A. Une recherche socioconstructiviste

1. Du positivisme au socioconstructivisme

L’orientation initiale de ce travail était positiviste et empiriste dans la lignée de mon mémoire de Master qui se basait sur des entretiens et des observations non participantes. C’est dans cette perspective que se sont structurées les premières ébauches méthodologiques pensées au cours de la première année de thèse. Cette orientation est devenue incohérente quand je suis devenue partie prenante de l’EEDD. Je ne reviendrai pas plus amplement sur mon parcours déjà évoqué en prologue. Je ne pouvais pas prendre part à l’EEDD d’un côté (dans ma vie professionnelle) et me définir comme étant neutre de l’autre dans cette recherche doctorale. C’est cette contradiction qui m’a conduite à abandonner une posture wébérienne (1919) pour adopter une vision sartrienne (1954) Derrière la question de l’engagement, c’est le rapport à la réalité qui est interrogé. On ne peut pas être positiviste quand on agit consciemment et sciemment sur son objet de recherche. Inversement, on ne peut pas se dire engagé en considérant que l’engagement ne peut influer sur la réalité. Mon engagement m’a conduit vers une vision habitée du monde, c’est-à-dire à considérer la réalité non comme un donné mais comme un construit auquel je participe, d’où l’orientation socioconstructiviste de ce travail.

L’orientation socioconstructiviste découle aussi d’une réflexion de fond sur le développement durable, ses racines et ses implications. Une seconde incohérence a émergé de ma posture positiviste initiale. Le positivisme s’inscrit dans le cadre du paradigme scientifique occidental (MORIN E., 2005). Il renvoie à une science qui sépare le sujet, le chercheur, de son objet et qui érige la connaissance au statut de réalité objective. Pour cerner cette réalité, il est nécessaire de recourir à des méthodologies réductionnistes. Or la notion de développement durable ne relève pas de ce paradigme mais de la pensée complexe (MORIN E., 2005), c’est-à-dire d’une pensée qui ne soit pas linéaire mais systémique, qui ne soit plus fragmentée mais transversale et qui appelle finalement un nouveau travail scientifique. Nous reviendrons plus tard dans ce travail sur les concepts de paradigme scientifique occidental et de complexité car ce sont des piliers de ce travail. Il s’agit ici simplement de souligner le décalage entre le cadrage méthodologique et le cadre de l’objet étudié. Ce décalage était dual car, dans le champ de l’éducation, le positivisme correspond à un modèle transmissif de la connaissance. Les savoirs étant une connaissance objective du monde, ils sont transmis par ceux qui savent : c’est l’héritage du mythe de la caverne. L’éducateur ou l’enseignant est celui sait et l’apprenant, celui qui reçoit la connaissance et se l’approprie. C’est la transmission du savoir selon la logique descendante illustrée ci-dessous.

Figure 1 : Modèle transmissif de la connaissance
Figure 1 : Modèle transmissif de la connaissance

Or l’éducation à l’environnement vers le développement durable a émergé de l’éducation relative à l’environnement, qui s’inscrit dans la lignée des courants de psychologie de l’apprentissage (PIAGET J., 1937 ; VYGOTSKY L.S., 1978 ; BRUNER J.S., GOODNOW J.J., AUSTIN G.A, 1956)et adhère à une vision socioconstructiviste des savoirs. Les savoirs ne sont pas transmis mais construits par l’apprenant en lien avec son environnement. Le modèle transmitif n’est pas celui de l’EEDD ni même de l’ERE. Adopter une posture positiviste pour analyser le développement durable et l’éducation à l’environnement vers le développement durable c’est adopter une perspective opposée à celle du sujet étudié, c’est risquer de ne pas voir les choses pour avoir choisi les mauvaises lunettes.

J’ai donc finalement adopté une posture socioconstructiviste qui s’est substituée au positivisme initial. Cette nouvelle posture impacte la recherche à deux niveaux :

Sur le plan heuristique, il touche au statut accordé au savoir qui n’est pas défini comme une vérité, LA vérité découverte à la lecture du monde (paradigme scientifique occidental). Le savoir est une construction sociale. Le chercheur participe pleinement de ce processus mais n’en a pas l’exclusivité. D’autres acteurs peuvent contribuer à la construction des savoirs. Ce postulat est fondateur pour ce travail car une partie des actions de recherches entreprises sont collaboratives et toutes sont partenariales. Nous reviendrons sur l’implication des acteurs dans l’élaboration des savoirs ultérieurement via la théorie des parties prenantes.

Sur le plan cognitif, il concerne l’acquisition des savoirs. Cette recherche ayant une dimension didactique, adopter une posture socioconstructiviste rejaillit sur les modalités d’analyse des savoirs, c’est-à-dire sur l’analyse didactique. Le modèle de référence n’est pas le modèle transitif qui est celui traditionnellement en vigueur au sein de l’institution scolaire10. L’éducateur – ou l’enseignant- a pour fonction de transmettre aux élèves, le savoir qu’ils doivent acquérir. Dans une perspective socioconstructiviste, l’acquisition de savoirs découle d’un processus de construction individuelle qui s’opère en interaction avec autrui et avec son environnement. Nous ne rentrerons pas dans le détail de cette construction ni dans les débats théoriques qui l’animent (PIAGET J., 1937; VYGOTSKY L.S., 1978 ; BRUNER J.S., GOODNOW J.J., AUSTIN G.A, 1956). Ce n’est pas ici notre propos. Le socioconstructivisme constitue aussi le cadrage théorique pour la partie didactique de cette recherche.

Du positivisme initial, cette recherche doctorale s’est ainsi réorientée vers une posture socioconstructiviste plus cohérente avec mon engagement dans le champ de l’EEDD mais également avec l’objet même de la recherche à savoir le développement durable et l’éducation à relative l’environnement. L’ensemble des actions de recherche menées n’a pas été réalisé dans cette optique, notamment l’analyse des stratégies territoriales et politiques de l’Etat et des collectivités territoriales. Une partie de la lecture qui est faite du milieu de l’ERE a une approche plutôt structuraliste. C’est pourquoi nous avons adopté une lecture bourdieusienne du constructivisme : le « constructivisme structuraliste » (BOURDIEU P., 1987).

Notes
10.

Même si le modèle transitif n’est plus le modèle officiel, il appartient encore largement à l’habitus enseignant.