a) Des projets pluridisciplinaires ou interdisciplinaires

La présence d’enseignants de disciplines différentes dans un même projet ne garantit pas les liens entre ces disciplines. L’interdisciplinarité mobilise « différentes disciplines [qui] étudient en parallèle une même question avant de confronter leurs apports respectifs » (GIORDAN A. ⁸⁹). Il n’est pas nécessaire que ces disciplines dialoguent entre elles. Elles apportent simplement un regard différent sur un même objet. Edgar Morin emploie à cet effet une image qui parle d’elle-même : « l’interdisciplinarité peut signifier purement et simplement que différentes disciplines se mettent à table, à une même assemblée, comme les différentes nations se rassemblent à l’ONU sans pouvoir faire autre chose que d’affirmer chacune ses propres droits nationaux et ses propres souverainetés par rapport aux empiètements du voisin. » (GIORDAN A., op. cit.)

Mohammed Taleb introduit une distinction supplémentaire en différenciant la pluridisciplinarité de l’interdisciplinarité. « La pluridisciplinarité va mobiliser des disciplines différentes sans pour autant organiser un dialogue entre elles (juxtaposition) ; l’interdisciplinarité, elle, va organiser une telle rencontre et favoriser une fécondation mutuelle. Mais de la disciplinarité à interdisciplinarité, nous ne convoquons dans notre compréhension que de la discipline, c’est-à-dire de la rationalité académique » (TALEB M., 2005, p 13).La pluridisciplinarité est alors une juxtaposition de disciplines et l’interdisciplinarité est un dialogue entre les disciplines. Ces dernières peuvent- elles dialoguer sans s’affranchir auparavant de leur cadre épistémologique, (ce qui revient à une démarche transversale) ? Si le dialogue interdisciplinaire se résume à un échange d’éclairage, on ne peut alors pas parler vraiment d’échanges. Par conséquent, je n’opèrerai pas de distinction entre pluri et interdisciplinaire : dans les deux cas, il s’agit d’un dialogue de sourds. Edgar Morin les regroupe d’ailleurs dans la notion de polydisciplinarité (MORIN E., 1990, p. 6).

Un projet pédagogique est pluri ou interdisciplinaire quand il s’appuie sur plusieurs disciplines qui se juxtaposent, se complétant sur le plan des savoirs, des savoir-faire et des outils mobilisés. Le cadre disciplinaire reste la référence. Les objectifs sont principalement d’ordre programmatique. Il s’agit des notions, des savoir-faire et des méthodes inscrits dans les programmes scolaires. La démarche pédagogique peut relever de la pédagogie par objectifs sans jamais que le terme soit explicité. Les enseignants décrivent généralement une suite d’activités que les élèves vont réaliser pour atteindre ces différents objectifs.

Extraits du dossier n° 2 – Ecole primaire (Rhône)- CP, CE1, CE2 ●Objectifs Après une première sensibilisation aux problèmes de l’environnement à l’école maternelle, l’élève prend conscience de la fragilité des équilibres dans les milieux de vie. ●Résumé du projet Cycle 2 : Observations des milieux aquatiques proches de l’école à différentes périodes de l’année Cycle 3 : Observation des milieux forestiers proches de l’école pour découvrir la diversité des végétaux à l’automne et au printemps. ●Démarche pédagogique  Cycle 2 : Observation sur site pour collecter des informations Tri des données en classe avec émission d’hypothèses Retour sur site pour confirmer ou infirmer les hypothèses et comparer avec un autre écosystème ; Cycle 3 : Observation sur site pour collecter des informations. Tri des données en classe, comparaison classification apport théorique Retour sur site pour conforter les connaissances et découvrir un autre type de forêt

Le projet est ici essentiellement disciplinaire (SVT). Il s’agit de couvrir la partie du programme intitulée « Découvrir le monde » en cycle 2 et « Sciences expérimentales et technologiques » en cycle 3. Les thèmes développés et les savoir-faire mobilisés relèvent de la planification programmatique.

Extraits du dossier n° 34 – Collège (Rhône) – Enseignants de SVT, Arts Plastiques, technologie, physique chimie, CPE, gestionnaire, secrétaire, OEA menés avec toutes les classes de 5ème ●Objectifs Utiliser le thème de l’eau et les milieux aquatiques pour mettre en œuvre de façon pratique, dans le cadre du projet collège éco-responsable, une action qui implique fortement les élèves. Résumé du projet Le nom du Collège (nom coupé pour respecter l’anonymat des dossiers) est en fait celui d’un ruisseau qui dévale la côte du Rhône pour se jeter dans le Rhône à côté du collège. L’idée essentielle est de faire prendre conscience et connaissance aux élèves de l’intérêt de l’entretien et de la sauvegarde du ruisseau. ●Démarche pédagogique  Le projet se développe sur 3 axes : 1)- La connaissance biologique des espèces végétales et animales du ruisseau et de ses berges - Le regard esthétique à former chez les élèves par la réalisation de croquis in situ - Vers une approche énergétique d’un cours d’eau 2) La protection de l’environnement. Il est prévu de participer à l’opération « Nettoyons la Nature » le vendredi 28 septembre 2007, soutenue par le magasin Leclerc. Les abords du ruisseau seront nettoyés par les élèves. 3) Visite commentée du CONIB. Visite du site de la CNR à Pierre Bénite sur le traitement et la récupération des déchets aux barrages du Rhône.

Dans cet exemple, le projet paraît transversal à premier abord puisqu’il s’agit d’une démarche d’établissement éco-responsable. En examinant le dossier plus en détail, il apparaît clairement que c’est l’approche disciplinaire qui prime. En effet, le premier axe du projet (rubrique démarche pédagogique) correspond à des objectifs définis par les programmes respectifs de SVT, Arts plastiques et physique chimie. La démarche d’établissement mise en avant dans les objectifs est absente du reste du dossier, c’est ce qui justifie son classement parmi les projets interdisciplinaires et non transversaux.

Quand le projet est interdisciplinaire, chaque discipline prend alors en charge une partie du projet. L’objet de connaissance est disséqué entre les différentes disciplines entre lesquelles les enseignants essayent de faire des liens. Il y a une disjonction disciplinaire. Le dossier n°21 décrit ce phénomène : « les enseignants, dans le cadre des programmations d’activités géographiques, historiques ou scientifiques à l’intérieur de chaque classe, cycle et école, ont établi les liens entre les différents domaines, il n’est pas sûr que les élèves soient capables de les faire… » L’approche créative est en cela très révélatrice. Elle est principalement mobilisée dans la phase finale des projets, la restitution. Les élèves produisent une exposition artistique pour valoriser le projet alors que paradoxalement ce dernier est souvent centré sur l’acquisition de notions scientifiques.

Extraits du dossier n°35 – Collège (Rhône) – Enseignants de SVT et Histoire géographie avec une classe de 5 ème ●Objectifs Ce projet s’inscrit dans la continuité de celui réalisé avec des 6ème sur l’eau et le développement durable. Il vise à amener les élèves de 5ème à comprendre comment les activités humaines (urbanisation, industries, transports, agriculture) agissent sur la qualité de l’eau et peuvent nuire, modifier l’écosystème et la répartition des êtres vivants. ●Résumé du projet En éducation civique : Inventaire des risques technologiques dans le Grand Lyon entraînant un danger pour la qualité de l’eau et des moyens mis en œuvre pour les réduire et préserver la qualité de l’eau. S.V.T : Observation d’un écosystème aquatique pour repérer les indicateurs de pollution et de dégradation du milieu ainsi que les causes de la pollution. Histoire-géographie : la qualité de l’eau et les activités polluantes à l’époque médiévale ● Démarche pédagogique  Recherches personnelles au CDI Production d’hypothèses sur les risques de dégradation des milieux aquatiques Observation du milieu naturel et validation des hypothèses Visite d’une station d’épuration.

Ce dossier illustre parfaitement le découpage disciplinaire du projet. Quand l’approche cognitive est centrale, le projet est soit disciplinaire soit interdisciplinaire. Dans les projets où l’approche cognitive est secondaire, peuvent alors émerger des projets transversaux.