a) Les angles morts de l’ERE

Le caractère problématique de la situation est évident. La gestion segmentée conduit à une prise en charge partielle des problématiques d’ERE, dépourvue de vision globale, une partie importante du champ de l’ERE constituant une sorte d’angle mort vers lequel on ne jette que des coups d’œil pour voir ce qui s’y passe comme l’illustre la figure ci-dessous.

Figure 34 : Les angles morts de l’ERE
Figure 34 : Les angles morts de l’ERE

Dans cet angle mort, il y a le grand public auprès duquel peu d’actions sont menées. Il y a aussi un certain nombre de thématiques. Les entretiens réalisés auprès des décideurs politiques locaux et régionaux ont mis en évidence la prédominance des thématiques de l’eau et des déchets dans les actions menées.

Cela ne signifie pas que les autres thématiques soient absentes, mais elles sont traitées moins fréquemment et les moyens mobilisés sont proportionnellement moindres. Le parc du Pilat qui propose des interventions sur le thème du lait, de l’agriculture ou du patrimoine fait figure d’exception de la même manière que le conseil général de l’Ain avec sa charte patrimoine à destination des scolaires.

Figure 35 : Brochure du Parc Naturel Régional du Pilat
Figure 35 : Brochure du Parc Naturel Régional du Pilat

Cette brochure du Parc du Pilat est destinée à présenter les actions réalisées par la collectivité en matière d’éducation au territoire.

L’entrée thématique de ce travail de recherche (thème de l’eau) aurait pu déformer notre perception des actions menées mais lors des entretiens, nous avons balayé l’ensemble des thématiques investies par les décideurs politiques le tableau ici dépeint ne résulte pas d’un biais méthodologique.

De plus, on retrouve des résultats similaires dans des actions de recherches menées par ailleurs, notamment dans l’analyse des thèmes des projets déposés par les enseignants auprès du Rectorat. Par exemple nous avons recueilli auprès du Rectorat l’ensemble des dossiers. Nous avons identifié pour chacun des 620 dossiers recueillis par le Rectorat en 4 ans, le thème principal du projet déposé, en dehors de tout rapport avec les courants ou les approches pédagogiques et éducatives mobilisées. Il s’agit juste de la thématique directrice du dossier mentionnée notamment dans le titre du projet. La figure ci-dessous présente le résultat synthétique de cette analyse.

Figure 36 : Thématiques des dossiers déposés par les enseignants et financés par les décideurs politiques locaux et régionaux de l’Académie de Lyon
Figure 36 : Thématiques des dossiers déposés par les enseignants et financés par les décideurs politiques locaux et régionaux de l’Académie de Lyon Pour plus de lisibilité, le graphique n’indique que les thématiques présentes dans au moins 1à projets.

La thématique de l’eau couvre 31% des dossiers. La thématique de l’environnement qui apparaît en deuxième position est une catégorie fourre-tout qui regroupe les dossiers dont la thématique principale est difficile à identifier, soit parce que le projet investit plusieurs thématiques de manière anarchique (eau, déchets, énergie…), soit parce que les éléments donnés ne permettaient pas de dégager cette thématique79. Ce sont par exemple des dossiers intitulés « Découvrir la Nature » ou « Agir pour son environnement ». Suivent ensuite les thèmes de l’écocitoyenneté et des déchets.

L’écocitoyenneté couvre 13% des projets analysés. C’est une thématique qui regroupe les établissements éco-responsables ainsi que les projets qui portent plus spécifiquement sur l’acquisition de gestes éco-citoyens. Ces projets auraient pu appartenir à d’autres catégories si nous n’avions pas retenu comme critère l’identification d’un thème principal par projet. Il est important de garder à l’esprit, que ce sont principalement la thématique des déchets qui est ciblée mais également celle de l’eau et de l’énergie. Cela explique en partie la proportion faible de dossiers portant sur les déchets (8%) par rapport à ceux portant sur l’eau.

Viennent ensuite d’autres thématiques qui cumulées, ne représentent que la moitié des projets: l’énergie, le territoire local, le jardin, le développement durable …

Pour résumer, les actions financées en milieu scolaire grâce au dispositif rectoral ciblent principalement l’eau, les déchets et l’écocitoyenneté ce qui confirme le constat réalisé à l’issue des entretiens avec les décideurs politiques locaux et régionaux. Pourquoi ces deux thématiques en particulier ?

Un des éléments explicatifs plausibles est le mode d’appropriation de l’ERE par les décideurs politiques locaux et régionaux. Ces derniers investissent le champ l’ERE par le prisme des compétences environnementales et éducatives décentralisées depuis une vingtaine d’années. Or l’eau et les déchets figurent parmi les premières compétences dont ont hérité les collectivités territoriales. Elles ont eu le temps de se les approprier et de développer une communication de ces thèmes Ces thématiques ont intégré peu à peu les préoccupations citoyennes. C’est un argument avancé à deux reprises, lors de la conférence débat organisé autour des résultats d’une enquête Internet, réalisée auprès d’enseignants de l’Académie de Lyon (méthodologie présentée au chapitre 4).

Oui, mais je crois qu’il y a quand même un effet d’antériorité et sur l’implication des collectivités. Nous en étant partenaires de l’ADEME, faut pas oublier que les campagnes de déchets ça date quand même de 10 ans. Avant on n’en parlait pas. Avant, c’était un message impossible à faire passer. Et je pense qu’il y a une antériorité en terme de communication, même si au niveau financeurs, ça ne passe pas directement par des lignes de financement, Il y a quand même toute une communication. Et les collectivités se sont réapproprié la question des déchets et ça c’est passé dans le discours citoyen. Il y a eu les ambassadeurs de tri etc. Et même si ce n’est pas dans le programme de l’éducation nationale, je pense qu’on est imprégné de cette culture, qui est une culture citoyenne, éco citoyenne, et donc, par effet, en plus c’est un sujet concret, je pense que ça aussi c’est important, ça ressort. Et l’eau, je pense que c’est le même phénomène. La communication sur l’eau. Les collectivités l’ont toujours eu ce souci justement de distribuer l’eau
Conférence débat – atelier 2 – intervention n°152
Donc en fait, je pense que, moi je me suis toujours dit que c’était tiré du concret dans les établissements. Donc c’est ce sur quoi on a prise le plus facilement la question du déchet. Et qui ce voit en plus. Parce qu’on peut parler de la pollution de l’air mais on voit rien. On ne sent rien. Souvent on ne sent même pas les problèmes qu’on peut vivre comme en ce moment. Hier matin, à Saint-Pierre du Rhône, je ne suis même pas sûre que les gens se soient aperçu que… 2 heures après, les mesures ont été exposées et… Donc il y a la perception et puis la question de l’eau qui est… alors pour l’eau je pense qu’il y a un autre moteur qui est un facteur un peu affectif. C'est-à-dire qu’il y a quelque chose qui fait que c’est plus sensible, que le sujet aussi, alors je ne parle pas forcément que de la consommation de l’eau du robinet, mais de l’attention qu’ont les gens sur le cours d’eau proche de chez eux. Je pense qu’il y a quelque chose qui est plus de l’ordre de l’approche sensible (…). C’est les analyses que j’ai pu en faire, et puis en discutant avec les enseignants. Conférence débat – atelier 2 – intervention n°136

Les citoyens se sentent concernés par les questions de l’eau et des déchets parce qu’elles ont des implications quotidiennes. Pour toutes les parties prenantes de l’ERE, ce sont des actions facilement mises en valeur. Les collectivités locales peuvent par exemple aménager un centre de tri, un sentier d’interprétation, (etc…) pour recevoir du public. Dans cette perspective, l’éducation relative à l’environnement participe à la valorisation des politiques publiques en matière d’environnement ainsi qu’à leur efficacité. C’est l’expression d’une forme de marketing territorial. Sensibiliser et informer la population sur le tri des déchets ou la qualité de l’eau est un moyen de l’impliquer.

L’eau et les déchets constituent également des thématiques qui mobilisent d’importants partenaires financiers : les Agences de l’eau et Eco-emballage. Ils ont respectivement en charge la qualité de l’eau et la perception des taxes pour le recyclage des déchets, qu’ils redistribuent en soutenant entre autre, des actions d’information, de sensibilisation, de formation et d’une manière générale l’éducation relative à l’environnement.

Figure 37 : Brochure d’Eco-emballages, exemple de support de communication et d’informations
Figure 37 : Brochure d’Eco-emballages, exemple de support de communication et d’informations

Eco-emballage a pour mission de promouvoir le tri et le recyclage des déchets. L’organisme mène donc de nombreuses campagnes allant dans ce sens.

Le meilleur moyen d’obtenir des financements pour monter un projet d’ERE, c’est de cibler les thématiques sur lesquels des partenaires financiers s’engageront.

La conjonction de l’ensemble des facteurs mis en évidence précédemment nous amène à nous demander si l’ERE est condamnée à être restreinte à certaines thématiques et au public scolaire. L’ERE peut-elle être prise en charge autrement par une gestion segmentée ? Heureusement la réponse que l’on peut apporter à cette question est positive et cela pour deux raisons.

Notes
78.

Pour plus de lisibilité, le graphique n’indique que les thématiques présentes dans au moins 1à projets.

79.

Nous n’avons pas lu tous les dossiers analysés. Nous avons travaillé à partir des bases de données rectorales qui pour chaque dossier mentionne : l’école, la ou les classes, le titre du projet, les partenaires, les financements obtenues, et pour certaines années en plus les grandes phases du projet.