c) L’éducation au développement durable au cœur de la culture scolaire

Le développement durable est défini en 2007 comme un savoir à enseigner prescriptible dans les programmes disciplinaires. Il devient donc possible de fragmenter la notion et tous les savoirs qui lui sont aliénés entre les différentes disciplines, à charge ensuite à l’élève de recoller les différents morceaux du puzzle cognitif. L’approche disciplinaire est prioritaire. La première finalité de la circulaire est d’ailleurs « di nscrire plus largement l’éducation au développement durable dans les programmes d’enseignement ». Les approches inter et pluridisciplinaires et le partenariat, ne sont pas absents des prescriptions, ce qui donne une apparente continuité avec la circulaire précédente. Les établissements scolaires deviennent néanmoins le terrain privilégié des expériences et des études de cas. Les sorties en dehors du cadre scolaire passent au second plan. Certes les partenaires sont encore associés à l’EDD mais leur place est restreinte.

L’initiative de l’EDD revient aux équipes éducatives. Le partenaire est relégué aux tâches que le système scolaire veut bien lui confier et sa participation se réalise sur le terrain scolaire. Les projets d’établissement en démarche de développement durable « permettront de construire avec les partenaires, à l’initiative des équipes éducatives, des conventionnements adaptés à chaque cas afin que soient assurés la répartition des responsabilités et des engagements ainsi que la cohérence des processus éducatifs associés. » On pourrait penser que l’instauration des établissements en démarche de développement durable (E3D) favorise la mise en place de projets pédagogiques autour de l’environnement et du développement durable et fait émerger une pédagogie de projet et des initiatives en décalage avec la culture scolaire. Les résultats des analyses de dossiers pédagogiques et mon expérience professionnelle en tant qu’enseignante et formatrice sur cette thématique me permettent de répondre malheureusement par la négative. Nous reviendrons sur ce point ultérieurement.

Pour résumer, l’éducation à l’environnement était un objet en décalage avec la culture scolaire, partagé par d’autres acteurs éducatifs que les acteurs scolaires : éducateurs à l’environnement, éducateurs de l’éducation non formelle … Mais l’éducation à l’environnement s’est ensuite transformée sous l’écriture des différentes circulaires, pour devenir un objet de nature différente, formulé dans un vocabulaire proche, d’où l’apparente continuité entre 1977 et 2007. Sous les apparences, émerge une rupture réelle et importante. L’éducation au développement durable n’est plus comme l’éducation à l’environnement aux marges du système scolaire, en dehors de sa culture organisationnelle. C’est un pur produit de la culture scolaire.

Les orientations institutionnelles sont motivées par la volonté de généraliser une éducation en lien avec l’environnement et le développement durable, conformément aux engagements signés par la France dans ce domaine et à la demande sociale. L’école ne peut rester étrangère à un domaine perçu par l’opinion publique comme un des défis de demain. Sous la pression sociale, l’Ecole a dû introduire au sein du système scolaire, quelque chose qui puisse répondre de manière globale à cette demande. Cette généralisation n’était possible qu’en faisant de l’éducation à l’environnement un élément du système. Tant que l’éducation à l’environnement restait en décalage avec la culture scolaire, il n’était pas possible de la diffuser au plus grand nombre. Elle restait l’apanage des enseignants en marge du système, ayant des pratiques innovantes. Il était nécessaire de faire de l’éducation à l’environnement un objet digérable par le système scolaire, praticable par le plus grand nombre d’enseignants et donc, de le conformer à la culture organisationnelle. Or la colonne vertébrale de la culture scolaire est constituée par les disciplines. Pour intégrer le système, l’environnement et le développement devaient devenir des savoirs à enseigner qu’il était possible d’introduire dans des programmes scolaires, de mettre en exercice et d’évaluer.

Cela ne signifie pas que toutes les pratiques enseignantes en matière d’EDD ou plus largement d’ERE, se situent en adéquation avec la culture scolaire. En revanche, les prescriptions institutionnelles le sont. Les enseignants disposent néanmoins d’une marge de liberté, qui peut leur permettre de mettre en place des projets à la marge du système. On pourrait disserter longuement sur cette fameuse liberté et émettre des nuances voire des réserves. La liberté de pratiques est souvent plus grande sur le terrain que ce que laissent penser les autorités institutionnelles parce que l’enseignant est seul maître dans sa classe. C’est cette liberté qui permet l’émergence notamment d’innovation au sein du système scolaire, par ailleurs assez rigide.

La généralisation d’une éducation en lien avec l’environnement et le développement durable est un leurre, car la généralisation a changé la nature de cette éducation. Certes tous les élèves des générations à venir, bénéficieront d’enseignements disciplinaires portant sur l’environnement et le développement durable. Certains profiteront même d’un projet d’établissement orienté sur l’écocitoyenneté. Ces élèves seront-ils pour autant sensibles aux questions environnementales ? Adopteront-ils un comportement et une attitude respectueux du milieu et de l’environnement dans lesquels ils s’inscriront ? Rien n’est moins sûr. Nous ne reviendrons pas sur les théories de Festinger par ailleurs déjà mentionnées. S’il suffisait de savoir que prendre sa voiture en ville pollue, pourquoi le faisons-nous encore ? Pourquoi manger des fruits et des légumes pollués par les pesticides ? Boire de l’eau en bouteille ou utiliser des couches jetables pour nos enfants ? etc.… Toutefois la généralisation n’est pas un objectif Réalisable. L’éducation relative à l’environnement est, et restera, en marge du système parce qu’elle est fondée historiquement et par nature, sur une remise en cause du système. L’éducation au développement durable est différente. Elle est aujourd’hui au cœur du système et elle y restera tant que la demande sociale en matière d’environnement restera forte.

Pour valider ces hypothèses, nous avons mis en place un protocole de recherche permettant d’analyser les pratiques enseignantes en ERE et de les positionner par rapport à cette culture scolaire.