1. Le paradigme du développement

a) Un concept ancien

Le développement est issu de la culture occidentale. Le terme est apparu dans un discours de Truman, le 20 janvier 1949 (SACHS W., 1996). Il s’agissait de dénoncer l’état de sous-développement d’une grande partie du monde par contraste aux pays occidentaux jugés développés. Jusque là, le développement était un processus. Les sociétés humaines étaient pensées et analysées comme des êtres vivants (MARECHAL J.P., 2005 ; VIVIEN F.D., 2003). La croissance et le développement étaient deux termes synonymes, structurés de manière analogique, sur le modèle des sciences de la nature. « Le « développement » - et la croissance- n’ont jamais cessé d’être considérés comme « naturels » et positifs […]. » (RIST G., 1979 (2007), p.74). Ils renvoient d’abord à la croissance du vivant, régie par des étapes ordonnées et définies. Cette analogie est ancienne. Gilbert Rist (1979) a retracé les grandes étapes du concept. Les racines du développement sont antiques. Aristote, dans sa théorie de la Nature, a pensé le développement des choses comme un phénomène. Chaque chose ou être a un développement qui lui est propre. Ce développement constitue un cycle au cours duquel l’être ou la chose naît, grandit, mature et meurt. Les sociétés humaines suivent le même cheminement.

Cette idée de développement est reprise et adaptée ensuite par St Augustin dans une perspective chrétienne. Dieu se substitue à la Nature et l’éternel recommencement des choses laisse place à un seul et même cycle, celui de l’humanité. Ce changement marque selon Gilbert Rist (1979), un point d’inflexion dans l’histoire des idées. Le temps est devenu linéaire et continu. « On pourrait représenter graphiquement la différence en disant que la succession historique des cycles chez Aristote est remplacé chez Saint Augustin par une histoire construite comme un cycle unique. Or cette « adaptation » n’était pas sans importance dans la mesure où elle ouvrait la voie à une interprétation linéaire de l’histoire » (RIST G., 1979 (2007), p.69). L’éternel recommencement des cycles d’Aristote rendait tout travail historique inutile puisque l’histoire ne peut pas être une source d’apprentissage. Avec St Augustin, l’histoire devient une nécessité car elle permet à l’humanité d’accomplir son destin.

Le débat qui émerge au milieu du XVIIème siècle sur les possibilités du progrès de la connaissance apporte une nouvelle pierre à l’édifice du développement. Fontenelle dans sa Digression sur les poètes modernes et anciens, a démontré l’effet cumulatif de la connaissance. Les hommes d’aujourd’hui sont plus instruits que ceux d’hier et moins que ceux de demain. Le progrès devient possible. « Au fondement de l’idée maîtresse de développement, il y a le grand paradigme occidentale du progrès. Le développement doit assurer le progrès, lequel doit assurer le développement. » (MORIN E. et KERN B., 1993, p.89). Auguste Compte, deux siècles plus tard, a théorisé cette conception de l’histoire dans sa loi des trois états, décrite dans son Cours de philosophie positive. L’état positif, qui succède à l’état métaphysique et à l’état théologique, marque le triomphe de la rationalité scientifique, de la démocratie et de la technoscience. C’est l’âge d’Or du progrès. L’évolutionnisme parachève la constitution de la croissance en tant que concept. L’évolutionnisme social qui s’inspire des théories de Darwin, permet d’expliquer que toutes les sociétés n’en sont pas au même point : elles évoluent à des rythmes différents. La croissance repose sur une vision évolutionniste des sociétés, transférée des sciences du vivant.

W. N. Rostow (1963, Les étapes de la croissance, Paris, Le Seuil, 255p cité dans MORIN E. et KERN B., 1993) l’a modélisé plus tard en cinq phases 

  • La société traditionnelle où la productivité est faible et les techniques traditionnelles.
  • les conditions préalables au démarrage où le progrès économique permet d’atteindre d’autres objectifs qualitatifs.
  • le démarrage, c’est la phase de croissance économique a proprement parlé.
  • Les progrès vers la maturité se caractérisent par des changements sociétaux et culturels
  • et enfin, l’ère de la consommation de masse où les travailleurs touchent les bénéfices des gains de productivité.

Ainsi l’augmentation des richesses s’accompagne d’une amélioration du confort de vie.

C’est dans l’histoire longue de l’Occident que le développement puise ses caractéristiques. Le développement a émergé dans un contexte social et culturel singulier. Ce n’est donc pas un concept universel. «Théoriquement reproductible, le développement n’est pas universalisable » (LATOUCHE S., 2004, p.15). Derrière le développement, c’est un idéal sociétal qui émerge.