Dès le mois de septembre 2001, Lionel Jospin évoquait une « culture de la défense » qui visait à raffermir le lien entre les citoyens et l’armée par l’inscription de l’institution militaire dans un processus de modernité et de rationalisation (communication publique sur les opérations militaires engagées, volonté de transparence par l’assouplissement du régime du secret-défense, mise en place de commissions parlementaires plus fréquentes)656. Mais, l’émergence d’une culture sécuritaire a un objectif plus large : celui d’une sensibilisation de la population au risque terroriste.
‘« En outre, dans un contexte d’exigence croissante de protection des Français, le partage et la diffusion d’une culture de sécuritésont indispensables pour appréhender les risques de toutes sortes. Le plan Vigipirate permet d’entretenir la vigilance de chacun sans perturber inutilement les activités administratives, économiques et sociales normales : les contraintes sont strictement proportionnées aux menaces » (dossier de presse de présentation du nouveau plan Vigipirate, 26 mars 2003).’Cette « culture de la sécurité » implique l’implication des citoyens, des administrations et des entreprises dans la prévention de la sécurité. « Vigipirate demande à tous les Français, quel que soit leur activité ou leur niveau de responsabilités, de participer à cette vigilance qui permet d’apporter une réponse collectiveet efficace aux menaces d’actes terroristes » (dossier de presse de présentation du nouveau plan Vigipirate, 26 mars 2003).
L’argumentation gouvernementale va jusqu’à évoquer une responsabilité commune entre les citoyens et l’État. « [Le plan Vigipirate] repose en effet sur un principe de responsabilité partagée de la sécurité : chacun doit prendre en compte les risques, du simple citoyen aux services chargés d’intervenir contre le terrorisme »657. Le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, insiste sur l’insertion de la mobilisation collective au sein d’une culture spécifique. « Il faut que les différents acteurs, publics et privés soient mobilisés et qu’une culture de vigilance et de responsabilité soit partagée par tous » (20 mars 2003). La doctrine antiterroriste française consacre d’ailleurs un chapitre entier à cette responsabilité des citoyens dans la prévention des actes de terrorisme.
Il s’agit par une vigilance accrue de l’ensemble de la population de « gagner la bataille du quotidien » (La France face au terrorisme, 2006, p. 99). Le Livre Blanc souhaite améliorer le dispositif de prévention par une formation adaptée des forces de sécurité, non spécialisées dans la lutte antiterroriste, et une attention supérieure des agents du secteur public. Il préconise un élargissement de la responsabilité de la prévention à l’ensemble des citoyens par une politique accrue d’exercices de défense et de sécurité et le « maintien de la vigilance de tous ». Depuis 2002, les pouvoirs publics ont, par exemple, multiplié les exercices de simulation d’attentats, notamment d’attentats chimiques658. Le 22 octobre 2003, un attentat au gaz sarin a été simulé à Paris, des plans Métrotox ont eu lieu dans les réseaux souterrains de transport en commun de Toulouse, en 2003, de Lyon, en 2004, et de Marseille, en 2005 et, le 12 février 2006, un triple attentat, conventionnel cette fois-ci, a été simulé en plein centre de Lyon. Au niveau européen, le plateau de Canjuers avait connu un exercice d’attentats chimiques multiples, à la fin d’octobre 2002, et la Drôme, un exercice d’attentat sur un transport chimique ferroviaire en avril 2005 (La France face au terrorisme, 2006, p. 104-105).
En septembre 2003, un rapport d’information parlementaire sur le bioterrorisme, rédigé par le député Pierre Lang, avait pointé les insuffisances de la planification des attentats biologiques, faute de moyens budgétaires suffisants (Rapport d’information sur le bioterrorisme, 2003, p. 49). La doctrine antiterroriste française souhaite, également, le maintien d’une attention permanente quant à la menace terroriste, aux moyens de campagnes de communication publique.
‘« Dans les périodes parfois longues de répit laissées par les terroristes, la vigilance doit pourtant être maintenue. Des actions de communication rappelant la réalité et la permanence du risque doivent être régulièrement menées, notamment à des moments propices : lors de la réalisation d’exercices ou au moment des départs et des retours de vacances » (La France face au terrorisme, 2006, p. 105).’Il s’avère, par exemple, que les transports en commun lyonnais, rappellent régulièrement, par des messages sonores dans les rames de métro, les usagers à une attention constante vis-à-vis des objets laissés sans surveillance.
Effet-pervers de l’injonction civique de vigilance, la dénonciation de fausses alertes à la bombe ou à l’anthrax est dénoncée. Les dirigeants politiques réclament une sévérité accrue à l’égard des canulars. Lors d’une interview à la radio, quelques jours après les attentats de Madrid, le ministre des Transports, Gilles de Robien, reprenait cette antienne. « C’est très grave [les fausses alertes à la bombe] et c’est encore plus grave dans le climat actuel » (16 mars 2004659). Au cours du mois d’octobre 2001, les alertes aux courriers empoisonnés s’étaient multipliées : 2809 alertes avaient été déclarées depuis le 11 octobre660. A l’occasion d’une conférence de presse, le 5 novembre 2001, le ministre délégué à la Santé, Bernard Kouchner se félicitait de la baisse du nombre des alertes tout en tançant les plaisantins, assimilés à des délinquants. Les fausses alertes sont « une avalanche de stupidités criminelles qui assaillent nos services hospitaliers et désorganisent la chaîne de soins, bien qu’aucun cas de charbon n’ait été décelé dans l’Hexagone »661.
Toutefois, les dirigeants ne relèvent pas le paradoxe inhérent à cette exigence de vigilance généralisée : en dramatisant la menace et en revendiquant une vigilance de tous, est-il vraiment surprenant de constater une augmentation des alertes ? Comme le rappelle fort justement Clotilde Marchetti, les appels à la bombe sont dénoncés comme le fait d’anormaux alors qu’ils peuvent être le fait de personnes de bonne foi, répondant seulement aux exigences gouvernementales (Marchetti, 2003, p. 154). A cette occasion, le Livre Blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme, s’il souhaite une sévérité accrue à l’égard des « mauvais plaisants », préconise aussi que les entreprises de transports publics fournissent des guides d’actions pratiques pour mieux évaluer la menace, « au-delà des simples messages à caractère général » (La France face au terrorisme, 2006, p. 106)662.
Les appels à la vigilance citoyenne consacrent le passage de la condamnation des attentats à la prévention du terrorisme. Ce déplacement traduit un changement des cadres de référence des discours et le début de l’intégration dans la logique décisionnelle à visée rassurante.
« Le renouvellement du lien entre la défense et la Nation passe aussi par une politique active d’information, d’explication et de transparence. Nos concitoyens et leurs élus doivent pouvoir apprécier la pertinence des actions entreprises et l’adéquation des moyens qui y sont consacrés. […] Professionnalisées, mais aussi réorganisées et modernisées, nos forces armées sont mieux en mesure d’assumer simultanément leurs missions intérieures et de projection extérieure, tout en contribuant à la construction de l’Europe de la défense » (24 septembre 2001).
« Le plan Vigipirate », 18 août 2004, Archives du Premier Ministre, [en ligne] http://www.archives.premier-ministre.gouv.fr/raffarin_version2/information/fiches_52/plan_vigipirate_50932.html, site visité le 20 mai 2007.
Cette multiplication des exercices était une des recommandations de la mission d’information sur les conséquences du 11 septembre 2001 (Quilès, 2001, p. 127).
Cette citation est une réponse à une remarque de l’animateur de RMC, Jean-Jacques Bourdin, qui dénonçait préalablement les alertes imaginaires : « Rappelons que les auteurs de fausses alertes à la bombe risquent de la prison ferme, parce qu’il y a de nombreuses fausses alertes depuis la semaine dernière ».
« Baisse du nombre d’alertes à la maladie du charbon », dépêche Reuters, 5 novembre 2001.
Cité dans Le Figaro, 6 novembre 2001
Les auteurs veulent s’inspirer d’une procédure « HOT », instaurée par la police dans le métro londonien. Elle résume les caractéristiques d’un objet suspect (Hidden, Obviously Suspicious, Typical) et édicte des consignes en cas de découverte d’un objet. Les auteurs précisent que ces mesures ont fait baisser à 1%, les incidents nécessitant une évacuation, contre 20% en 1992 (La France face au terrorisme, 2006, p. 106).