2.1 Le rejet de la « guerre au terrorisme »

Depuis 2001, de nombreux éléments ont été avancés afin d’expliquer la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme. L’ampleur des attentats, la remise en cause de mythes culturels fondateurs (le mythe de l’invulnérabilité et le mythe de l’innocence737) et la domination d’une lecture guerrière de l’événement (les références à Pearl Harbor, la dénomination de la lutte contre le terrorisme comme « War On Terror », la désignation de l’ennemi comme « Axe du Mal », etc.) contribuent très largement à l’usage de la force militaire pour répondre au défi terroriste.

Toutefois, ces facteurs conjoncturels ne doivent pas faire oublier le poids des facteurs structurels dans les prises de décisions politiques américaines. Les historiens ont mis en évidence la notion de « cultures militaires nationales » construites à partir de facteurs physiques (la géographie, la puissance industrielle) et culturels (représentations de l’ennemi et des expériences historiques au sein des états-majors et des responsables politiques) (Luttwak, 1985 (1989)). Ces processus de sédimentation se réifient avec le temps et peuvent entraîner des perceptions complètement faussées de situations historiques nouvelles. L’historien Russell F. Weigley a montré, dès les années 1970, l’inclination des forces armées américaines à se reposer sur leur domination technologique738 ; une tendance confirmée par l’éclatante victoire de la première Guerre du Golfe en 1991. Ces mauvaises lectures contribuèrent, par exemple, au maintien de la promotion du bouclier anti-missile après les attentats du 11 septembre, commis à l’aide d’avions de ligne739. Afin de répondre à une situation inconnue, les États-Unis ont donc adopté une stratégie inscrite dans un long héritage culturel et historique.

En plus d’être une réponse symbolique suffisamment forte à l’attaque terroriste du 11 septembre 2001, le choix d’une logique militaire dans la lutte contre le terrorisme est aussi le produit de l’histoire propre des différentes institutions militaires américaines. Si les attentats n’ont pas provoqué de rupture dans la conduite de la stratégie militaire américaine, les États-Unis ont toutefois profondément modifié leur organisation interne de lutte contre le terrorisme et leur conception des libertés civiles. A l’inverse, les Français n’ont pas bouleversé l’organisation de leur structure antiterroriste s’inscrivant dans leur tradition nationale de judiciarisation de la lutte antiterroriste.

Notes
737.

Ces mythes fondateurs se sont développés dès les premières années de l’indépendance américaine, voir Marienstras Élise, 1977 (1991), Les mythes fondateurs de la nation américaine. Essai sur le discours idéologique aux États-Unis à l’époque de l’indépendance (1763-180), Bruxelles, éditions Complexe.

738.

Weigley Russel, F., 1973, The American Way of War : A History of United States Military Strategy and Policy, New York, Mac Millan.

739.

Keith Payne, président du National Institute for Public Policy, estimait que la défense antimissile devait demeurer un investissement prioritaire après le 11 septembre 2001. Maintenant intact une lecture des relations internationales en terme d’États-voyous et de prolifération nucléaire, l’auteur intègre les attentats comme la preuve de l’agressivité des ennemis de l’Amérique. De ce point de vue, la défense antimissile est un instrument symbolique de prévention détaché de son utilité originelle, « Bien sûr, la défense antimissile ne répond pas totalement à cette menace [terroriste], mais elle est un élément de réponse essentielle. Les attentats terroristes du 11 septembre ont montré l’ineptie des raisonnements commodes et rassurants selon lesquels les éléments hostiles “n’oseront pas” se livrer à des actes extrêmement risqués », Payne Keith, 2001/2002, « Après le 11 septembre, quel doit être le niveau de priorité de la défense antimissile dans les investissements consacrés à la sécurité ? », La Revue de l’OTAN, Hiver, p. 26-30, p. 27.