1.2 Une mobilisation populaire et partisane

Dans le prolongement du registre guerrier et de la diffusion d’une posture de détermination et de fermeté, les locuteurs politiques formulent des revendications d’une mobilisation citoyenne afin de prévenir la violence terroriste.

1.2.1 Le recours à la population dans la prévention des attentats

Pour les responsables gouvernementaux, la population doit participer à la prévention de la violence en surveillant ses semblables et en alertant la police de tout comportement suspect. Les dirigeants adoptent à cette occasion une posture didactique.

Face à une violence caractérisée par son ubiquité et sa brutalité, l’État ne peut que répondre par une surveillance généralisée et permanente.

‘« Il faut que les Français comprennent que notre pays n’est pas à l’abri du terrorisme. Le propre du terrorisme, c’est qu’il peut frapper n’importe quand. Il faut donc que la vigilance des Français ne se relâche pas, et que les mesures de prévention qui ont été prises soient permanentes. Et cela, nous allons essayer de le faire comprendre aux gens » (Charles Pasqua, 25 septembre 1986).’

Chaque citoyen devenant potentiellement une victime, la population doit prendre part à sa propre sécurité.

‘« Dans une démocratie confrontée à la menace d’un terrorisme aveugle, c’est l’ensemble de la population qui doit se montrer vigilante et solidaire pour la défense des libertés républicaines. Il importe que chaque citoyen s’attache à prévenir sans délai les autorités de police de tout incident ou comportement anormal dont il pourrait être le témoin » (Communiqué du gouvernement, 6 septembre 1986). ’

La surveillance d’autrui est élevée au rang d’une défense des libertés républicaines même si cette argumentation souffre d’une contradiction. Ainsi, les responsables gouvernementaux assimilent la surveillance d’autrui, c’est-à-dire une entrave à la liberté par un contrôle, même symbolique, sur ses faits et gestes, à une défense de la liberté. La persuasion passe dans ce cas par une transformation du cadre argumentatif. Jacques Chirac redéfinit implicitement la démocratie, régime fondé sur la liberté, en faisant de la liberté une des pratiques démocratiques. « Fermeté, rigueur dans la lutte – dans la guerre – contre le terrorisme et vigilance, comme il est normal dans une démocratie, où nous devons tous ensemble défendre nos libertés » (Jacques Chirac, 9 septembre 1986). La liberté est dissociée de son apport originel à la création de la démocratie et elle devient donc un droit flexible (Tsoukala, 2006).

Partisan d’un désengagement de l’État sur le plan économique, Édouard Balladur reconnaît que les pouvoirs publics ne sont pas omnipotents et que la sécurité est un domaine de responsabilités à partager avec les citoyens. « Il ne faut pas dans cette affaire, comme dans les autres d’ailleurs, tout attendre de l’État, c’est l’affaire de l’ensemble des citoyens, de tous les citoyens » (12 septembre 1986). Le Premier ministre lance un appel à « la mobilisation de tous pour aider la police ». « Il faut que chacun se sente concerné c’est-à-dire soit vigilant et n’hésite pas à alerter instantanément les forces de police dès que quelque chose de suspect apparaît » (Jacques Chirac, 4 septembre 1986). Cette exigence suppose une dénonciation active de la part des citoyens.

‘« Cela suppose que, dans le calme bien entendu, sinon on tomberait dans le piège que l’on nous tend, les Français soient vigilants comme doivent l’être tous les habitants des démocraties occidentales à l’égard de leur environnement en regardant attentivement ce qui se passe, les comportements suspects, les objets suspects, et en les dénonçant immédiatement à la police » (Jacques Chirac, 9 septembre 1986).’

Nous retrouvons dans ces appels à la vigilance une contradiction fondamentale. Les hommes politiques exigent du sang-froid à la population afin de ne pas donner satisfaction aux terroristes (dont la motivation est de « terroriser » la population) tout en réclamant une surveillance constante et attentive fondée sur une suspicion généralisée. Mais, les citoyens ne sont pas les seules personnes visées par les exigences de mobilisation puisqu’elles s’étendent également à l’opposition parlementaire.