Les principes de la communication de crise se trouvent formalisés dans des manuels de communication de crise à l’usage des décideurs publics ou privés (Ogrizek Guillery, 1997, Roux-Dufort, 2000 (2003)). Ces ouvrages insistent sur l’importance de la communication parallèlement à des prises de décisions effectives : après évaluation de la situation, la communication s’intègre dans un schéma cohérent de gestion (la cohérence du message renvoyant idéalement à la cohérence de la prise de décision). Dans ces publications, un attentat est un exemple de crise parmi d’autres qui nécessite des procédures particulières : le gouvernement vise à rassurer la population sur les mesures de protections prises et diffuse un message de détermination et de fermeté712.
La communication institutionnelle a pour objectif de gagner du temps en remplissant plusieurs critères : être réactif, être une source d’informations crédibles, anticiper l’évolution de la crise, être en phase avec les perceptions (notamment médiatiques) de la crise, positionner la crise (la cadrer dans des valeurs éthiques ou fondamentales), mobiliser des ressources et tenter d’influer sur le cours des événements par des actions précises. Historiquement en matière d’antiterrorisme, la France a privilégié la discrétion sur la communication. « L’État français a plutôt, par tradition, une communication très discrète, partant du principe qu’une absence d’informations contribue à ne pas affoler les citoyens » (Marret 2004, p. 165). Mais, la consécration d’un changement fondamental de la nature des crises contemporaines713 a conduit à une évolution des pratiques politiques.
La question d’une communication publique propre à la lutte contre le terrorisme a émergé en France au cours du second semestre de 2005 sous l’impulsion de différents facteurs : la prise en compte de la nature symbolique de l’acte terroriste, une volonté politique propre (incarnée par Nicolas Sarkozy) de s’inspirer des pratiques de communication de crise de la police londonienne lors des attentats de juillet 2005, la constitution d’une doctrine nationale en matière de lutte antiterroriste (symbolisée par la parution du Livre Blanc sur la sécurité intérieure face au terrorisme) et un processus historique d’institutionnalisation de la communication politique comme instrument de l’action publique (Riutort, 2007).
Dès décembre 2001 dans leur rapport sur les conséquences en France des attentats, les parlementaires français avaient inscrit l’information des citoyens dans les mesures nécessaires et concrètes pour lutter contre le terrorisme. « La lutte contre le terrorisme est l’affaire de tous ; c’est pour cette raison que les membres de la société civile doivent tout à la fois être informés de la réalité des menaces et participer à la prévention des risques » (Quilès, 2001, p. 127). Si les rapporteurs n’évoquaient pas spécifiquement une doctrine de communication714, ils insistaient sur l’importance de la diffusion de l’information sur les menaces terroristes. L’instauration en mars 2003 des codes de couleur au sein du plan Vigipirate participe d’une volonté gouvernementale d’établir une communication homogène en matière de terrorisme. Pour Jean-Luc Marret, ce système présente de nombreux avantages comme un effet de symbolisation (simplicité et efficacité des codes de couleur qui renvoient aux couleurs du code de la route), une concrétisation du niveau de la menace (qui permet une éventuelle préparation préalable à un attentat) et une rationalisation apparente des procédures administratives de prévention (Marret, 2003, p. 73). La justification officielle de la réforme renvoie d’ailleurs à une rationalisation de la procédure d’alerte qui serait dorénavant « plus efficace, plus souple, plus adapté à la menace » :
‘« Un nouveau plan Vigipirate, comportant des mesures de vigilance, de prévention et de protection modulables et adaptées à tout type de menaces, va être mis en place. Ce nouveau plan, qui permet une mobilisation réversible, préserve la capacité des forces mobilisées à retourner à tout moment à leur mission initiale. En outre, il repose sur une nouvelle planification des types de menaces et des niveaux d’alerte » (dossier de presse de présentation du nouveau plan Vigipirate, 26 mars 2003). ’C’est l’expertise des services spécialisés et son utilisation dans l’appréhension de la menace qui sont mises en avant comme les principales nouveautés de la réforme.
Le plan Vigipirate s’intègre ainsi dans une communication publique plus globale qui entretient l’illusion d’une maitrise rationnelle.
‘« Les discours présentent les prises de décision comme répondant aux unités de temps, de lieu et d’action de la tragédie classique. La communication contribue à “dramatiser” les temps forts par des symboles […]. Elle renforce, par ces productions symboliques, l’identité des institutions qui participent à la décision » (Zémor, 1995 (2008), p. 90). ’Le dispositif de prévention du terrorisme est vu comme une nouvelle déclinaison d’une stratégie politique globale de modernisation de l’État. Ce dernier, qualifié de rigide et d’obsolète, doit se plier aux nouvelles contraintes de l’organisation administrative : la souplesse, la réactivité et la modernité.
‘« Le plan Vigipirate avait ceci de particulier, qu’il était ancien. Il avait été créé en 1981 [sic], et donc les temps ont passé depuis. Il y avait un peu ce sentiment d’accoutumance qui nuisait à son efficacité, et il n’était pas suffisamment affiné aux différentes forces de menaces. Donc, le Premier ministre avait demandé […] dans une logique d’anticipation de toutes les menaces que l’on peut imaginer, de travailler à affiner ce plan, à le rendre plus réactif […] » (Jean-François Copé, 29 mars 2003)715.’Mais, en dépit de la rationalisation apparente, les services antiterroristes ont des difficultés à traduire les informations remontées du terrain en indicateurs fiables des menaces ce qui conduit à rendre difficilement réalisable la souplesse vantée.
Le discours de la rationalisation masque les intérêts inhérents à la dramatisation contenus au cœur des interdépendances entre les décideurs politiques et les acteurs de la communauté du renseignement.
‘« Le décideur sollicite une aide à la décision, c’est-à-dire des analyses synthétiques présentant des choix clairs et simples. L’analyste, spécialiste d’une question ou d’une zone, a plutôt tendance à présenter la complexité de la situation, lui permettant de faire valoir ses connaissances, au risque de compliquer la prise de décision. Prendre la bonne décision est un fait qui est donc profondément complexe. Produire la bonne évaluation ne l’est pas moins. […] Plusieurs cas de figure liés autant à la formation intellectuelle qu’à la personnalité de l’individu peuvent influencer l’évaluation et l’analyse. En premier lieu existe la possibilité que des schémas de pensée personnels (ou portés par la culture professionnelle ou nationale) influencent l’analyse d’une réalité extérieure […]. Cette déformation peut également se traduire par l’absence d’empathie pour l’espace ou l’objet étudié, entraînant la difficulté à se couler intellectuellement dans un système ou dans une réalité extérieure. […] En cas d’incertitude sur la situation évaluée ou de crainte quant à son propre devenir, l’analyste peut avoir tendance à fournir une évaluation fondée sur l’hypothèse la plus extrême » (Forcade et Laurent, 2005, p. 47-48).’A travers cet exemple, nous voyons que la lutte contre le terrorisme tend à devenir un domaine d’actions publiques relevant d’une communication gouvernementale propre, à l’instar des politiques de santé ou de lutte contre la sécurité routière.
Le nom commun détermination et le participe passé déterminé se retrouvent dans 127 discours (41% du total) tandis que fermeté ou l’adjectif ferme est visible dans 61 discours (près d’un discours sur cinq). On peut également rajouter l’emploi du mot vigueur (18 apparitions) dans le même ordre d’idées.
Les spécialistes de la communication de crise évoquent un bouleversement structurel des crises soit par leur médiatisation croissante (Ogrizek, Guillery, 1997, p. 7) soit par leur globalisation (les crises contemporaines dépassent les frontières juridiques, spatiales ou temporelles) et leur perte de sens (Roux-Dufort, 2000 (2003), p. 4).
Le rapport préconisait plutôt une multiplication des exercices de simulation, une sensibilisation des acteurs économiques ou industriels, l’association des pouvoirs publics et du monde associatif (SOS-Attentats, Haut-Comité à la Défense Civile) et l’augmentation des réserves opérationnelles.
Le Figaro, seul journal avec Les Échos et Ouest-France, à faire un article sur la réforme de Vigipirate, reprendra l’argumentaire du gouvernement. « Un nouveau plan comprenant quatre niveaux d’alerte croissants vient d’être mis en place pour donner de nouvelles couleurs à Vigipirate, jugé obsolète et trop rigide. Ce que ne contestaient plus, mezza voce, divers “patrons” de services de sécurité en France », « Vigipirate se modernise pour devenir plus réactif », Le Figaro, 28 mars 2003.