Chapitre 8 L’inscription dans un monde de désordre

D’une manière générale, un attentat est toujours interprété comme un phénomène à la fois inédit et représentatif d’une nouvelle frustration sociale. « Chaque éruption d’un conflit politique violent, chaque “vague de criminalité”, est annoncée comme si c’était sans précédent et un indice d’une nouvelle pathologie sociale » (Schlesinger, 1991, p. 12). En dépit des discours dénonçant l’illégitimité de la violence terroriste, les hommes politiques tentent d’expliquer la résurgence de la violence terroriste à l’aide de son inscription au sein de différents phénomènes politiques et sociaux tels la persistance de crises politiques non résolues ou des inégalités économiques à travers le monde. Ces discours explicatifs font du terrorisme un révélateur des crises contemporaines.

Pour Greg Bankoff, le vocable de terrorisme ne constitue d’ailleurs que l’ultime désignation d’une série de représentations occidentales concernant les zones dangereuses du globe. « Terrorism, in fact, is only the most recent in a long line of “dangerous” conditions that have come to represent how certain areas of the non-Western world are usually imagined and subsequently depicted as regions of risk » (Bankoff, 2003, p. 414). Dans ce cadre, le terrorisme est interprété comme un des symptômes des désordres mondiaux dont l’Occident doit se prémunir.

‘« The present rhetorical preoccupation with international terrorism is not solely the consequence of the mayhem wrought by the attacks on the WTC and the Pentagon of 11 September 2001 but is yet another manifestation of an historical discourse embedded within a distinctly Western construction of knowledge. Terrorism, natural disasters, development, and tropicality form part of one and the same essentializing and generalizing cultural discourse, one that is used to denigrate large regions of world as dangerous - terrorist-spawning, disaster-prone, poverty-stricken, and disease-ridden, one that depicts the people of these regions as inferiors - criminals, victims, helpless, and infected » (Bankoff, 2003, p. 424-425)’

Cette insertion dans une explication plus large illustre le passage d’un référentiel sectoriel (la lutte contre le terrorisme) à un référentiel global (la représentation d’un ordre international). Cette opération modifie la narrativité et la séquentialité du récit politique.

Si les analyses nationales sur la lutte contre terrorisme avaient démontré la continuité historique du phénomène (y compris avec le choc des attentats de New York), les discours sur l’état du monde font du 11 septembre 2001 une rupture historique. La succession des attentats à Karachi, Madrid ou Londres (pour ne parler que des attentats analysés dans ce travail) ont acté, pour les dirigeants, l’entrée dans une nouvelle période historique.

Nous verrons comment les dirigeants politiques établissent les causalités des attentats puis tentent de remédier aux problèmes mis à jour. Le règlement des crises politiques s’appuie sur un récit global de l’état du monde. Les attentats du 11 septembre 2001 ont acquis d’emblée un statut historique que les dirigeants politiques ont accompagné par leur inscription dans une nouvelle configuration des relations internationales marquée par la précarité et le désordre. Ces énoncés du désordre ancrent les pays occidentaux dans une position défensive qui nécessite une modification de leurs approches stratégiques.