b) La colonisation écologique

Le développement durable, comme le développement avant lui, est instrumentalisé par les pays occidentaux pour servir leurs intérêts et imposer leur point de vue. Sylvie Brunel (2004) montre bien que le développement durable permet aux pays dits développés d’imposer aux autres, leur vision du monde et d’interférer en toute légalité et légitimité chez leurs voisins. Ils apportent aux pays dits en voie de développement, des solutions économiques, environnementales et sociales à leurs problèmes. Il leur permet également d’imposer sur le marché, des normes sanitaires et environnementales que les pays dits sous-développés ne peuvent pas respecter, ce qui limite leurs exportations et améliore la compétitivité et la performance des pays occidentaux sur le marché mondial. Le développement durable au-delà de ces apparences écologiques est une notion éminemment géopolitique. Comme le développement «  est l’occidentalisation du monde » (LATOUCHE S., 2004, p.87), le développement durable participe à ce processus, qui est une forme de domination de l’Occident sur le reste du monde. C’est une autre forme de la colonisation destinée encore une fois, à apporter la culture scientifique et technique à des peuples censés être encore à un stade antérieur de développement. Cette culture est orientée vers l’environnement. Il s’agit de « colonisation écologique » _ « au nom de l’écologie » devrais-je plutôt dire.

L’article de Nicholas D. Kristof publié dans The New York Times le 19 septembre 2006 sur la réserve de Dzanga Sangha en Centrafique illustre ce processus de colonisation. C’est un parc national géré par le WWF et financé par la Banque Mondiale sous l’égide du ministère des Eaux et Forêts. Il a la particularité de permettre d’approcher de près des gorilles et des éléphants ce qui a engendré le développement d’une activité écotouristique notamment dans la petite ville de Bayanga. Pour le journaliste, ce projet marque un tournant dans la gestion que les pays dits sous-développés ont de leur environnement. Ils se préoccupent enfin de la sauvegarde de leur environnement. Ce changement doit être accompagné par les pays occidentaux. « Cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une tendance qui mérite le soutien de l’Occident : les pays pauvres s’efforcent désormais de se créer des perspectives économiques en protégeant la nature plutôt qu’en la pillant. » Nicholas D. Kristof fait référence ici à l’exploitation par les populations locales de la forêt de la réserve. Il admet que les populations locales sont sceptiques quant au développement de l’activité touristique mais « c’est un atout économique plus durable que la déforestation. »

Le point de vue développé par le journaliste illustre parfaitement le type d’ingérence que doivent subir les pays dit sous-développés au nom du développement durable. Les populations de la réserve de Dzanga, essentiellement des Pygmées, avaient avant la création du parc, une certaine pratique de la forêt. Cette pratique jugée non compatible avec le développement durable a été restreinte par un cadre réglementaire et institutionnel contraignant imposé par une O.N.G* et une institution internationale (avec l’aide du pouvoir central centrafricain). Les propos de l’auteur montrent bien qu’il s’agit ici de remettre la population autochtone dans le droit chemin du développement durable. On lui impose un cadre juridique et un développement exogène. La question n’est pas de savoir si l’écotourisme est plus écologiquement acceptable que l’exploitation forestière antérieure.

Il s’agit de constater qu’au nom du développement durable, on modifie de manière exogène le rapport qu’un peuple entretient avec son environnement, sans se préoccuper des rétroactions négatives possibles. Cette situation est contraire au principe participatif du développement durable.

Intervenir dans les pays du sud au nom du développement durable est contraire au développement durable en soi, mais la contradiction n’empêche pas que l’on continue de le faire. Est-ce parce que le développement durable s’appuie sur un registre d’ordre religieux ce qui autorise les contradictions ?