b) L’objet de l’ERE

L’éducation relative à l’environnement ne se limite pas au milieu biophysique. Je préfère ici le terme de milieu biophysique (emprunté à Lucie Sauvé) à celui de Nature qui est au centre de controverses depuis une vingtaine d’année (CADORET A, 1985 ; DELEAGE J.-P., 1992 ; SERRES M., 1992 ; VIARD J., 1990). C’est le statut de l’objet mais aussi les représentations sociales affilées, l’implicite, associée qui sont débattu. En effet, la Nature renvoie à une réalité exempte de la présence de l’homme, à un Tiers espace (VIARD J., 1990) originel non souillé de la main humaine. Cette nature est personnifiée à travers l’image de la mère et de ses caractéristiques : la fécondité et la générosité. « La nature est vue comme mère de l’humanité, ce qui, au sens génétique, est incontestable. […] Cette nature-mère est présente dans de nombreux textes et dans maintes idéologies ou religions. Elle est universelle. » (BRUNET R., FERRAS R. et THERY H., 199, p.345).La représentation féminine de la Nature cristallise une forme de déification de l’objet. La Nature désigne alors les forces supra-humaines qui régissent le monde et qui ont une logique propre. C’est un « vouloir mystérieux qui fait l’ordre du monde. [ …] Dans ces cas, la Nature a souvent droit à une majuscule, elle est femme et épousée (Dame Nature, jamais demoiselle), confirmant son statut de mère. Ce qu’elle fait est censé avoir un sens et ne peut-être que bien fait puisque «Le Naturant par ses hautes Idées/ Rendit de soy la Nature admirable » (M. Scève, Délié » (op. cit., p. 346) Le concept de Nature est donc un construit. «  q u’est ce en effet, que la Nature ? Ce n’est pas une mère féconde qui nous a enfantée, mais bien une création de notre cerveau. » (WILDE O., 1977, Le déclin du monde, des œuvres, Paris, pp 307-308, cité dans ROGER A., 1997, p.14).

Ce construit remonte à la Renaissance (VIARD J., 1990) à l’époque où la rupture de l’unité chrétienne a engendré un éclatement spatial. L’Eglise a placé l’Homme en dehors de la Nature, celle-ci appartenant à Dieu et l’Homme n’étant que son administrateur. L’Homme se trouve alors en face à face avec la Nature, position qu’il doit aussi à l’urbanisation qui rend possible une prise de distance par rapport au milieu biophysique. Jusque-là cette distanciation n’était pas possible, l’Homme était trop dépendant du milieu biophysique. La mise à distance de le Nature s’est traduite dans la peinture avec l’émergence d’un nouveau genre, le paysage qui est une représentation synthétique ou réaliste, en perspective, d’un certain espace de nature sauvage ou cultivée, où l’anecdote humaine, si elle existe, joue un rôle absolument secondaire » (VIARD J., 1990, p.43). La naissance du paysage en tant que genre (artistique ou littéraire) est contemporaine de l’apparition des premiers jardins et de la découverte d’espaces vierges. Il n’est pas étonnant que la Renaissance apparaisse comme un moment charnière. D’une part, le Moyen-âge est une période de forte urbanisation. D’autre part, c’est une époque de relecture des auteurs antiques porteurs d’une réflexion sur le milieu biophysique (Aristote, Pline, Théosphaste).

La Nature est porteuse d’une mythologie et d’une imagerie qui peut être exploitée en ERE mais qui constitue un présupposé trop restrictif, implicite et ambigü. C’est pourquoi nous parlons de milieu biophysique. L’ERE porte sur le milieu biophysique mais pas seulement. Il est nécessaire de ne pas assimiler ERE à une éducation au milieu biophysique. Elle y contribue mais ne s’y restreint pas. Son objet se construit sur l’environnement.

Là aussi le concept est polysémique. Etymologiquement, environnement signifie « ce qui est autour de soi, comme l’Umwelt allemand» (BRUNET R., FERRAS R., THERY H., 1993, p.188). Cette définition très large permet deux acceptions du terme. « Son ambiguïté résulte […] de la variabilité des usages du terme, qui oscillent entre une représentation hypostasiée faisant de l’environnement une réalité extérieure à l’homme, et un sens relationnel qui le représente plus justement comme environnement perçu, respiré, ingéré, représenté ou imaginé » (LEVY J. et LUSSAULD M. (sous la dir.), 2003, p.318). L’environnement a un sens étroit du terme et un sens large. Dans sa première acception, il désigne « l’environnement naturel : eaux, air, végétation, sols, relief » (Ibidem). Il est alors synonyme de milieu biophysique. Dans sa seconde acception, « non seulement il comporte des éléments naturels et des éléments matériels, mais des personnes, leurs activités, leurs relations, leurs cultures, leurs institutions ; c’est tout ce qui nous entoure et agit sur nous » (Ibidem). L’environnement comprend alors le milieu biophysique mais ne s’y limite pas. Selon Marie-Claire Robic (1992),cette définition de l’environnement est très récente. Elle est peu employée dans la géographie classique française mais correspond à celle aujourd’hui en usage dans la géographie humaine.

L’éducation relative à l’environnement défend une acception large du terme d’environnement. C’est dans ce sens que les institutions nationales et internationales ont défini l’environnement dans les années 1970. La circulaire de l’Education Nationale n° 77-300 du 29 août 1977 définit l’environnement comme « l’ensemble, à un moment donné, des aspects physiques, chimiques, biologiques et des facteurs sociaux et économiques susceptibles d’avoir un effet direct ou indirect, immédiat ou à terme, sur les êtres vivants et les activités humaines» De la même manière, l’Unesco déclare en 1978 qu’« il est aujourd’hui admis qu’il faut entendre par « environnement » non seulement l’environnement physique mais aussi l’environnement social et culturel» (UNESCO, 1978, dans SAUVE L., PANNETON F. et WOJCIECHOWSKA M., 2003, M. 71) et l’Union européenne définit l’environnement comme « l’ensemble des éléments qui forment dans la complexité de leurs relations, les cadres, les milieux et les conditions de vie de l’homme et de la société, tels qu’ils sont ou tels qu’ils sont ressentis » (COMMUNAUTE EUROPEENNE, 1972 dans SAUVE L., PANNETON F. et WOJCIECHOWSKA M., 2003, M. 71)

Lucie Sauvé insiste sur la prise en compte de l’homme dans l’appréhension de l’environnement. « Dans le contexte de l’éducation relative à l’environnement , l’environnement correspond à l’ensemble des éléments biophysiques du milieu de vie qui interagissent avec les êtres vivants de ce milieu. Cet environnement concerne toutefois particulièrement l’être humain parce que celui-ci est à l’origine de la plupart des problèmes environnementaux actuels et que ces derniers lui portent ou lui porteront atteinte de façon dramatique» (SAUVE L., 1997 dans SAUVE L., PANNETON F. et WOJCIECHOWSKA M., 2003, M. 74). En définissant ainsi l’environnement, l’éducation relative à l’environnement n’est pas qu’une éducation au milieu biophysique. Elle comprend des dimensions sociales, sociétales, culturelles et économiques.

L’emploi du terme environnement même, défini dans son acception large est problématique pour deux raisons. Tout d’abord, la définition du terme est tellement vaste que l’environnement définit des réalités très différentes voir contradictoires. On est alors obligé de qualifier l’environnement pour préciser de quel environnement il s’agit. On parle alors d’environnement naturel, d’environnement rural, d’environnement urbain, d’environnement scolaire… Dans la multiplicité des environnements spécifiques, le terme devient un mot valise, vide de sens.

Le second problème inhérent à l’emploi du terme environnement est la prégnance du sens restreint du terme. Quand on parle d’environnement, la représentation première est celle du milieu biophysique ce qui engendre dans la sphère éducative, une confusion encore présente entre l’éducation au milieu biophysique et l’éducation relative à l’environnement. « Dans certains systèmes éducatifs, l’éducation à l’environnement conserve toujours son étiquette traditionnel de « conservation de la nature » (CENTRE POUR LA RECHERCHE ET L’INNOVATION DANS L’ENSEIGNEMENT, 1995, p. 13). Le terme de développement durable s’est imposé pour éviter ces écueils. La représentation graphique du développement durable en trois sphères ne traduit pas autre chose que ce que le terme d’environnement signifie au sens large.

L’éducation relative à l’environnement porte sur un objet très vaste mais également très riche qui en fait une forme de méta-éducation.