e) La forme scolaire

La notion de forme scolaire renvoie à un processus historique qui a émergé dans le contexte social et historique des XVIème et XVIIème siècles. C’est à cette époque qu’apparaissent les premières écoles urbaines développées par les Frères des écoles chrétiennes. Guy Vincent, Bernard Lahire et Daniel Thin (1994) insistent sur le caractère novateur de ces écoles. Ils réfutent la thèse d’une histoire linéaire de l’école qui établit des filiations entre l’école actuelle et l’école romaine, grecque et les écoles religieuses du Moyen-âge. Jusqu’au XVIème siècle, on apprend par « voir faire » et par « ouï dire » au sein de sa famille et de son milieu. Au XVIème émerge une nouvelle forme d’apprentissage. Désormais ce dernier se réalise dans un lieu spécifique, l’école, et selon une temporalité particulière, le temps scolaire. Ces auteurs constatent alors une rupture dans les relations sociales, engendrées par une autonomisation des relations pédagogiques. La relation pédagogique n’est plus une relation de personne à personne mais un rapport de soumission à un maître selon des règles impersonnelles. « L’émergence de la forme scolaire est contemporaine d’un changement dans le politique. » (VINCENT G., LAHIRE B., THIN D., p.19 dans VINCENT G.(dir.), 1994). L’école permet de soumettre le peuple à l’Etat. Ainsi la forme scolaire est un mode de socialisation apparu à l’époque moderne, qui participe à la constitution de l’Etat moderne. Il repose sur l’acquisition de savoirs spécifiques (FOUCAULT M., 1966 ; 1975).

Quand l’apprentissage se réalisait dans la famille ou le milieu, les savoirs et savoir-faire transmis étaient contextualisés. Ils appartenaient à une praxis. Aucune distanciation critique n’était possible parce les savoirs étaient vécus. L’apparition de l’école s’inscrit dans le cadre de la constitution de la modernité (LATOUR B., 1991). Les savoirs d’une manière générale, plus particulièrement les savoirs scolaires, deviennent objectifs. C’est une des conséquences de la modernité, nous y reviendrons en troisième partie. Les savoirs scolaires transmis dans les écoles modernes ne sont plus contextualisés. Ce sont « des savoirs qui ont conquis leur cohérence dans/par l’écriture » (VINCENT G., LAHIRE B., THIN D., p.30 dans VINCENT G. (dir), 1994). La forme scripturale est la marque des savoirs scolaires.

Cette nouvelle forme d’apprentissage ne s’est pas arrêtée aux portes de l’Ecole. « La forme scolaire ne s’arrête pas aux portes de l’institution scolaire et inversement l’institution scolaire peut être traversée par des formes de relations sociales différentes » (op. cit., p.37). La théorie de la forme scolaire repose sur l’hypothèse d’une diffusion de ce mode de socialisation et d’apprentissage dans toute la société ce qui permet d’appréhender les relations qu’entretient l’Education Nationale avec ses partenaires pédagogiques.

Forme scolaire et culture scolaire ne sont pas deux corpus théoriques contradictoires pour étudier l’Ecole et ses modes d’apprentissage. La forme scolaire éclaire la dimension sociologique de l’école et la culture scolaire la dimension didactique. On peut considérer que la forme scolaire constitue le cadre dans lequel s’inscrit la culture scolaire. C’est ce qu’illustre la figure ci-dessous.

Figure 42 : L’articulation entre forme scolaire et culture scolaire
Figure 42 : L’articulation entre forme scolaire et culture scolaire

La recherche réalisée ici s’inscrira plus souvent sous un éclairage didactique ce qui explique que je privilégie la théorie de la culture scolaire dans mon analyse. Je n’écarte néanmoins pas la théorie de la forme scolaire qui me permettra de mettre en évidence des phénomènes que la culture scolaire ne me permet pas d’appréhender. Mobiliser la culture scolaire comme cadre d’analyse de l’introduction de l’ERE dans l’école n’est pas incohérent avec la posture constructivo-structuraliste adoptée dans ce travail de recherche. Il est néanmoins nécessaire de souligner le danger que pourrait représenter une telle approche sans précaution méthodologique et théorique. L’hypothèse de l’existence d’une culture organisationnelle commune à l’ensemble des acteurs d’un système ne doit pas constituer un déterminisme préalable à l’analyse des pratiques. Dans l’étude qui est la notre, il s’agit de savoir si les enseignants, dans leurs pratiques d’ERE, se conforment ou non à la culture scolaire. Ce conformisme ou cette opposition potentielle à la culture scolaire ne constituent pas un préalable théorique donné. Il s’agit également de savoir comment la mission d’éduquer à l’environnement a été prise en charge par la culture scolaire et éventuellement adaptée.