1.2 La récupération partielle de la subversion terroriste : le règlement des crises politiques

Si les régimes démocratiques sont fondés sur la régulation de la contestation par les élections et la liberté d’expression, la critique peut néanmoins tendre vers la subversion et la remise en cause brutale de l’ordre établi. L’irruption brutale et inattendue de la violence de l’attentat s’inscrit parfaitement dans cette négation du pouvoir politique910.

‘« Le point extrême de la dramatisation du refus est atteint avec la violence urbaine qui ne s’inscrit plus dans un ordre, car elle en est la négation absolue. Elle entend le ruiner en attaquant ses assises matérielles, ses institutions, ses personnages représentatifs, ses dispositifs symboliques ; elle opère de manière diffuse, inattendue, spectaculaire, afin d’entretenir l’effet d’insécurité ; elle ravage, produit l’irruption du désordre, pour engendrer l’insurrection décisive ou le miracle des nouveaux commencements » (Balandier, 1980 (1992), p. 127-128). ’

Si les responsables politiques prennent soin de ne pas justifier la violence terroriste, ils avancent néanmoins un certain nombre de causalités dans l’émergence des mouvements radicaux. La configuration des récits politiques conduit à relier aux causalités avancées des réponses cohérentes afin de résorber le problème social. La lutte antiterroriste ne peut pas être seulement répressive et elle doit s’accompagner de réponses politiques afin d’éliminer les facteurs de facilitation du terrorisme.

Logiquement afin de lutter contre ces organisations violentes, il faut réduire les causes de leur développement, parallèlement à l’aspect répressif.

‘« Ce qui est important dans la lutte contre le terrorisme, c’est de comprendre que ce n’est pas simplement la punition d’un acte terroriste particulièrement immonde comme celui du 11 septembre, mais c’est tenter d’aller plus loin. Il faut donc casser les réseaux, leur financement, contredire les idéologies qui les alimentent, il faut les priver de terreau » (Hubert Védrine, 17 septembre 2001). ’

La lutte contre le terrorisme n’est pas une fin en soi. Elle constitue une nécessité pour résorber la violence qui s’est exprimée mais elle ne doit pas faire oublier le traitement politique des inégalités mondiales.

‘« La détermination collective à éliminer les formes les plus dangereuses, les plus déstabilisatrices, du terrorisme partout où il se manifeste ne suffira toutefois pas à résoudre les très grands problèmes d’inégalité et de déséquilibres mondiaux qui subsistent. A eux aussi, il faut apporter des réponses » (Jospin, 2002, p. 183-184).’

Jacques Chirac ne dit pas autre chose : s’il reconnait la nécessité d’une répression du terrorisme, il précise que la réalité du monde impose un règlement des crises internationales qui constituent les matrices de la violence.

‘« La communauté internationale doit se rassembler pour lutter contre le terrorisme de toutes ses forces et sans relâche. Mais soyons lucides. Nous devons aussi nous rassembler pour mettre un terme aux conflits qui alimentent la colère et la frustration des peuples, pour lutter contre la misère, l’humiliation et l’injustice qui sont des terreaux de la violence » (16 mars 2004).’

Les réflexions sociales sur les sources des déviances conduisent à des actions politiques mêlant répression et prévention. « Face au terrorisme, nous devons opposer force et détermination. Mais nous devons aussi affirmer dans le monde les valeurs de respect, et notamment de respect de l’autre, de justice et de solidarité » (ibid.). Ces exemples sont corroborés par l’analyse de contenu.

Nous avons rassemblé les arguments relevant des réponses à apporter au terrorisme au sein de quatre grands registres politique, économique, policier et militaire. Le registre politique regroupe les actions diplomatiques et politiques (promotion de la paix et des institutions internationales, refus d’une approche uniquement militaire, etc.), le registre économique associe des actions de lutte contre la corruption et des réformes sociales favorisant un rééquilibrage des richesses mondiales, le registre militaire rassemble les références aux actions guerrières (bombardements, frappes, etc.), aux représailles ou à l’élimination des réseaux terroristes, enfin, le registre policier renvoie à la judiciarisation de la lutte antiterroriste, aux actions des services de renseignements et à la coopération internationale et européenne en matière de justice pénale. Le registre politique domine largement la typologie des réponses promues par les dirigeants politiques avec 52,2% des occurrences. Il devance le registre policier (26,2%), le registre militaire (11,9%) et le registre économique (9,7%).

On remarque une forte stabilité dans la hiérarchie entre les registres quand on fait varier les déterminants de l’énonciation (temporalité, statut institutionnel ou partisan). En 2001, le registre politique (51,6% des arguments) devance les propositions d’actions policières (24,9%), militaires (12,9%) et économiques (10,5%). Les discours produits à l’occasion des attentats de 2004 conservent un classement identique avec une amplitude accrue entre les actions politiques et policières (respectivement 61,9 et 33,1% des arguments) et les deux autres registres (3,6% pour le registre militaire et 1,4% pour le registre économique). Le statut institutionnel (opposition ou gouvernement) influe sur le poids des réponses policières (elles sont plus revendiquées par les membres du gouvernement que par les membres de l’opposition : 32,8% contre 20,4%) et économiques (11,3% contre 2%). Enfin, l’appartenance partisane n’est discriminante que dans le domaine des réformes économiques : 13,9% des arguments des locuteurs de gauche (PS, PC et Verts) renvoient à ce registre contre 4,5% des locuteurs de droite (UMP et UDF).

L’argument principal du registre politique est la nature multiforme de la réponse à apporter au terrorisme. Celle-ci doit être répressive par l’emploi de moyens militaires ou policiers mais elle doit être également symbolique (par la lutte contre les idéologies extrémistes) et diplomatique (par la résolution des crises en Tchétchénie ou en Palestine).

‘« Une lutte pour combattre le terrorisme, c’est une lutte qui est punitive. Il faut employer des moyens éventuellement militaires, policiers, judiciaires, fiscaux, etc. Mais c’est aussi une lutte politique. Lutter contre le terrorisme, c’est lutter contre tout ce qui l’alimente : les idéologies, les réseaux, les situations. Les situations de crise qui n’en finissent pas d’être là, de s’aggraver... C’est toute une politique qu’il faut faire » (Hubert Védrine, 17 septembre 2001).’

Le Premier ministre exprime également cette volonté d’une réponse globale au terrorisme.

‘« Le combat que nous engageons […] devrait être complété, selon moi, par un immense effort international en faveur de la paix, du développement et de la lutte contre les inégalités, car les conflits, la misère et l’injustice sont propices au développement du terrorisme » (Lionel Jospin, 24 septembre 2001).’

Contraints par la riposte militaire menée par les États-Unis, les dirigeants français approuvent le choix d’outils guerriers mais seulement avec des objectifs limités (bombardements ciblés, élimination des réseaux et des camps terroristes). « S’agissant des actions de lutte contre le terrorisme qui pourraient être menées directement, avec des moyens militaires, elles devront être proportionnées, stratégiquement et militairement justifiées, politiquement cohérentes » (Lionel Jospin, 24 septembre 2001). Les solutions préconisées par le gouvernement pour lutter contre le terrorisme à la suite des attentats du 11 septembre 2001 se sont appuyées sur des interprétations causales faisant des crises politiques et des inégalités de richesses, l’origine de la radicalité violente.

Selon nous, ces représentations causales fournissent un point de basculement entre le référentiel sectoriel de la lutte contre le terrorisme et un référentiel global sur les relations internationales. Par l’intermédiaire des discours antiterroristes, les dirigeants politiques diffusent leurs représentations de l’état du monde dans la mesure où la radicalité des organisations trouve sa source dans différentes causes politiques et économiques globales. Ces dernières consacrent l’entrée dans une nouvelle ère marquée par une complexification et une précarisation générale des relations internationales.

Notes
910.

Cette hypothèse est validée à partir de deux critères : le fait que les motivations des acteurs clandestins ne puissent être inscrites dans un processus de négociation (cette insertion est le produit d’un travail de qualification et de requalification de motivations « crédibles » et/ou « secondaires ») et le dépassement d’un seuil dans l’exercice de la violence (ainsi des attentats du 11 septembre 2001 ou, dans une moindre mesure, de l’assassinat Érignac en Corse).