b) Le mélange des genres

1) Le choc des cultures

Le deuxième point d’achoppement entre l’Ecole et les associations réalisant de l’EEDD réside dans la nature même de la forme associative. On a mis en évidence la forme spécifique des associations qui constituent des interfaces entre la sphère privée et la sphère publique. Elles se structurent autour d’un réseau interpersonnel dans la perspective d’un engagement au sein de la société, pour y faire avancer les choses. L’interconnaissance que sous-tend toute forme associative est étrangère à la culture organisationnelle de l’Education Nationale, ce qui la rend, par là même, suspecte. Les associations doivent montrer qu’elles sont plus qu’ « une bande de copains engagés pour sauver les petites fleurs 96  ». Elles doivent prouver leur sérieux et leur légitimité au contraire des autres partenaires (exception faite des entreprises), dont la légitimité est institutionnelle, et qui sont plus proches sur le plan culturel de l’Education Nationale que les associations. Ces institutions appartiennent à « l’entre soi » que met en évidence Yannick Bruxelles (2006-2007). En revanche, la légitimité des associations ne peut être qu’usuelle et/ou construite.

Leur légitimité découle notamment de la reconnaissance que les collectivités territoriales accordent à certaines associations et aux financements qui en découlent. Dans ce cas la légitimité acquise est d’abord construite mais elle devient ensuite usuelle. En effet, les établissements scolaires n’ont pas les moyens de financer sur leurs ressources propres des animations en EEDD, (le coût d’une animation dans l’Académie de Lyon oscillant entre 150 et 200€). Pour bénéficier de l’intervention d’un partenaire associatif dans un projet d’EEDD, les enseignants doivent mobiliser des associations financées par ailleurs. Les associations acquièrent ainsi, au contact des enseignants et des écoles une légitimité usuelle qui se superpose à la légitimité construite. Néanmoins, si un soutien institutionnel peut rassurer sur le sérieux d’une association, il ne peut pas garantir la conformité de cette dernière aux exigences et prescriptions de l’Education Nationale. C’est ce explique les réserves émises par l’institution scolaire sur ses partenaires potentiels.

Les textes et discours officiels, bien que reconnaissant la nécessité de nouer des partenariats, appellent à la vigilance de la communauté éducative. La multiplicité des partenaires et leur démarche proactive auprès des établissements scolaires sont notamment dénoncées. « Les partenaires divers se caractérisent par une lisibilité difficile. » (DARCOS X., dans DESCO, 2003, p. 12). « Ce foisonnement se déplore enfin dans les partenariats, qui se sont multipliés, souvent à l’initiative des partenaires eux-mêmes. Ceci accroît encore le manque de cohérence et d’assise qu’exige cet enseignement » (BONHOURE G. dans DESCO, 2003, p. 21). En effet, il est fréquent qu’une collectivité territoriale finance une enveloppe d’animations scolaires à une association. Il lui incombe ensuite de faire connaître aux écoles la possibilité qui leur est offerte de bénéficier de leur prestation. Ce mode de fonctionnement est particulièrement utilisé par les collectivités portant un contrat de rivière. Le fonctionnement inverse existe aussi. Dans ce cas, c’est la collectivité qui démarche les écoles en les renvoyant ensuite auprès de leurs associations partenaires. La légitimité que les associations ont acquise par les liens qu’elles entretiennent avec d’autres institutions est donc réelle mais fragile. Pour l’Education Nationale, cela ne garantit le respect des exigences pédagogiques et cognitives de l’Ecole.

Du côté des associations, la démarche des écoles a une signification différente. Il ne s’agit pas d’une démarche commerciale a proprement parlé. Il est vrai que les animations scolaires représentent la grande majorité de l’activité des associations et qu’elles en vivent, ou en survivent. Néanmoins les associations ont généralement une demande d’animations suffisante par rapport aux financements accordés. Cette demande est même souvent excédentaire, c’est-à-dire qu’il y a plus d’enseignants qui souhaitent bénéficier d’animations que d’animations financées par la collectivité. Un certain nombre de collectivités et d’associations sont ainsi obligées d’opérer une sélection parmi les écoles qui les ont sollicitées. Ce choix se réalise sur la qualité du projet élaboré par les enseignants, le nombre d’enfants concernés, les classes concernées, les territoires mobilisés… La démarche proactive des associations s’inscrit dans la perspective d’un agir ensemble.

Il s’agit de prendre contact avec les enseignants, pour éventuellement réaliser un projet en matière d’EEDD ou d’EDD. Cette démarche s’inscrit dans la culture associative du lien social. Il est vrai que toutes les associations ne se placent pas dans cette optique. Néanmoins j’ai pu constater dans la majorité des animations observées, l’existence d’un lien interpersonnel entre l’éducateur à l’environnement d’une part et l’enseignant d’autre part. Il n’est pas rare qu’ils travaillent ensemble depuis plusieurs années et qu’ils se connaissent mutuellement. Le partenariat est un des fondements de la culture associative et le démarchage des écoles en est un pendant. C’est également une pratique fréquente des collectivités territoriales qui leur permet de faire connaître leur engagement en matière d’ERE, et les moyens qu’elles mettent à disposition des écoles. C’est aussi une manière de mieux investir leur territoire et d’essayer de répartir plus équitablement les animations financées sur le territoire. En effet plusieurs chargés de mission ERE dans les collectivités territoriales, ont mis en avant, pendant les entretiens, le problème de la répartition inégale des animations qu’ils financent sur leur territoire. Le démarchage des écoles vise à susciter des projets d’ERE sur des territoires jusque-là peu actifs.

Au-delà des liens interpersonnels, quand on se place au niveau des structures, il y a entre l’école et les associations, un choc des cultures parce qu’elles n’ont pas le même ancrage sociétal. L’école appréhende un partenaire par son statut et les associations par la qualité des liens interpersonnels noués. C’est ce qui explique que le foisonnement des partenaires notamment associatifs, pose problème à l’école parce que le statut associatif ne garantit pas la qualité des accompagnements et prestations pédagogiques proposés. Il serait plus aisé pour l’institution scolaire, d’avoir un seul et unique interlocuteur, d’où les tentatives multiples d’identifier un partenaire qui serait capable de jouer le rôle d’interface. C’est un peu le positionnement du GRAINE Rhône-Alpes aujourd’hui dans l’Académie de Lyon. Il ne s’agit pas de se substituer à la parole de ses adhérents mais d’en porter la voix auprès des institutions régionales, notamment académiques. J’insiste sur la non concurrence entre le GRAINE RHÔNE-ALPES et ses adhérents, principe fondateur de la charte associative. Il ne s’agit pas de faire « à la place » des associations adhérentes mais plutôt de leur ouvrir des possibilités de dialogue et d’action qu’elles n’auraient pas de manière isolée. Pour l’institution scolaire, il s’agit de dépasser le désordre et la polyphonie partenariale.

Notes
96.

Remarque extraite d’un entretien réalisé avec un responsable académique concerné par l’EEDD. Cette phrase a été formulée en off , c’est pourquoi son auteur n’est pas mentionné.