La procédure de construction de l’ennemi se décompose plusieurs stades de disqualification dont deux nous semblent significatifs des discours antiterroristes : la binarisation et la déshumanisation (Ramel, 2000, p. 27)538. La binarisation constitue une opposition entre une image de soi valorisée et une, péjorée, de l’ennemi. Ainsi pour les responsables politiques, aux pays victimes, aux États occidentaux et à la « communauté internationale », porteurs de la liberté et des droits de l’homme, s’opposent des fanatiques, remplis de haine et qui oppressent les femmes. Dans ces processus de disqualification, la dimension cognitive se mêle à la dimension normative : toute description est également une classification et, dans le cas des discours sur le terrorisme, la dichotomie entre nous (l’Occident, la communauté internationale, les pays musulmans) et eux (les terroristes et les Talibans) n’est qu’une variation du clivage Bien/Mal.
L’aboutissement ultime demeure l’assimilation du terrorisme au mal absolu, faite par Jacques Chirac lors de son voyage aux États-Unis. « J’ai voulu lui dire […] notre détermination, qui est sans réserve, pour lutter avec toute l’efficacité nécessaire contre ce nouveau type de mal absolu […] qu’est le terrorisme » (18 septembre 2001). Le lendemain, le Président de la République répète la même expression. « Je ne doute pas un seul instant que le terrorisme […] représente bien dans le monde d’aujourd’hui le mal » (19 septembre 2001)539. Cette dichotomie renvoie à des symboles culturels, profondément ancrés dans notre société.
Frédéric Ramel rajoute un troisième mécanisme, la distorsion. « Avec le second mécanisme, les images déforment, globalisent et réduisent la réalité des faits. Il s’agit de distorsions de la réalité. Cherchant à lever toute forme d’ambiguïté liée à une information nouvelle quant à l’ennemi, la distorsion peut se résumer à cette fonction : fixer des repères stables et simplifiés face à une réalité des faits plus obscure. Cette distorsion résulte soit d’une attention sélective du locuteur à l’égard de certaines informations soit d’une interprétation inclinée révélant le poids de la mémoire dans la désignation d’un ennemi » (Ramel, 2000, p. 27). En dépit des précisions apportées, ce mécanisme ne nous semble pas se distinguer des deux précédents ou, plus fondamentalement, la distorsion est l’opération préalable à la binarisation et à la déshumanisation.
Cette totalisation de la figure ennemie n’est repérable que dans les discours énoncés aux États-Unis. Ces citations ont toutefois été reprises dans les dépêches d’agence de presse.