1. L’élève, consommateur de projet

Les élèves n’ont pas l’initiative du projet. Les dossiers sont d’ailleurs déposés au cours de l’année scolaire précédente. Ils définissent généralement une suite d’activités que les élèves vont réaliser (ou subir) et qui vont structurer leur démarche et le projet. Les élèves sont peu souvent associés à la conduite du projet et au processus décisionnel qui l’organise. Ils ne sont pas le moteur des projets. Le dossier ci-dessous est un des exemples le plus parlant car il détaille jusqu’au raisonnement attendu de la part les élèves

Extraits du dossier n° 31 – Collège (Ain) – Enseignants de SVT, technologie, français, Arts Plastiques, histoire géographie et professeure documentaliste pour un classe à PAC de 6 ème

Résumé du projet
- Découverte de la rivière L. B. à L: les élèves participeront à une action de nettoyage de la rivière, ce qui les amènera à s’interroger sur leur milieu naturel et sa protection, sur les déchets produits par la société de consommation. Animation [d’une association d’EEDD].

- Les déchets : les élèves s’interrogeront sur les déchets (origines) et sur leur devenir (tri, recyclage, incinération…) Animation [d’une association d’EEDD]. Visite d’une usine de tri et recyclage des déchets. Visite d’un centre de stockage des déchets ultimes, d’un centre de compostage.

- Les élèves réfléchiront aux gestes éco-citoyens simples à développer et à promouvoir autour d’eux. Collecte de cartouches usagées. Les boîtes à feuilles de brouillon.

- Les élèves prendront conscience de la nécessité de limiter la production de déchets, donc d’adopter une attitude raisonnée et responsable de consommateur. […]

Ce dossier trace non seulement les étapes du projet mais également les conclusions auxquelles les élèves doivent aboutir. Aucune marge de manœuvre n’est laissée aux élèves. Les actions à mettre en place au collège ont-elles même été prédéfinies. Il est possible que dans sa mise en œuvre le cadre ait été assoupli. Quoiqu’il en soit, les élèves subissent le projet, ils ne le conduisent pas. La logique dominante est celle de l’élève consommateur qui ni l’initiative ni la conduite du projet auquel il participe. C’est le contraire du principe fondateur de la pédagogie de projet. Cette logique n’est pas toujours poussée aussi loin que dans l’exemple précédent. On la retrouve dans la quasi-totalité des dossiers.

Cinq projets semblent faire exception. Ce sont ceux du dispositif éco-école, ou ceux des établissements éco-responsables qui mobilisent une démarche de pédagogie de projet, sans la nommer. Les élèves apparaissent alors comme des acteurs. A l’inverse, deux dossiers (autres que les 5 précédemment cités) se réclament de la pédagogie de projet. A l’analyse de leur contenu, on peut douter de la mise en œuvre de la démarche. Le premier (dossier n° 8) se structure autour d’objectifs qui sont d’ordre cognitif : ce sont des objectifs programmatiques. Est-il possible de mettre en œuvre une démarche de projet quand la finalité se constitue uniquement de notions à maîtriser et de faits à connaître ? Le second (dossier n°28), en définissant le terme de pédagogie de projet, laisse entendre qu’il s’agit de laisser la possibilité aux élèves d’être force de proposition. Cependant, l’expression « pédagogie de projet » est précédée de la liste des activités et des réalisations que les élèves feront.

Extrait du dossier n° 28 – Ecole maternelle (Ain) – Petite, moyenne et grande sections
Objectifs
Etudier l’Ouye, cours d’eau qui longe le groupe scolaire et les bâtiments de l’OPAC où habitent de nombreux élèves de l’école. Accès à de nouvelles connaissances de l’écosystème de ce ruisseau, qui pourra permettre aux élèves d’y évoluer de manière responsable.
Etudier l’Ouye d’hier, aujourd’hui et demain : pourquoi est-il important, déjà pour nous habitants du quartier ? Que faire aujourd’hui pour que l’Ouye coule demain ? Que faire pour que le cours d’eau soit de meilleure qualité demain ? Pourquoi le faire ?
Visite d’une station d’épuration
Faire passer le message que l’eau est indispensable mais limitée.

Résumé du projet
Situer le ruisseau. Le situer en amont et en aval. S’interroger sur la provenance de l’eau qui coule dans ce ruisseau. Référence au cycle de l’eau naturelle.
L’observer à différentes périodes de l’année et le représenter
Aborder l’étude de cet écosystème. Noter son état : premières observations. Animation FRAPNA*.
Questionnement sur ce qui peut être fait pour améliorer son état et pourquoi rechercher à améliorer son état ?
Quels dangers liés à ce ruisseau ?
Recherche de documents, de témoignages sur le passé de l’Ouye.
Reportage-photos et compte rendu dicté par les élèves dans le but d’une présentation aux familles et à des structures comme le centre de loisirs de l’association du quartier
Parallèlement : étude de l’eau physique, dans le cadre de la découverte du monde. Toutes les activités permettront également de mettre en œuvre et de développer des compétences langagières : lexique, pratique du langage en situation, du langage d’évocation mais aussi d’améliorer la connaissance des écrits fonctionnels.

Démarche pédagogique
Pédagogie de projet : Les élèves doivent être le plus possible acteur des projets. En raison de leur jeune âge, les élèves de maternelle le sont moins que leurs aînés en élémentaire. Cependant leur implication peut être très grande : elle est souvent liée à l’engagement, à l’enthousiasme dont les adultes témoignent. De plus les jeunes élèves sont capables d’initiatives, d’engagement dans le cadre d’une action déterminée. [ …]

Valorisation
Au cours de l’année et en fin d’année : exposition alliant les 4 types de documents :
- des reportages photos d’actions menées par les élèves
- des créations artistiques
- des posters de Yann Arthus Bertrand
- des documents informatifs
Cette présentation se fera en direction des familles de l’école maternelle, de l’école élémentaire et si possible d’autres structures, comme le centre de loisir, l’association du quartier.

L’élève, qui ne porte pas le projet, semble se cantonner à son rôle d’apprenant ce qui est cohérent avec la prédominance de l’approche cognitive dans la majorité des dossiers. Même lorsqu’une approche coopérative semble se dessiner dans un projet (21 projets sur 52), il s’agit souvent de partager entre élèves des savoirs acquis au travers d’activités planifiées par l’enseignant.

Les élèves ne sont néanmoins pas passifs dans les projets. Ils participent à des démarches d’investigation : observations, expériences, recherches documentaires dans 46 dossiers sur 52. Les projets dépassent alors le cadre strict du cours qu’il soit magistral ou dialogué classique. Même si la première fonction de l’élève est d’apprendre, les enseignants cherchent par le projet d’EEDD, à faire apprendre autrement. Le recours presque généralisé à la pédagogie de terrain (49/52 projets), la pluralité des approches pédagogiques mobilisées et la mise en place d’actions concrètes au sein des écoles (approche praxique) semblent traduire cette volonté d’enseigner autrement.

L’élève a un rôle particulièrement actif dans la valorisation des projets. Il est l’auteur des réalisations produites. Ces réalisations sont principalement des supports (expositions, CD-ROM, site Internet…) destinés à sensibiliser d’autres publics que la classe concernée : les familles, la collectivité, d’autres classes dans la même école … Les élèves sont donc en charge d’informer, de sensibiliser voire d’éduquer à leur tour sur l’environnement Ils ont un rôle de prescripteur. C’est même explicitement exprimé dans certains dossiers. « Les élèves auront un rôle de vecteur de communication en direction de la collectivité. » Dossier n° 25 ; « Les enfants seront les intermédiaires pour toucher, éduquer les adultes ; ce sont les adultes, les citoyens de demain ; » Dossier n° 31 ; « Ils sont des relais auprès des adultes en ce qui concerne l’éducation à l’environnement. » On assiste ainsi à une instrumentalisation des enfants, ce qui questionne les finalités de l’EEDD. S’agit-il d’éduquer des enfants pour eux, pour qu’ils deviennent des adultes et des citoyens éclairés ? Ou s’agit-il de les instrumentaliser au service d’une cause qui les dépasse : la sauvegarde de l’environnement ? Cela mérite un débat éthique sur les finalités et les modalités de l’EEDD en milieu scolaire qui doit questionner les enseignants sur leurs pratiques.

Quoiqu’il en soit, il ressort clairement de l’analyse des dossiers pédagogiques que même dans les projets d’EEDD, l’élève occupe, le plus souvent, la place que lui assigne traditionnellement la culture scolaire. Face à un élève qui apprend, il y a un enseignant qui enseigne.