2. Le « constructivisme structuraliste »

Il permet d’allier le rôle de l’individu dans la construction des savoirs et l’influence des structures sur ces individus.

Par structuralisme ou structuraliste, je veux dire qu’il existe, dans le monde social lui-même, […] des structures objectives indépendantes de la conscience et de la volonté des agents, qui sont capables d’orienter ou de contraindre leurs pratiques et leurs représentations. Par constructivisme, je veux dire qu’il y a une genèse sociale d’une part des schèmes de perception, de pensée et d’action qui sont constitutifs de ce que j’appelle l’habitus, et d’autre part des structures sociales, en particulier de ce que j’appelle des champ (BOURDIEU P., 1987, cité dans Corcuff Ph., 1995, p30-31).

Pierre Bourdieu cherche à concilier l’objectif (le social) et le subjectif (l’individu) au sein du « constructivisme structuraliste ». Il désigne ainsi le double mouvement d’intériorisation de l’extérieur et d’extériorisation de l’intérieur. La connaissance puise son origine dans le social. Dès l’enfance, l’individu assimile ainsi des comportements, des perceptions et des références qui structurent ses habitus et génèrent des capitaux sociaux, économiques et culturels mobilisables. L’individu intériorise donc très tôt l’organisation sociale dans laquelle il s’inscrit, ce qui configure son organisation cognitive. Les structures objectives fondent les représentations subjectives. En retour, ces représentations modèlent le social sous certaines conditions. Pierre Bourdieu cite l’exemple des effets de théorie qui résultent des conséquences d’une théorie sur la réalité sociale comme ce fut le cas du marxisme. Le cognitif peut influer sur le social. C’est une vision systémique de l’interaction du social et du cognitif que l’on peut illustrer ainsi.

Figure 2 : Le constructivisme structuraliste
Figure 2 : Le constructivisme structuraliste

Le constructivisme structuraliste constitue un cadrage théorique pertinent pour une recherche portant sur le développement durable et l’éducation à l’environnement vers le développement durable. Il permet de rendre compte du processus qui est à l’origine de la notion de développement durable. Nous montrerons en effet au cours de ce travail que la notion a une origine technocratique - rapport Brundtland en 1987 - et qu’elle s’est ensuite largement diffusée au sein des différentes instances sociales, politiques et économiques au point que le durable est devenu un critère de choix. Cela sous-tend que le développement durable appartient dans une certaine mesure (que nous ne jaugerons pas ici) à l’habitus de certains individus, de certaines classes sociales. En devenant un critère de choix en politique ou en économie (acte d’achat), le développement durable impacte en retour sur les postures des instances sociales. Les entreprises proposent de produits équitables, écologiques ou biologiques parce que c’est ce que les consommateurs recherchent. De la même manière, les politiques ont un volet durable dans leur programme parce que les électeurs sont en demande. L’éducation à l’environnement vers le développement durable est un processus qui vise l’adoption d’une démarche de développement durable par les individus et les instances sociales. Elle cherche à influer en même temps le cognitif et le social. Elle est dans une dialectique individu/société dans laquelle ni l’un ni l’autre n’ont l’ascendant.

Le constructivisme structuraliste s’inscrit aussi dans une dialectique individu/société mais il accorde la primauté au social sur le cognitif dans la lignée des courants actuels de psychologie sociale développés à Neuchâtel et à Genève (DOISE W. et MUGNY G., 1997 ; PERRET-CLERMONT A.-N., 1996). Cette primauté prise sans précaution, constitue une forme de déterminisme social. C’est la société qui façonne l’individu. Transférée dans le champ éducationnel, cela conduit vers une vision behavioriste de l’éducation. La finalité éducative n’est alors plus le développement personnel et social de l’individu mais l’adoption de comportements prédéfinis. On peut considérer qu’il s’agit d’une forme de formatage. Dans le champ de l’EEDD, cela correspond aux travaux sur la communication engageante qui s’évertuent à étudier comment faire faire aux individus ce qu’on a décidé qu’ils fassent (JOULES R.-V., 2007). Cette vision de l’éducation et de l’EEDD en particulier ne correspond pas à ma vision de mon métier d’enseignante et d’éducatrice. Je suis profondément convaincue que les enjeux de l’éducation sont bien plus nobles que de faire simplement rentrer les enfants et les adolescents dans des cases prédéfinies même si j’ai bien conscience que l’éducation est une forme de socialisation (VINCENT G., 1994). L’éducation devrait viser d’abord et avant tout le développement personnel de l’enfant et lui permettre de créer un rapport-au-monde constructif pour lui et pour la société.

Pour résumer, le constructiviste structuraliste constitue le cadrage méthodologique le plus proche de ma démarche mais il est à mobiliser avec précaution pour éviter l’écueil du déterminisme social. Cette recherche doctorale s’inscrit en effet pleinement dans les sciences de l’éducation, c’est plus précisément au champ de l’éducation relative à l’environnement qu’elle s’arrime. C’est là que nous devons donc l’inscrire maintenant.