Sans nier la part de prudence politique dans la stratégie du gouvernement français pendant la période de septembre à octobre 2001764, la lutte contre le terrorisme s’inscrit en France, selon nous, dans une tradition solidement ancrée : celle d’une judiciarisation de la lutte antiterroriste qui date des années 1980.
Certes, la France a déjà usé de l’arme militaire pour lutter contre le terrorisme. Ce fut le cas en novembre 1983 quand l’aviation française bombarda des positions de la milice chiite Amas en réponse à l’attentat d’octobre 1983 contre le quartier général du corps expéditionnaire français à Beyrouth. Mais cet usage militaire relevait d’une pure « stratégie de simulation » puisque le Quai d’Orsay avait prévenu préalablement les autorités syriennes, soutiens des miliciens chiites (Plenel, 1986, p. 922). Autre élément historique plus fondateur, la lutte anti-insurrectionnelle que l’armée française a mené en Algérie qui s’apparentait pour les militaires à une lutte contre le terrorisme. Enfin, plus récemment, en mars 2008 et à plusieurs reprises depuis cette date, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a inscrit les opérations militaires françaises en Afghanistan dans une lutte globale contre le terrorisme765. A la suite des attentats de 2001, les dirigeants français, droite et gauche confondues, avaient insisté sur les volets judiciaires et policiers de la lutte antiterroriste au niveau international comme national.
Les responsables politiques ont d’ailleurs appuyé leur argumentaire sur l’efficacité du système national en comparant implicitement avec la stratégie américaine (notamment du point de vue des garanties des libertés individuelles en comparaison de Guantanamo, Abou Ghraïb ou des vols secrets de la CIA). Cette centralité des actions non militaires (ce qui ne veut pas dire non répressives) s’inscrit dans la volonté d’aborder en profondeur la question du terrorisme.
‘« Pour détruire les réseaux terroristes, il faut une action policière, financière et fiscale. Si nous souhaitons agir efficacement ensemble contre le terrorisme, il peut y avoir des mesures d’actions militaires immédiates, mais les solutions pour priver de la capacité de nuire ce terrorisme destructeur, supposent une action longue, déterminée et multilatérale » (Alain Richard, 17 septembre 2001)766.’Les attentats depuis 2001 ont donc eu pour effet principal d’approfondir l’approche française de lutte contre le terrorisme.
Ainsi, la centralisation a été accentuée (y compris sur le plan institutionnel avec la création de la DCRI en juillet 2008 à partir de la fusion des RG et de la DST), la judiciarisation a été renforcée (par le refus de suivre la voie militaire), la logique préventive accrue et la coordination affirmée (par la valorisation des pratiques de coopération). Les discours politiques qui ont accompagné ces logiques ont été justifiés par le principe d’efficacité et par la nature démocratique de cette approche ; la maitrise, censée rassurée les citoyens, s’exprimant ici par une recherche d’un équilibre entre efficience et légalité.
Les médias ont commenté ces éléments en avançant que, outre les questions sur l’efficacité réelle de la campagne militaire ou les risques d’engrenage qu’elle comportait, la prudence pouvait être liée à un anti-américanisme historique et la présence d’une forte communauté musulmane sur le sol français.
« Parce qu’en Afghanistan se joue une partie de la lutte contre le terrorisme mondial, donc on doit gagner », interview de Nicolas Sarkozy à la BBC, 26 mars 2008.
Ses propos seront repris comme éléments de langage pour « servir de guide dans les contacts avec les médias » (voir annexes).