoui visaient un partisan du dialogue », Le Monde, 13 juillet 1995.
« L’attentat meurtrier perpétré cet après-midi en plein cœur de Paris suscite l’horreur », communiqué du RPR, 26 juillet 1995, « Au nom du Parti socialiste, il dénonce l’horreur de ce qui apparaît d’ores et déjà comme un geste criminel que rien ne saurait justifier », Henri Emmanuelli, Premier Secrétaire du PS, cité par Reuters, 26 juillet 1995.
« Toutes les mesures nécessaires et des instructions ont été données dans toute la France pour que les contrôles soient multipliés aux frontières, un peu partout […].Nous allons dans les heures qui viennent annoncer d’autres mesures. Il faut qu’il y ait une mobilisation totale des services de police pour éviter que de tels attentats recommencent », Jean-Louis Debré, « Mobilisation de la police », dépêche Reuters, 25 juillet 1995.
« “Scènes de guerre” après l’attentat de Saint-Michel », dépêche Reuters, 25 juillet 1995. « Le retour du terrorisme aveugle », Une de Libération, 26 juillet 1995. L’Humanité dénonce un attentat « destiné au carnage le plus spectaculaire possible », 26 juillet 1995.
Journal télévisé de 20 heures, France 2, 25 juillet 1995.
« Mesures de sécurité renforcées », dépêche Reuters, 26 juillet 1995.
Jean-Louis Debré, France 2, 26 juillet 1995.
La seule référence au « terrorisme étatique » sera le fait d’Alain Marsaud dans une déclaration rapide le soir des attentats : « c’est à partir des premiers éléments d’analyse qu’on pourra véritablement déboucher éventuellement sur l’identification des auteurs et, surtout, l’identification des États. Mais il faut bien se dire que même lorsqu’on identifie les États, hélas, il n’y a pas de sanctions à l’égard des États. Il y a parfois une sanction à l’égard des auteurs mais pas des États », dépêche Reuters, 25 juillet 1995.
L’attentat a eu lieu à 17h30 et la dépêche faisait le lien entre l’explosion et l’assassinat du cheikh Sahraoui alors même que le premier ministre hésitait à désigner la nature de l’explosion : « une explosion de très forte puissance. Rien ne permet encore d’affirmer qu’il s’agit d’un attentat mais les présomptions semblent malgré tout très fortes », dépêche Reuters, 25 juillet 1995.
« La piste du terrorisme islamique a été la première évoquée par les policiers français après l’explosion d’une bombe, mardi, dans le RER parisien, mais la prudence était de mise chez les magistrats antiterroristes », dépêche Reuters, 25 juillet 1995.
La radio Europe 1 évoqua le récit d’un policier auxiliaire concernant « deux hommes de type maghrébin qui auraient quitté précipitamment le wagon en abandonnant derrière eux une sorte de colis près d’un siège ». Pour les policiers, qui disposèrent rapidement de près de deux cent témoignages, le manque de perfectionnement de l’engin explosif accrédita la piste du GIA, « La piste islamique privilégiée », dépêche Reuters, 27 juillet 1995.
Accréditée très tôt par la presse algérienne, la piste du GIA se trouva renforcée par plusieurs revendications dont une qui paru dans un journal islamique El Ansar à Stockholm, « Une revendication du GIA à Stockholm », dépêche Reuters, 28 juillet 1995. Cette revendication sera relativisée quelques jours plus tard à cause d’une erreur de traduction : le communiqué rappelait l’attentat de Paris dans une liste d’actions récentes sans préciser si le GIA en était l’auteur, « La prudence reste la règle », dépêche Reuters, 28 juillet 1995. De son côté, Anwar N. Haddam, représentant du FIS, déplora l’attentat et écarta l’implication d’Algériens : « en tant que représentant légitime et légal du peuple algérien, la Délégation parlementaire du FIS affirme que le peuple algérien n’est concerné ni de près ni de loin par cet attentat, que nous déplorons », « Le FIS déplore l’attentat du RER », dépêche Reuters, 28 juillet 1995.
« La presse publie trois portraits-robots », dépêche Reuters, 31 juillet 1995. Les journaux télévisés feront également leur ouverture sur ces portraits d’hommes de « type maghrébin », (Deltombe, 2007, p. 243).
Tandis que le ministre de l’Intérieur souligne la « prudence » nécessaire de l’enquête, celui de la Justice, Jacques Toubon, précise qu’il ne faudra pas attendre de résultats immédiats, en se basant sur le précédent de 1986 et la multiplication des fausses pistes qui avaient retardé l’enquête : « jusqu’à preuves suffisantes, il ne faut privilégier ou exclure aucune piste. Je comprends cette tentation, pour tous ceux qui veulent absolument trouver les coupables, de vouloir aller vite. C’est humain. Mais je fais confiance aux magistrats du siège et du parquet qui sont des professionnels », dépêche Reuters, 29 juillet 1995. A cette occasion, il évoquera l’usage de la vidéosurveillance dans le métro l’estimant souhaitable mais sous contrôle policier et/ou judiciaire. La presse, notamment Libération, précisera, au lendemain de l’attentat du 7 septembre contre une école juive de Villeurbanne, que la voiture piégée avait pu être identifiée grâce à une caméra de surveillance d’un magasin situé à proximité, Libération, 9 septembre 1995.
« Dizaine d’alertes à la bombe après l’attentat », dépêche Reuters, 19 août 1995.
« La police ne doute guère, en effet, que les deux attentats soient de même origine, tant leurs modes opératoires comportent de ressemblances : dans les deux cas, l’engin explosif était constitué d’une bouteille de gaz de camping, de couleur bleue et d’une contenance de trois kilos, munie d’un système de mise à feu équipé d’une pile électrique de neuf volts », « Les enquêteurs privilégient la “piste algérienne” dans les attentats du RER et de la place de l’Étoile », Le Monde, 19 août 1995. En outre, les enquêteurs informèrent la presse, à partir du mois de septembre, que cette technique était très largement utilisée par le GIA en Algérie.
L’effet symbolique est d’ailleurs atteint comme le montre une dépêche d’agence : « en application du plan Vigipirate, des soldats armés de fusils d’assaut ont pris position vendredi soir sur les sites sensibles à Paris comme les Champs Elysées ou la Tour Eiffel » « L’enquête s’accélère, Juppé déterminé », dépêche Reuters, 10 septembre 1995. La réactivation du plan Vigipirate mobilisa près de quinze mille militaires (gendarmes compris) et douze mille policiers, « Le renforcement de Vigipirate continue », dépêche Reuters, 23 octobre 1995. Ils furent condamnés à plusieurs années de prison ferme en février 1998 pour l’apport logistique fourni aux membres des commandos terroristes.
Après le démantèlement du réseau constitué autour de Khaled Kelkal des éléments viendront confirmer l’existence de relations entre ces deux groupes (échange de coups de téléphone entre Nacer Hamani et Karim Koussa, fréquentation de la même mosquée Bilal à Vaulx-en-Velin) Selon les enquêteurs, les membres du groupe de Chasse-sur-Rhône (dont Joseph Jaime et David Vallat deux convertis à l’Islam lors de leur séjour en prison pour hold-up) projetaient de faire sauter un dépôt d’essence (Laïdi, Salam, 2002, p. 200).
Ces arrestations « n’ont pas apporté grand-chose » dans l’enquête sur les attentats de juillet, de l’aveu même de la police, « Attentats – 17 personnes toujours entendues », dépêche Reuters, 12 septembre 1995.
Comme l’exprime une source judiciaire, dépêche Reuters, 12 septembre 1995. Cité par Le Monde, un policier précise que ces arrestations concernent des « militants et de sympathisants islamistes connus comme tels » susceptibles « d’avoir fourni une assistance quelconque support logistique, voire complicité active aux poseurs de bombes », « L’enquête antiterroriste se concentre sur les milieux islamistes en France », Le Monde, 12 septembre 1995.
« Je crois que nous sommes en présence de terroristes qui ont pris l’initiative, qui gardent l’initiative. Il est important que, immédiatement, le plus tôt possible, nous reprenions l’initiative », Alain Marsaud cité dans « Crainte d’une nouvelle vague d’attentats », dépêche Reuters, 17 août 1995.
Le jeune homme était recherché depuis juillet pour avoir forcé un barrage de police à Bron (Rhône) puis tiré sur des policiers, blessant deux d’entre eux.
Au cours desquelles les gendarmes arrêtèrent trois de ses complices : Karim Koussa, soupçonné d’être responsable du meurtre de l’imam Sarhaoui, Abdelkader Bouhadjar et Abdelkader Maameri.
Cette focalisation médiatique, notamment de la part des télévisions, est dénoncée par la presse écrite, notamment le journal Le Monde. « Pendant trois jours, la France a cru revivre un remake du Cercle rouge, le fameux film de Jean-Pierre Melville. Comme au cinéma, cette chasse à l’homme dans les monts du Lyonnais ; comme au cinéma, ces centaines de policiers, gendarmes, chiens, hélicoptères, lancés à la poursuite de l’ennemi public numéro 1 ; comme au cinéma, Khaled Kelkal, mi-homme traqué, mi-héros ; comme au cinéma, cette mort en direct, à la télévision, en plein journal de 20 heures. Comme au cinéma… sauf que ce n’était pas du cinéma », « M. Debré et son coupable », Le Monde, 3 octobre 1995.
« En l’état actuel de nos investigations, il m’apparaît qu’il existe une très grande similitude pour ne pas dire plus entre les systèmes de mise à feu et notamment les mécanismes de retard qui ont été retrouvés lors des tentatives d’attentat contre le TGV Paris-Lyon, dans la sanisette de la rue de la Convention dans le XVe arrondissement de Paris. En ce qui concerne l’attentat commis le 25 juillet dans le RER […] j’ai maintenant le sentiment pour ne pas dire plus que c’est la même équipe qui y a participé » (cité par Reuters, 30 septembre 1995).
« Nous savons très bien que la menace existe encore et qu’il faut être vigilant. […] [Si le démantèlement du groupe de Khaled Kelkal a été] réellement un succès, il est tout à fait clair que nous n’avons pas résolu par là-même tous les attentats qui ont eu lieu. [Il existe] plusieurs groupes islamiques extrémistes et même terroristes qui veulent que la France, qui depuis des années et des années mène un politique de lutte contre l’extrémisme intégriste islamiste, baisse la garde », « M. Toubon contredit une nouvelle fois M. Debré », Le Monde, 10 octobre 1995.
« Le Groupe Islamique Armé revendique la campagne d’attentats en France », Le Monde, 10 octobre 1995.
Les policiers furent cependant surpris de l’amateurisme des membres du groupe dont les liens sont fondés sur des relations d’amitié et de voisinage et dont l’imprégnation religieuse demeure superficielle (Laïdi, Salam, 2002, p. 200).
Rachid Ramda a été soupçonné d’être en contact avec Oussama Ben Laden (Laïdi, Salam, 2002, p. 91).
Cette capacité à échapper aux arrestations conduisit à suspecter Touchent de connivence avec les services secrets algériens (Laïdi, Salam, 2002, Rivoire, 2008).
Sa mort fut annoncée en février 1998 sans convaincre les magistrats français qui l’inculpèrent par exemple pour sa participation à la coordination des attentats de 1995. La présidente de la 14ème chambre correctionnelle, Jeanine Drai, a expliqué que « l’imprécision des circonstances du décès [de Touchent] et l’absence de document incontesté sur ce décès » l’avait conduite à statuer sur son cas, cité par dépêche Reuters, 18 février 1998. L’identification définitive du cadavre fut toutefois reconnue par les autorités françaises, « Paris reconnaît les empreintes d’Ali Touchent », Libération, 17 février 1998.
Réforme issue de la loi n° 92-686 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique.
La loi n° 95-125 du 8 février 1995 allonge le délai de prescription de l’action publique et celui de la peine. Pour les crimes, ces délais sont portés de dix à trente ans ; pour les délits, le délai de prescription de l’action publique est porté de trois à vingt ans et celui de la peine prononcée en cas de condamnation de dix à vingt ans.
Le 21 décembre 1985, il publia une tribune dans Le Monde qui proposait les grandes pistes du futur projet de loi gouvernemental.
Cette stratégie pris notamment la forme de la signature de tribunes dans la presse : « Réformer la législation antiterroriste », Le Monde, 9 septembre 1995, « Réprimer partout le terrorisme », Le Monde, 2 juillet 1996, « To Get Tough at Last, Get Together », International Herald Tribune, 30 juillet 1996.
Au contraire, il se vit sèchement critiqué par le Président de la République au cours d’une interview télévisée. « Je dirai enfin que c’est très gentil de porter des jugements lorsqu’on n’a pas de responsabilité mais ce n’est certainement pas au milieu du gué qu’il faut changer son cheval. Et donc il n’est pas question de faire je ne sais quelle réforme alors que tous nos efforts sont tendus vers une efficacité pour la prévention et la répression de criminels » (interview à TF1, 10 septembre 1995).
Cité par Reuters, 25 octobre 1995.
Op. cit.
« Le projet de loi antiterroriste suscite de nombreuses critiques », Le Monde, 28 octobre 1995.
Le journaliste Erich Inciyan fera à cette occasion une critique virulente du gouvernement, accusé de jouer sciemment de l’amalgame entre « terrorisme » et « banlieues » : « texte de circonstance, le projet de M. Toubon fait la part belle aux préjugés et aux amalgames du moment. Le garde des sceaux ne se contente pas de durcir la législation d’exception adoptée en 1986 sous la pression, déjà, d’une précédente vague d’attentats. Il va jusqu’à étendre à l’aide aux étrangers en situation irrégulière la liste des crimes considérés comme des actes de terrorisme ! Loin de refuser l’amalgame entre les jeunes de banlieues et les terroristes islamistes, le texte de M. Toubon entretient sciemment la confusion, juxtaposant, dans un même projet de loi répressif, des mesures antiterroristes et des dispositions qui visent avant tout à assurer le respect des uniformes policiers dans les quartiers sensibles. Ainsi donc la proclamation alarmiste, par le chef de l’Etat et son ministre de l’intérieur, d’un état de “guerre” face au terrorisme conduit aujourd’hui le gouvernement à conforter les pires dérives de l’opinion, en officialisant en quelque sorte la suspicion envers la population issue de l’immigration », « Le projet de loi antiterroriste suscite les réserves du Conseil d’État », Le Monde, 27 octobre 1995.
Par exemple, lors du débat en seconde lecture à l’Assemblée Nationale, le 18 avril 1996, les députés gaullistes rejetèrent un amendement gouvernemental de Jacques Toubon qui proposait de modifier l’ordonnance de 1945 sur le séjour des étrangers. L’amendement excluait de poursuites pénales les ascendants, descendants et le conjoint d’un étranger qui auraient facilité son séjour irrégulier en France.
Un de nos interlocuteurs journalistes comparait ce système au film Minority Report.
Le dossier judiciaire comportait plus de 100 tomes et 35 000 pages.
Cité dans « Pour les juges, c’est l’intention des réseaux qui compte », Libération, 26 octobre 2005.
Becker Howard, 1966 (1985), Outsiders. Étude pour une sociologie de la déviance, Paris, Métailié.
Cité dans « Pour les juges, c’est l’intention des réseaux qui compte », Libération, 26 octobre 2005.
Le procès, en octobre 2008, d’un groupe baptisé Ansar-al-Fath, soupçonné d’avoir envisagé des actions violentes, a mis en lumière que le réseau avait été en partie constitué en prison par Safé Bourrada, condamné pour sa participation aux attentats de 1995. Les autorités européennes se sont récemment emparées de la question. Le 5 juin 2008, le coordinateur européen de la lutte antiterroriste, Gilles de Kerchove, avait présenté une stratégie afin de lutter contre les méthodes de recrutement de l’islamisme, notamment dans les lieux pénitentiaires. En France, cette question a récemment fait l’objet, le 1er octobre 2008, d’un séminaire européen à l’Institut des Hautes Études de la sécurité et d’une interview du ministre de l’Intérieur, Michèle Alliot-Marie, « Les islamistes recrutent dans nos prisons », Le Figaro, 11 septembre 2008.