2.2.2 Une réprobation morale

La réprobation morale s’illustre à l’aide d’un lexique dénotant l’immoralité (lâcheté, haine, monstruosité) ou d’arguments signifiant l’absence de justification à la violence terroriste.

a) Un acte lâche

Dans le discours mobilisateur, les locuteurs politiques posent des normes et délimitent les frontières du Bien et du Mal à l’aide de mots porteurs d’une large exécration dans l’espace social. La rhétorique morale apparait, en moyenne, près d’une fois par discours soit sous la forme d’idiosyncrasies (lâcheté, barbarie, haine et leurs dérivés adjectivaux), soit sous la forme des réactions éprouvées par les locuteurs (indignation, dégoût, souillure). La lâcheté, entendue comme le manque de dignité ou de courage consécutif à l’emploi d’actes cruels à l’égard des plus faibles (des personnes innocentes et sans défense), est convoquée pour accentuer la réprobation de l’action terroriste (15 apparitions dans le corpus). Michèle Alliot-Marie dénonce des « attaques qui ont frappé nos amis américains avec une lâcheté et une violence épouvantables » (11 septembre 2002) tandis que Philippe Douste-Blazy souhaite opposer la plus grande détermination « à la haine aveugle, à la lâcheté et à la barbarie » (17 mars 2004).

C’est sous sa forme adjectivale que la lâcheté est la plus présente. Lionel Jospin évoque un « déferlement de lâche violence » (24 septembre 2001). Quelques jours auparavant, lors d’une cérémonie commémorative pour les victimes de l’attentat du DC-10 d’UTA, en 1989, le Premier ministre liait l’innocence des cibles et la lâcheté de l’action. « Nous nous souvenons de celles et ceux qui furent frappés, le 19 septembre 1989, par une violence aveugle et lâche ! » (19 septembre 2001). Pour Jacques Chirac, l’attentat de Karachi, du 8 mai 2002, est « meurtrier, lâche, odieux » (8 mai 2002), exprimant par la répétition des qualificatifs une gradation dans la réprobation. Dominique de Villepin dénonce le « lâche attentat de ce matin à Madrid » (11 mars 2004), un qualificatif repris par François Hollande : « un attentat odieux, lâche » (18 mars 2004). La contiguïté entre la détestation et la lâcheté sera également prolongée par le président de l’Assemblée Nationale, Raymond Forni. « C’est aux États-Unis qu’est lancé le défi le plus odieux, celui du terrorisme aveugle et lâche » (14 septembre 2001).

Si le fait de viser des civils désarmés est légitimement dénoncé comme immoral par les dirigeants politiques, l’emploi du mot lâche a été contesté quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001 par la photographe Susan Sontag. Dans une tribune publiée le 17 septembre 2001, dans The New Yorker puis dans Le Monde, elle refusait l’usage de ce mot pour qualifier des individus qui avaient donné leur vie pour leur cause ; une cause que la politique étrangère américaine avait largement alimentée selon elle.

‘« Les voix autorisées à suivre les événements semblent s’être associées dans une campagne destinée à infantiliser le public. Qui a reconnu qu’il ne s’agissait pas d’une “lâche” agression contre la “civilisation” ou la “liberté”, ou l’“humanité”, ou encore le “monde libre”, mais d’une agression contre les États-Unis, la superpuissance mondiale autoproclamée, une agression qui est la conséquence de certaines actions et de certains intérêts américains ? Combien d’Américains sont au courant de la poursuite des bombardements américains en Irak ? Et puisque l’on emploie le mot “lâchement”, ne devrait-on pas l’appliquer à ceux qui tuent hors du cadre des représailles, du haut du ciel, plutôt qu’à ceux qui acceptent de mourir pour en tuer d’autres ? »546.’

Cette référence illustre le fait que la désignation de la lâcheté n’est pas explicitée. Elle demeure sous-jacente et compréhensible grâce à sa proximité cotextuelle avec la référence au terrorisme aveugle. La signification attachée au mot peut donc différer dans le processus de réception et conduire à des remises en causes aussi radicales que celles de Susan Sontag. La haine est par contre une dénonciation plus consensuelle.

Notes
546.

Susan Sontag, « Regardons la réalité en face », Le Monde, 18 septembre 2001. Cet article lui valu une forte hostilité aux États-Unis où elle fut accusée d’anti-américanisme : « Ce n’est pas vraiment le moment pour détester l’Amérique, mais ne vous inquiétez pas - la foule des haineux de l’Amérique est juste là, déversant toujours son mépris pour la politique nationale, ses leaders, son système économique et pour leurs concitoyens idiots », John Podoretz, « American-Haters within », The New York Post, 19 septembre 2001.