3.3.1 Un appel au civisme et à la vigilance citoyenne

La mobilisation de l’État se déploie à travers le registre lexical de l’attention (vigilance, prudence, précaution) comme le montre l’analyse textuelle : 74 discours avec le nom commun vigilance ou son adjectif vigilant, 28 apparitions du nom précaution (dont 17 cumulés avec vigilance), 21 occurrences de la prudence ou de son adjectif prudent. Ces messages gouvernementaux sont largement relayés par la presse. Par exemple sur les 74 discours contenant le lexème vigilance ou l’adjectif vigilant, 69% ont été médiatisés directement sous forme d’interviews à la presse, à la radio ou la télévision. En outre, une analyse rapide de la presse confirme la reprise de ce registre sous forme de citations dans les articles de journaux ou les dépêches d’agences. Une recherche menée sur trois journaux nationaux (Le Monde, Le Figaro et Libération) lors des trois éditions consécutives aux attentats (du 12 au 14 septembre 2001, du 9 au 12 mai 2002, du 12 au 14 mars 2004 et du 8 au 11 juillet 2005)636, a confirmé la reprise des thèmes de la vigilance gouvernementale : au total, nous avons trouvé 27 occurrences de ce thème ce qui correspond à une fréquence d’apparition de 3 reprises par jour et par quotidien. Sur ce point, la communication gouvernementale est largement relayée par les médias.

La visée informative, presque didactique637, du message gouvernemental conduit à la présentation d’une action politique, recentrée sur ses prérogatives fondamentales (la protection des citoyens), et dénuée de toute intention partisane. L’objectif gouvernemental est ainsi de modifier les conceptions des journalistes sur leur rôle démocratique en valorisant l’idéal-type « service public » au détriment de celui de l’« expression libre » ou du « contre-pouvoir » (Le Bohec, 1997). Dans la pratique professionnelle, ce déplacement signifie un abaissement de la méfiance envers la communication publique, une suspension, temporaire, des investigations sur les choses cachées et la prédominance d’une diffusion des messages gouvernementaux. Les journalistes peuvent néanmoins justifier leur rôle démocratique par cette fonction de relais auprès des citoyens ; ce « service public » se justifiant par la menace existentielle qui pèse sur la démocratie.

Différents acteurs sont visés par ces revendications de vigilance. Il s’agit, en premier lieu, des agents du secteur public et des lieux accueillant du public, dont la vigilance est requise dans la stratégie gouvernementale de prévention du terrorisme. Les responsables des différentes communautés religieuses sont les destinataires des discours appelant au calme dans les quartiers populaires. La responsabilité individuelle de chaque citoyen est rappelée, notamment dans des mises en garde contre les fausses alertes à la bombe. Enfin, nous avons retrouvé de rares déclarations demandant une retenue des journalistes dans des domaines touchant à la sécurité du pays et nécessitant le secret. Cet ensemble de discours est justifié par la thématique du civisme : l’application des exigences de l’État au cours de ces périodes d’instabilité est assimilée à l’effectuation d’un devoir citoyen.

Notes
636.

Nous avons travaillé à partir de la combinaison du mot-clé gouvernement avec d’autres occurrences (vigilance, précaution, prudence).

637.

Par exemple, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin explicite les conditions dans lesquelles nous devons nous montrer vigilants : « Il faut que l’on regarde bien autour de soi ce qui se passe […]. Quelqu’un qui dépose un sac et qui s’en va, il faut le signaler aux autorités » (cité dans dépêche Reuters, 14 mars 2004).