1. La théorie des parties prenantes

a) Qu’est ce que la théorie des parties prenantes ?

1) L’origine de la théorie

La théorie des parties prenantes (Stakeholder theory ou SHT) est une théorie qui n’a encore pas été mobilisée dans le cadre d’une analyse géographique. Le terme est exempt des principaux dictionnaires de géographie actuels (BRUNET R. (dir..), 1992 ; LEVY J. et LUSSAULT M. (dir..), 2003 ; LACOSTE Y., 2003 (dir..)). Je n’ai pas trouvé d’articles de géographie faisant référence en la matière. Les principaux auteurs français ou anglo-saxons ayant investi cette théorie appartiennent aux sciences de gestion, au management et à l’économie. « La SHT est devenue une des références théoriques dominantes dans l’abondante littérature portant sur l’éthique organisationnelle et la responsabilité sociale de l’entreprise. Elle est également mobilisée, de façon croissante en gestion des ressources humaines, notamment pour appréhender sa contribution à la performance organisationnelle. » (GOND J.P., MERCIER S., mai 2005, p.2)

Les racines de la théorie des parties prenantes sont anciennes. Jean-Pascal Gond et Samuel Mercier (2005) en identifient les origines un ouvrage de A. A. Berle et G. Means en 1932, The Modern Corporation and the Private Property. L’idée initiale est que l’entreprise doit prendre en compte les intérêts des autres acteurs concernés par son activité. C’est au cours des années 1960 que le terme de stakeholder émerge. « Selon Freeman (1984, p.31), il apparaît pour la première fois en 1963 lors d’une réflexion en stratégie menée au sein du Stanford Research Institute (SRI) par Ansorff et Steward. » (GOND J.P., MERCIER S, 2005, p.3).

L’émergence de la SHT à cette époque semble répondre à plusieurs interpellations lancées aux grandes entreprises, par différents groupes d’acteurs, citoyens ou consommateurs à l’image de l’intervention de consommateurs à l’assemblée générale de General Motors pour dénoncer le manque de sécurité des voitures commercialisées (PESQUEUX Y et Damak-Ayadi56 S.; LEPINEUX F., 2003). C’est véritablement R. Edward Freeman qui a diffusé la notion dans les années 1980. D’une manière générale, la théorie des Stakeholders s’inscrit dans la lignée des réflexions menées depuis une dizaine d’années sur la responsabilité sociale des entreprises et le développement durable.

Ce qui singularise cette théorie est de penser l’entreprise non plus seulement comme une organisation en lien avec le marché, mais s’inscrivant dans un réseau d’acteurs qui sont concernés de près ou de loin, par son activité. Ce sont ces acteurs qui constituent les parties prenantes. Ils sont d’origines diverses et ne partagent pas les mêmes intérêts. Ils se caractérisent par leur légitimité à intervenir et leur pouvoir d’action. « L’existence d’une « théorie » des parties prenantes implique une justification théorique de l’existence de SH (stakeholder). Les arguments s’organisent au sein de deux grandes catégories : légitimité et pouvoir constituent les deux justifications principales de la pertinence de la SHT (Andriof et Waddock, 2002, p.30-33). »(GOND J.P., MERCIER S., 2005, p.3)

Est légitime ce qui est reconnu comme tel par un groupe d’acteurs. Cette légitimité peut être d’origine institutionnelle ou juridique. Elle peut également être d’usage, comme celle des syndicats, ou déléguée, comme celle des parties politiques. Le pouvoir, c’est « la capacité, la possibilité de faire quelque chose, d’accomplir une action, de produire un effet» (Petit Larousse, 2003). Le pouvoir peut être de nature juridique, commerciale, financière etc. Il découle de la possession de savoirs ou de moyens et peut être d’intensité variable. De là, les parties prenantes peuvent être des individus, des groupes sociaux, des profils d’individus se caractérisant par une attitude, un comportement ou une opinion, des clans ou encore des organisations.

A. L. Friedman et S. Miles (2002) distinguent quatre groupes de parties prenantes en fonction de leurs relations avec l’organisation. Ces relations sont internes, donc nécessaires, ou externes, donc contingentes. Elles peuvent également être compatibles avec les intérêts de l’organisation ou non. De là, les auteurs différencient :

  • Ceux dont les relations à l’organisation sont nécessaires et compatibles : les actionnaires, la direction et les partenaires
  • Ceux dont les relations sont nécessaires et non compatibles : les syndicats, les salariés, les clients, les fournisseurs, les prêteurs et d’autres organisations.
  • Ceux dont les relations sont contingentes et compatibles : le public, d’autres organisations interconnectées.
  • Ceux dont les relations sont contingentes et non compatibles : des associations, des ONG, des groupements de consommateurs.

M. B. Clarkson 57 émet une autre distinction entre les parties prenantes volontaires, qu’il qualifie de primaires et celles involontaires dites secondaires. Au final, il existe aujourd’hui une multitude de définitions de ce qu’est ou non une partie prenante.

Notes
56.

DAMAK-AYADI et PESQUEUX Y., « La théorie des parties prenantes en perspective », disponible à  http://www.unice.fr/edmo/ethiquepesqueux.pdf consulté le 06/02/2009

57.

Cité dans GOND J.P., MERCIER S., 2005, p.7