3. De l’écodéveloppement au développement durable

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’évolution de l’écodéveloppement vers le développement durable.

a) A la recherche de la transition perdue

Pour Jean Maréchal dans Le développement durable. Une perspective pour le 21ème siècle, le concept d’écodéveloppement a été oublié après la crise des années 1970. L’inflation, les crises pétrolières et économiques ont mis en avant d’autres priorités sur la scène politique que l’environnement. L’écodéveloppement est donc passé de mode dans les années 1970 et oublié dans les années 1980. Dans cette perspective, le développement durable traduit alors la résurgence des préoccupations environnementales (MARECHAL J., 2005).

Cette vision des choses n’est pas fausse mais c’est oublier que le passage de l’écodéveloppement au développement durable ne s’est pas réalisé avec une rupture temporelle nette. Il a déjà été établi que la notion de « sustainable » existe depuis le milieu des années 1970 et la notion de développement durable depuis 1980. Il y a un continuum temporel entre l’écodéveloppement et le développement durable. Il est vrai que les crises économiques des années 1970 ont éclipsé de la scène politique les questions environnementales. Ce n’est pas parce qu’un sujet est moins visible qu’il n’existe pas.

Valérie Boisvert et Franck-Dominique (2006) proposent une autre explication. Selon eux, la notion d’écodéveloppement a eu une application limitée. Dans les années 1970, ce sont les aspects économiques du développement qui ont été le plus investis, notamment la lutte contre la pauvreté, la création d’emplois et l’augmentation des revenus. Il n’y a pas eu de véritables remises en cause du système libéral. Les années 1980 se caractérisent ensuite par l’éclatement disciplinaire de la recherche sur le développement, ce qui se traduit par une multiplication d’études disciplinaires sans traitement global du sujet. L’enfoncement des pays en voie de développement et de la multiplication des crises environnementales dans les années 1990 conduisent à l’émergence du développement durable comme solution aux problèmes. Finalement cette nouvelle notion apporte la vision systémique qui permet de lier l’écologie et le développement, ce que n’a pu faire l’écodéveloppement.

L’argumentation déployée par Valérie Boisvert et Franck-Dominique Vivien, est séduisante mais c’est oublier que l’écodéveloppement propose une approche interdisciplinaire du développement. Certes, l’écodéveloppement ne promeut pas une approche systémique. En revanche, il propose un autre type de recherche qui mobilise toutes les disciplines et tous les types d’acteurs et par conséquent, tous les types de recherches, même celles entreprises en dehors des champs disciplinaires et universitaires.

Le fait que l’écodéveloppement ait donné lieu à la multiplication de recherches disciplinaires n’est pas intrinsèque au concept. C’est un effet de contexte. Cela correspond aux directions de la recherche sur le développement dans les années 1970. De plus, l’approche systémique du développement durable ne garantit nullement que les recherches entreprises soient réellement pluridisciplinaires. Valérie Boisvert et Franck-Dominique Vivien (2006) le reconnaissent d’ailleurs en soulignant que les considérations économiques, institutionnelles et sociales ont été éclipsées par le discours économique dans la formulation du développement durable. Nous verrons un peu plus loin, à travers le prisme de la géographie, que les recherches entreprises actuellement en matière de développement durable, restent très souvent unidimensionnelles, elles se focalisent le plus souvent sur une des sphères du développement durable et ne relèvent donc pas à proprement parler du développement durable. Ces recherches qui mobilisent la notion de développement durable, le font en réalité à tort. Elles n’ont du développement durable que la lettre et pas l’esprit.

Le passage de l’écodéveloppement au développement durable est à chercher ailleurs. L’écodéveloppement est resté dans le monde des idées auquel il appartient encore. Cela ne signifie pas qu’il n’y a eu aucune réalisation, projet ou expérimentation tenté ou mis en œuvre autour de l’écodéveloppement. L’écodéveloppement, comme le développement durable, ont émergé dans les instances internationales notamment l’ONU et l’Unesco. Ignacy Sachs était un conseiller spécial du secrétaire Général de l'ONU. G. H. Brundland a produit le rapport qui porte son nom, dans le cadre de la commission mondiale sur l’environnement et le développement dépendant de l’ONU. Ce rapport est la première source citée pour définir le développement durable. Même si la paternité du développement durable n’est directement affiliée aux institutions internationales, « l’Unesco a joué le rôle catalyseur pour préciser les grandes idées, diffuser les principes directeurs et faire partager les résultats d’expérience d’un pays à l’autre » (PIGOTT T., dans UNESCO, 2002, p.86). Les conférences internationales et les différents documents produits sur les questions environnementales ont ponctué l’histoire du développement durable. Ils constituent pour la majorité des auteurs des points de repères (VILLENEUVE C., 1998 ; MANCEBO F., 2006 ; GAUCHON P. et TELLENNE C. (dir.), 2005 etc.).

La notion s’est ensuite diffusée selon une logique descendante dans les états puis à une plus grande échelle dans les régions, les communes… En France, le développement durable a été introduit dans de nombreuses politiques publiques. Le discours de Jacques Chirac, alors président de la République, au Sommet de Johannesburg en a été un des déclencheurs. Introduit par « La maison brûle et nous regardons ailleurs. », il a marqué la conscience collective et a abouti à la rédaction d’une Charte de l’environnement annexée à la constitution en mars 2005. L’article 6 de cette charte instaure le développement durable comme principe directeur des politiques publiques. « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social. » (Charte de l’environnement, art. 6). Le ministère de l’environnement est aussi devenu celui du développement durable. Les principes du développement durable ont été déclinés au sein des différentes actions étatiques. C’est devenu un critère dans les appels d’offres, dans les cahiers des charges publics ce qui a impulsé une dynamique descendante vers les acteurs ayant des relations contractuelles avec l’Etat. C’est ainsi que le développement durable s’est introduit à tous les étages du monde politique, ce que l’écodéveloppement n’est pas parvenu à faire. La diffusion du développement durable ne tient pas qu’à la seule volonté des acteurs politiques locaux, nationaux et internationaux. La notion a trouvé une résonance, une signification et une utilité auprès d’autres catégories d’acteurs, permettant à chacun de voir en lui son intérêt.