Tout en étant une rupture brutale aux États-Unis, les attentats du 11 septembre 2001 ont également renforcé certains fondements de la culture politique américaine. Sur le plan intérieur, les attentats ont conduit à des profondes modifications dans l’organisation institutionnelle et le respect des libertés civiles. Au contraire, sur le plan extérieur, ces événements n’ont fait qu’exacerber les tendances longues de la politique étrangère américaine. En France, le rapport à la notion de guerre pour lutter contre le terrorisme est différent.
Le maintien de l’imaginaire vivace d’une nation messianique favorise l’extrapolation de la défense du territoire américain vers la défense de la démocratie et de la liberté. Dès 1845, John O’Sullivan, chroniqueur à la Democratic Review, utilisait l’expression de Manifest Destiny pour promouvoir l’annexion du Texas et de l’Oregon.
‘« Aucune tradition ne pénètre aussi profondément dans l’âme politique américaine que cet élément si particulier qu’on appelle, depuis la moitié du XIXème siècle, The Manifest Destiny. The Manifest Destiny, qui épouse des formes multiples au cours des siècles qui séparent l’arrivée des pèlerins sur le Mayflower, en 1620, et le début du troisième millénaire, est ce sentiment profond d’appartenance à un groupe investi d’une mission, mission dont le but principal est de repousser aussi loin que possible, puis de protéger, les frontières de la “liberté” » (Chaliand et Blin, 2003, p. 20).’Il existe une assimilation historique entre les États-Unis et la liberté : la défense des frontières américaines est une défense de la liberté et l’expansion des États-Unis constitue une extension de la liberté dans le monde. Ces éléments permettent d’intégrer certains discours politiques contemporains dans une tradition politique classique et non dans une représentation partisane comme Georges W. Bush lors de sa seconde déclaration le 11 septembre 2001. « La lâcheté sans visage s’en est prise ce matin à la liberté, et la liberté se défendra »740. Cette expérience singulière de la démocratie américaine sert de référence universelle et de fondement à la mission civilisatrice des États-Unis. Elle explique également le second pilier de la culture politique américaine : la pureté originelle.
La continuité profonde dans la politique étrangère américaine se nourrit de l’effondrement du mythe de l’innocence. Celui-ci explique l’étonnement et l’incompréhension des Américains devant les attaques du 11 septembre 2001.
‘« Fondamentalement, le peuple américain est persuadé de suivre la bonne direction, même s’il a conscience de se tromper parfois au cours du voyage, empruntant des sentiers dans lesquels il peut certes s’égarer avant de retrouver le droit chemin. Dans cette perspective, il n’existe qu’un seul chemin, qui est celui choisi par les pères fondateurs » (Chaliand et Blin, 2003, p. 29).’Puisque l’Amérique est ontologiquement irréprochable, les attentats ne peuvent être le fait que de forces obscurantistes en guerre contre les principes libéraux et démocratiques.
Au niveau de la politique étrangère, la « guerre contre le terrorisme » n’a pas engendré de ruptures majeures mais elle a eu tendance à exacerber des processus et des représentations préexistants. Sur le plan intérieur, les changements ont été plus profonds par la remise en cause des principes fondamentaux de la culture politique américaine : la liberté d’expression, l’absence d’intervention de l’État central ou l’équilibre des pouvoirs.
Cité par Le Monde, 13 septembre 2001.