Ce registre thématique s’illustre dans l’invocation d’un engagement global contre le terrorisme, y compris par un recours implicite à l’arme militaire. « Il faut donc le combattre et le combattre par tous les moyens, cela veut dire n’en exclure aucun » (Édouard Balladur, 12 septembre 1986). Jacques Chirac reprend cette antienne lors de son intervention à la télévision, le 18 septembre 1986, en insistant sur la fermeté du gouvernement français. Pour le Premier ministre, il faut « tout mettre en œuvre - je dis bien : tout – pour châtier impitoyablement les assassins et ceux qui les manipulent ». Au-delà de la modalisation énonciative (l’incise du syntagme je dis bien ou l’adverbe impitoyablement), l’usage du verbe châtier signale, au-delà d’une sévère correction, un processus de rééducation engendré conjointement à l’exécution de la sentence. Incidemment, c’est l’idée d’un ennemi non civilisé et barbare qui est contenue dans cette déclaration. Jacques Chirac use d’ailleurs à cette occasion d’un ton combatif et vengeur, proche des accents de Georges W. Bush après le 11 septembre 2001 : « Les assassins, je vous l’assure, ne nous échapperont pas » (20 septembre 1986). Auparavant, il avait déjà mis en garde les commanditaires des attentats de son absence d’indulgence. « Ceux qui manipulent [un terroriste] doivent bien savoir qu’ils seront l’objet de rétorsions draconiennes, que nous serons sans pitié, quelles que soient les conséquences […]. Ceux qui manipulent les terroristes paieront le prix le plus élevé » (16 septembre 1986).
Par ce discours de détermination, le pouvoir gomme les aspérités et les contraintes pratiques de la lutte antiterroriste au profit d’une toute-puissance symbolique. Comme le dit Christian Le Bart, cette prétention à régir le social
‘« se conjugue selon des modalités diverses qui doivent peu de choses aux délimitations formelles de compétences juridiques, ou même aux pouvoirs “réels” détenus par les “décideurs”. Le discours s’encombre peu des complexités inhérentes aux uns et aux autres, pour offrir le spectacle apaisé d’une société gouvernable, les décideurs politiques étant supposés détenir des leviers d’actions efficaces, voire décisifs » (Le Bart, 1998, p. 83).’Ainsi, Édouard Balladur use de la modalité de la promesse, voire de l’incantation, pour construire l’image d’une lutte antiterroriste uniquement dépendante de la volonté gouvernementale. « La France a les moyens de lutter contre le terrorisme pour peu que les pouvoirs publics et le gouvernement en aient la ferme volonté. Cette ferme volonté, nous l’avons ! Ces moyens, nous les avons et nous les utiliserons » (12 septembre 1986). Dans ces moments de tension, il n’est plus question de s’interroger sur les tenants et les aboutissants des réformes judiciaires. Ce qui importe c’est la répression, même si c’est au prix de quelques entorses aux libertés civiles. « Il y a des actions secrètes que la France est en droit, légitimement, de conduire contre le terrorisme qui veut l’abattre » (Jacques Toubon, 13 septembre 1986). La mobilisation générale contre le terrorisme implique une simplification du débat politique.
Pour Jean-Claude Gaudin, alors député UDF à l’Assemblée Nationale, « il n’y a plus de place pour les débats artificiels sur le prétendu conflit entre l’efficacité et les principes » (18 septembre 1986). Le contexte d’énonciation était marqué par des polémiques récurrentes au cours desquelles les partis de droite accusaient l’ancien gouvernement socialiste de laxisme face au terrorisme.
‘« La polémique elle est de caractère historique, rétrospectif : pendant les deux premières années du septennat, le gouvernement a montré une certaine complaisance, d’origine idéologique, à l’égard d’organisations terroristes […]. Bref les socialistes ont commis deux erreurs : l’angélisme et une faute technique » (Jacques Toubon, 13 septembre 1986).’Ce discours de fermeté ne constitue qu’une déclinaison d’une politique sécuritaire, élevée au rang de priorité gouvernementale. « L’insécurité est aujourd’hui l’une des principales préoccupations des Français. Le rétablissement de la sécurité est une responsabilité fondamentale de l’État » (Conseil des Ministres, 23 avril 1986). Lors de son discours d’intronisation au ministère de l’Intérieur, Charles Pasqua avait déjà souhaité « redonner à la sécurité des personnes et des biens son statut de grand principe républicain » (cité par Cettina, 2001, p. 83).
Les mesures de renforcement des moyens de la police dans la lutte contre la délinquance et contre l’immigration clandestine s’accompagnent d’une communication offensive du ministre de l’Intérieur mêlant allègrement sécurité intérieure et extérieure. Ainsi, les réformes adoptées en matière de sécurité et de police comprenaient, dans une même politique publique, des mesures de lutte contre le terrorisme (l’institution d’un crime de terrorisme et d’un conseil de sécurité interministériel ou l’affectation d’appelés à la sécurité publique) et de lutte contre la délinquance (dispositions permettant l’expulsion immédiate des trafiquants de drogue, contrôles d’identité, réhabilitation des brigades spécialisées)453. Les formules oratoires spectaculaires étaient redoublées par des pratiques dramatisantes, comme la campagne d’affichage des portraits-robots des membres de la famille Abdallah ou la promesse d’une forte prime en échange d’informations. Cette stratégie de communication visait en définitive différents publics : les citoyens à qui le ministre donnait des gages de fermeté tout en exigeant de lui une mobilisation supérieure, l’opposition socialiste de gauche dont il n’avait cessé de dénoncer le laxisme454, et enfin, les personnels de police et de gendarmerie.
‘« Charles Pasqua sait imposer son style. Par sa personnalité et ses méthodes, il marque de son sceau la lutte contre le terrorisme : les professionnels se réfèrent à l’“époque Pasqua” et aux apports qui ont été les siens. Il laisse sa marque dans les structures antiterroristes, ne serait-ce que par un type de méthode appliqué, l’acquisition de réflexes, l’apprentissage de la prévention » (Cettina, 2001, p. 84).’D’ailleurs, Jacques Toubon justifie le discours virulent des ministres chargés de la sécurité (Charles Pasqua et Robert Pandraud) par la volonté de remobiliser les services de police sur des thèmes porteurs, à la suite de la victoire de la droite aux législatives de mars 1986.
‘« A leur arrivée en fonction, les deux responsables de la place Beauvau avaient une tâche prioritaire : redonner confiance à la “maison”, aux corps de police. Ils ne pouvaient le faire en adoptant un ton, un comportement, des propos lénifiants, tièdes, infusoires » (13 septembre 1986).’Si la loi de septembre 1986 refusait l’idée d’une exceptionnalité dans la répression pénale du terrorisme (en dépit d’un régime pénal et procédural particulier), les mesures adoptées en pleine période d’incertitude en septembre 1986 vont s’orienter vers l’application d’une stratégie de simulation guerrière.
Au plus fort de la crise, le 12 septembre 1986, le recours à l’armée fut proposé pour participer à des actions de surveillance des frontières. Maintenu sous la subordination du pouvoir civil, cet engagement de l’armée en matière de sécurité publique était éloigné de ses interventions classiques en matière de défense civile (soutien aux moyens civils de protection, déploiement de régiments du génie après des catastrophes de grande ampleur, etc.). Les autres mesures non militaires renforçaient la logique d’une surveillance accrue tant à l’intérieur (multiplication des contrôles d’identité, contrôles à l’entrée des bâtiments publics) qu’à l’extérieur des frontières (réintroduction d’un visa obligatoire pour les étrangers, hormis les pays de la Communauté Économique Européenne et la Suisse, expulsion de ressortissants étrangers). La nécessité d’une coopération internationale fut également proposée, notamment en matière de renseignement. « Un renforcement de la coopération européenne contre le terrorisme international est déjà engagée, et il doit être poursuivi avec persévérance et de manière systématique » (Jean-Bernard Raimond, ministre des affaires étrangères, 9 septembre 1986). Le recours à l’armée marque le caractère exceptionnel de la situation et accompagne les revendications gouvernementales d’une mobilisation totale.
Le Figaro Magazine, 19 avril 1986.
Lors de ses interventions médiatiques, Charles Pasqua ratait rarement une occasion d’égratigner la politique antiterroriste du gouvernement précédent : dénonciation de la « police politique » de Pierre Joxe et de la réglementation des écoutes téléphoniques lors d’une interview à France Inter, le 5 mai 1986 ; critique de l’attitude de Laurent Fabius dans l’affaire Abdallah au sujet du non-respect, supposé, de l’accord passé avec les FARL (interview dans Le Quotidien de Paris, 10 septembre 1986 et interview à RTL, 16 novembre 1986).