A. Le développement durable : un écodéveloppement capitaliste

1. L’écodéveloppement, une réponse à la crise du développement

L’idée d’un écodéveloppement apparaît pour la première fois dans le rapport Fournex, rapport préparatoire à la conférence de Stockholm (1972). Elle a été reprise dans la déclaration de Stockholm et celle de Cocoyoc. « Rejetant les approches réductrices, représentées par l’écologisme intransigeant et l’économisme étroit, le rapport Fournex établissait une voie moyenne, à égale distance entre des propositions extrêmes des malthusiens et des chantres de l’abondance illimité de la Nature » (cité dans SACHS I., 1997, p.15). L’écodéveloppement propose ainsi une réponse à l’émergence d’une prise de conscience des problèmes d’environnement qui met en avant les impacts négatifs de l’homme sur le milieu biophysique et l’épuisement des ressources naturelles à plus ou moins long terme. Cette conscience environnementale a émergé dans les années 1960 et s’est fortement accrue dans les 1970. La question n’est pas seulement d’étudier l’impact de l’homme sur le milieu biophysique mais de déterminer un équilibre, un modus vivendi.

Le rapport Meadows publié en 1972 par le Club de Rome, est une des voix qui s’élèvent alors. Il alerte la société civile et les politiques sur l’éminence d’une crise environnementale grave. Il démontre par une modélisation informatique, que l’accroissement de la population engendrerait dans un avenir proche, une forte augmentation de la consommation et de la pollution qui lui est liée, ce qui dégraderait l’environnement. Le rapport Meadows promeut un état équilibre avec le développement d’activités respectueuses de l’environnement, la stagnation de la population mondiale et des investissements, et une redistribution des richesses à l’échelle mondiale. La médiation croissante de catastrophes environnementales ou de pollutions majeures contribue également à l’émergence d’une prise de conscience du grand public.

Figure 4 : Revue l’Ecologiste, n°6, hiver 2001
Figure 4 : Revue l’Ecologiste, n°6, hiver 2001

Enfin les deux crises pétrolières mettent à mal le mythe d’une Nature généreuse aux ressources infinies. Des auteurs minoritaires certes, comme Nicholas Georgescu-Roegen (1979) prennent le relais et dénoncent la destruction rapide et à grande échelle des ressources naturelles non renouvelables. « Chaque fois que nous produisons une voiture, nous détruisons irrévocablement une quantité de basse entropie qui, autrement pourrait être utilisée pour fabriquer une charrue ou une bêche. Autrement dit, chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d’une baisse du nombre de vie humaine à venir » (GEORGESCU-ROEGEN, 1979, p.52).

L’écodéveloppement est aussi une réponse aux limites des théories du développement mises en œuvre depuis les années 1950. Après trois décennies de développement, non seulement les pays du sud n’ont pas rattrapé leur retard mais apparaît dans les années 1980 une crise de la dette. Le prix des matières premières ayant chuté, les pays dit non développés13 perdent la rente sur laquelle ils vivaient et ne peuvent plus faire face aux échéances de leurs crédits dont les taux d’intérêt ont augmenté sous l’impulsion des Etats-Unis (BRUNEL S., 2004).

L’écodéveloppement représente une autre forme de développement, plus respectueuse de l’environnement et promotrice d’égalité et d’équité sociale dans le monde. « L’enjeu, c’est de transformer la crise actuelle en un tournant vers un autre développement » (SACHS I., 1980 cité dans SAUVE L. et MBAIRAMADJI J., 2003, R.13). De là découle le concept d’écodéveloppement dont l’un des principaux théoriciens est Ignacy Sachs. Cette notion «n’est pas une [nouvelle] doctrine, ni encore moins un ensemble de prescriptions rigides. Il s’agit d’un outil heuristique qui permet au planificateur et au décideur d’aborder la problématique du développement dans une perspective plus large moyennant une double ouverture sur l’écologie naturelle et l’écologie culturelle » (op. cit., R.8). C’est un cadre dans lequel peuvent s’inscrire les nouvelles stratégies de développement.

Le développement est défini par I. Sachs comme « un vaste jeu d’harmonisation où la poursuite des objectifs socio-économique doit se faire en respectant la prudence écologique» (op. cit., R.9). Cette harmonisation peut se réaliser à trois niveaux qui ont été analysés dans Initiation à l’écodéveloppement, par Ignacy Sachs, Anne Bergeret, Michel Schivay, Silvia Sigal, Daniel Théry et Krystyna Vivaner.

  • L’harmonisation entre des objectifs sociaux, économiques et environnementaux nécessite tout d’abord, de moduler la demande sociale qui ne se limite pas à la consommation mais comprend également le style de vie. Pour apprécier la demande sociale, I. Sachs propose d’analyser la répartition entre le temps de travail, le temps de l’éducation et le temps disponible. Moduler la demande sociale est un enjeu majeur pour changer nos modes de vie en vue d’une plus grande satisfaction des besoins sociaux, sans gaspillage ni dégradation environnementale.
  • Le second lieu de l’harmonisation entre des objectifs sociaux, économiques et environnementaux réside dans les choix opérés par une société pour produire ce dont elle a besoin. C’est la fonction de production qui est définie comme la combinaison de l’espace et de l’énergie nécessaire pour produire.
  • L’optimisation sociale, économique et écologique de la fonction de production nécessite le recours à des « techniques appropriées », qui n’ont pas été importées de manière imitative de l’extérieur. Une technique dite appropriée est adaptée aux contextes économique, social et environnemental dans lesquels elle s’inscrit, notamment par rapport aux ressources engagées. Elle n’exclut pas la possibilité d’échanges d’expériences mais vise à éviter l’importation imitative d’une technique dans un pays tiers qui ne l’a pas réellement choisie.
  • La fonction de production doit également valoriser les ressources abondantes, limiter l’utilisation des ressources rares et promouvoir le recyclage. Le système de production doit être conçu sur le modèle des cycles biologiques.
  • Enfin, les auteurs proposent d’instaurer des rapports de production plus conviviaux, de rechercher une organisation sociale appropriée à tous et d’aménager l’espace autrement, en évitant les fortes concentrations urbaines.

Le développement requiert enfin une véritable gestion environnementale.

L’écodéveloppement n’impose pas un mode de développement unique. « Le mot clé dans la recherche d’écodéveloppement, c’est la pluralité des voies et des solutions, la diversité érigée au rang de valeur» (SACHS I., BERGERET A., SCHIRAY M., SIGAL S., THERY D. et VINAKER K., 1981 in SAUVE L. et MBAIRAMADJI J., 2003, R.11). L’écodéveloppement repose sur la capacité des sociétés à se déterminer. Les populations doivent compter sur leur self reliance, c’est-à-dire leurs propres capacités et leur force. Ce n’est pas pour autant un développement local ou un développement autarcique. C’est un développement endogène, conforme à la culture de la communauté et aux potentialités du territoire sur lequel ii s’inscrit. C’est un développement ouvert sur le monde par l’échange de biens, de services, de communication. I. Sachs accorde une place toute particulière à l’échange d’expériences même si chaque expérience de développement est particulière et propre à sa communauté. Le concept d’écodéveloppement durable porte la paternité du développement durable.

Notes
13.

J’emploie volontairement les expressions de pays dit non développés ou développés pour manquer la distance avec la classification issue des théories du développement. Les termes de pays moins avancé ou de pays émergeants ne sont jamais employés dans ce travail. Ce sont des litotes destinés à renouveler la classification du développement.