Partie III
Le développement durable, un défi sociétal

Le développement durable a perforé la sphère scolaire. Il figure moins de 20 ans après sa formalisation (1987), dans les programmes scolaires comme un savoir à enseigner. La nature et le statut des savoirs scolaires sont bien différents de ceux des savoirs scientifiques. Les premiers, conformément à la culture et à la forme scolaire, sont établis, exempts de controverses scientifiques. Ils sont également décontextualisés. C’est à ce prix que le développement durable est devenu un savoir à enseigner et un savoir enseigné. Dans le contexte scientifique, le statut du développement durable pose question et à plusieurs titres. C’est l’objet du premier chapitre de cette partie.

Le développement durable n’a pas le profil standard d’un savoir scientifique puisqu’il n’est pas affilié à une seule discipline. Il a émergé des impasses des deux sciences dont l’objet est l’Oïkos : l’économie et l’écologie. Ces disciplines ne sont parvenues à définir un paradigme qui leur permette de penser leur objet sans se heurter l’une à l’autre. L’économie ne parvient pas à penser la richesse et son accroissement sans prendre en compte le milieu. L’écologie ne peut pas non plus faire l’économie de l’homme et de son action sur le milieu. Le développement durable a ainsi émergé de l’impensé disciplinaire. C’est un hybride qui résulte des limites de la science moderne (MORIN E., 1990 ; LATOUR B., 1991).

Le développement durable appelle ainsi à un nouveau travail scientifique qui ne morcèle plus le savoir en discipline. Il invite à penser les objets de manière transdisciplinaire dans une approche complexe. Constitue t-il pour autant une révolution scientifique au sens kuhnien du terme (KUHN T., 1962) ? Rien n’est moins sûr. Nous verrons au travers de l’exemple de la géographie que le développement durable est récupéré par les disciplines sans parvenir à les transcender. Il reste à l’état d’un savoir pratique et contextualisé sans parvenir à trouver une cohérence théorique globale. Sans avoir atteint un certain degré d’abstraction, le développement durable reste une multiplication d’exemples sur lesquels seuls des experts peuvent se prononcer C’est ce qui l’empêche d’accéder au statut de concept. Le développement durable a un statut scientifique incertain.

Le développement durable n’est pas qu’un objet scientifique, c’est aussi un objet politique. Nous l’avons déjà montré dans la première partie. Il est donc à l’interface entre le scientifique et le politique. A cette interface, surgissent des paradoxes qui traduisent les contradictions de la notion. En proposant une nouvelle forme de travail scientifique, le développement durable contient en germe une nouvelle forme de démocratie, la démocratie participative. Cependant, en restant dans un état de notion, il laisse la part belle aux experts, seuls capables de comprendre les détails techniques des réalisations entreprises dans une perspective de développement durable. De la même manière, la contingence du développement durable occupe toute la place et nous empêche de nous poser les bonnes questions. Quelle société voulons-nous demain ? Qui va la construire ? Avec quels moyens ?

Là où le développement durable échoue, l’éducation au développement durable fait illusion mais se retrouve dans les mêmes impasses. C’est ce que nous montrerons le chapitre 7.