1.2.2 La revendication d’une union partisane contre le terrorisme

Le gouvernement prône l’union nationale en demandant le soutien de l’opposition parlementaire à sa politique de protection du territoire et de lutte contre le terrorisme. « Les circonstances exigent que tous les représentants de la nation apportent leur contribution à la lutte qui est engagée » (Jacques Chirac, 20 septembre 1986). A l’instar de Lionel Jospin, les socialistes font écho à cet appel. « Face à ce terrorisme odieux et lâche, la communauté nationale doit se souder et l’ensemble des forces politiques affirmer leur détermination face au défi qui est lancé à la France » (10 septembre 1986). La solidarité de l’opposition s’inscrit dans une stratégie d’exemplarité par rapport à la mobilisation demandée à l’ensemble de la population.

‘« Le Parti socialiste a toujours souligné que la question du terrorisme ne devait pas être le prétexte d’une polémique intérieure. Il ne faut pas diviser la communauté nationale au moment où elle doit manifester sa solidarité face à des agressions qui visent à faire pression sur la France » (Jean-Jack Queyranne, porte-parole du PS, 16 septembre 1986). ’

Pierre Mauroy puise dans l’ancienneté de la Nation et le partage d’un même idéal démocratique les bases d’une concorde. « Il faut que la démocratie française l’emporte sur ce fléau […]. Nous sommes une vieille nation, un vieux pays, certes, nous avons notre combat entre la gauche et la droite, mais il y a des heures où nous savons que nous sommes tous des Français et des Françaises » (30 septembre 1986). Pour Jean-Pierre Chevènement, c’est la discrétion de l’opposition qui est la posture la mieux adaptée à la revendication unitaire. « La seule réponse au terrorisme est le civisme qui, dans l’état actuel des choses, consiste à en parler le moins possible » (16 septembre 1986).

Le soutien au gouvernement permet également aux membres de l’opposition de valoriser leurs qualités d’homme d’État, soucieux de l’intérêt général, comme Michel Rocard par exemple.

‘« Ce qui est sûr, c’est que nous n’avons pas le droit, quand on a un peu le sens de l’État et de son pays, de trouver là matière à exploitation. Et la résistance au terrorisme et puis la victoire contre le terrorisme ne pourront pas être le fait du seul gouvernement. Il y faut bien sûr tous les services de police, mais il y faut la confiance de l’opinion tout entière dans ce gouvernement » (20 septembre 1986).’

La solidarité entre l’opposition, la majorité et le gouvernement au sein de l’espace restreint que représente le champ politique est présentée par ses locuteurs comme une illustration métonymique de l’union nationale. Cette revendication s’inscrit pourtant dans une situation institutionnelle exacerbant la concurrence politique : la cohabitation.

Lors des élections législatives du 16 mars 1986, le PS, au pouvoir depuis mai 1981, est devancé par la coalition RPR/UDF (40,97% cumulés contre 31,02%). Refusant de démissionner, le président de la République, François Mitterrand, se voit dans l’obligation de nommer composer un Premier ministre du parti concurrent, le gaulliste Jacques Chirac. Cette dyarchie de l’exécutif soulève naturellement des questions au moment où l’union nationale est largement revendiquée. François Mitterrand affiche sa solidarité avec le gouvernement pour mener la lutte antiterroriste. « Je sais qu’en matière de lutte contre le terrorisme nous marchons la main dans la main » (18 septembre 1986)455. Pour le président du Sénat, Alain Poher, la cohabitation est d’ailleurs une chance puisqu’elle mobilise les deux forces politiques principales dans la prise en charge du problème terroriste. « Pour l’instant, heureusement qu’il y a la cohabitation, parce que l’on peut être ensemble au service du pays. Ce n’est pas le moment de se diviser et de faire des petites phrases, il faut être au coude à coude » (20 septembre 1986). Chez les gaullistes également, la cohabitation ne pose pas de problèmes dans la mesure où elle neutralise les pouvoirs du Président de la République dans le processus décisionnel.

‘« Sur un plan institutionnel, la cohabitation ne peut pas […] être touchée, s’il y avait une divergence de fond. Car c’est par excellence une affaire gouvernementale, qui relève de la responsabilité du premier ministre, des ministres concernés, des administrations civiles et militaires. Institutionnellement parlant, le rôle du président ne me paraît pas décisif. Cela étant, que le Président de la République qui représente le pays, soit en complet accord avec le gouvernement, c’est très important » (Jacques Toubon, 13 septembre 1986). ’

En dépit de la multiplication des discours de soutien et de l’absence de tensions visibles au sommet de l’exécutif, l’acceptation de l’union nationale ne se fait pas sans dissonances.

Notes
455.

Cette solidarité affichée n’empêcha pas certains socialistes, dont Pierre Bérégovoy, d’évoquer l’idée d’une application de l’article 16 de la Constitution, donnant des pouvoirs étendus au Président, « Les socialistes affirment leur solidarité mais s’interrogent sur les responsabilités de M. Chirac », Le Monde, 23 septembre 1986.