3. L’organisation de la recherche

Cette recherche doctorale est en effet construite comme un système.

La première partie tente de démontrer au moyen d’une analyse historique et épistémologique que la notion de développement durable est éminemment politique par son histoire. C’est en effet une notion (Rapport Brundtland, 1987) qui a été formalisée et diffusée par les instances internationales (ONU ; UNESCO). Elle s’inscrit dans la lignée des politiques de développement mises en œuvre depuis plusieurs décennies qu’elle tente de réformer. Le développement durable est une forme de développement. Par conséquent il exprime des choix sociétaux et culturels. Une société qui choisit un développement durable croit dans le progrès de l’humanité, apporté par la technique et la connaissance selon une temporalité linéaire et cumulative. Le développement durable appartient au champ du politique, tout comme son corolaire éducatif. L’éducation au développement durable a été impulsée par les instances internationales, comme la notion de développement durable.

Le développement durable et l’EDD marquent une rupture avec ce qui les précédait. En effet, l’écodéveloppement et l’ERE s’inscrivent dans la perspective d’un changement sociétal et éducatif, contrairement au développement durable et à l’EDD. L’écodéveloppement repose sur une critique de la société occidentale moderne. C’est un outil politique pour construire une autre société. Il ne propose pas de solutions prédéfinies et ouvre sur des choix éducatifs variés, regroupés dans l’éducation relative à l’environnement. L’EDD et l’ERE se construisent donc sur des choix pédagogiques différents tout comme l’écodéveloppement et le développement durable expriment des choix sociétaux différents. Le passage de l’un à l’autre se légitime par des choix politiques. Les implications du développement durable et de l’EDD sont donc aussi de nature politique, tout comme les acteurs mobilisés pour les mettre en œuvre.

Les décideurs politiques locaux et régionaux ont un rôle important dans la mise en place d’une éducation relative à l’environnement. Depuis une dizaine d’années, l’Etat les a placés, par le jeu de la décentralisation, au cœur de l’ERE. Ils sont aujourd’hui dans la situation de créer ou non, un contexte favorable à l’émergence d’actions et de projets d’ERE. Même si ils n’ont pas tous le même niveau d’engagement, d’une manière générale, on observe une prise en charge croissante de l’ERE par les décideurs politiques locaux et régionaux en ERE.

Les politiques éducatives françaises ont placé l’Ecole au centre de l’ERE en optant pour la durabilité. La seconde partie de ce travail s’emploiera à démontrer le rôle central de l’Ecole dans le champ de l’ERE et son empreinte dans les pratiques actuelles.

L’orientation de l’Ecole vers une éducation au développement durable est un choix politique. Ce choix est d’abord celui de l’Etat français qui s’est engagé dans le domaine. C’est l’engagement de l’Ecole qui s’est approprié l’objet et l’a adapté à ses propres logiques et contraintes. L’Ecole, repose sur un mode de socialisation nommé forme scolaire. Cette dernière soumet l’élève au maître selon des règles impersonnelles (VICENT GUY (dir.), 1994. Les savoirs transmis s’inscrivent dans le cadre de la culture scolaire (CHERVEL A., 1998 ; AUDIGIER F., 1997 dans KNAFOU R., 1997). Or l’ERE rompt avec le système scolaire traditionnel et soutient un changement éducatif profond. Elle est en décalage par rapport à la forme et à la culture scolaire contrairement à l’éducation au développement durable. L’EDD se centre sur la transmission de savoirs ce qui lui permet de s’inscrire dans le découpage disciplinaire. C’est le résultat de la généralisation qui tend à uniformiser les pratiques enseignantes.

L’Ecole marque de son emprunte l’ERE au-delà de sa sphère scolaire. Elle mobilise des partenaires, intervenant souvent directement auprès des élèves. Ces partenaires doivent se plier à la culture scolaire. Ses interventions sont financées par des décideurs politiques locaux ou régionaux. L’institution scolaire s’inscrit au sein d’un réseau relationnel ce qui pose la question du rôle de la culture et de la forme scolaire auprès des partenaires. La culture associative est très différente de la culture scolaire. Structurées autour d’un projet, les associations s’inscrivent dans un réseau relationnel qui fonctionne par interconnaissance. Au-delà de la culture associative, chaque association en tant que structure dispose d’une culture propre. Le rapport de Ecole / association peut se penser comme une confrontation de deux cultures structurelles. En réalité, les partenariats éducatifs noués entre l’Ecole et les associations d’ERE sont de type instrumental (SAUVE L., 1994) ou utilitariste (BRUXELLES Y., 2006-2007). L’Ecole est le partenaire prédominant, ce qui implique l’adhésion des associations à la culture scolaire est une condition nécessaire du partenariat scolaire.

Par le prisme de l’Ecole, le développement durable est devenu un savoir à enseigner et un savoir enseigné. Dans le contexte scientifique, le statut du développement durable pose question et à plusieurs titres. Ce n’est pas un savoir puisqu’il n’est pas affilié à une seule discipline. Il a émergé des impasses des deux sciences dont l’objet est l’Oïkos : l’économie et l’écologie. Ces disciplines ne sont parvenues à définir un paradigme qui leur permette de penser leur objet sans se heurter l’une à l’autre. L’économie ne parvient pas à penser la richesse et son accroissement sans prendre en compte le milieu. L’écologie ne peut pas non plus faire l’économie de l’homme et de son action sur le milieu. Le développement durable a ainsi émergé de l’impensé disciplinaire. C’est un hybride qui résulte des limites de la science moderne (MORIN E., 1990 ; LATOUR B., 1991).

Le développement durable appelle ainsi à un nouveau travail scientifique qui ne morcèle plus le savoir en discipline. Il invite à penser les objets de manière transdisciplinaire dans une approche complexe. Constitue-t-il pour autant une révolution scientifique au sens kuhnien du terme (KUHN T., 1962). Rien n’est moins sûr. Nous verrons au travers de l’exemple de la géographie que le développement durable est récupéré par les disciplines sans parvenir à les transcender. C’est ce qui l’empêche d’accéder au statut de concept. Le développement durable a un statut scientifique incertain.

Le développement durable n’est pas qu’un objet scientifique, c’est aussi un objet politique. Il est à l’interface entre le scientifique et le politique. A cette interface, surgissent des paradoxes qui traduisent les contradictions de la notion. En proposant une nouvelle forme de travail scientifique, le développement durable contient en germe une nouvelle forme de démocratie, la démocratie participative. Cependant, seuls les experts sont véritablement capables de comprendre les questions mises en débat et de se prononcer parce que ces questions sont techniques et non éthiques. Là où le développement durable échoue, l’éducation au développement durable se retrouve dans une impasse.