1. La constitution d’une science moderne

Les idées des Lumières ont libéré la culture française du poids des représentations religieuses qui l’ont imprégnée tout au long du Moyen-âge. Il était difficile à cette période, de penser le monde sans référence à Dieu présent dans toutes choses. Changer l’ordre des choses impliquait changer l’ordre du monde. Les nouvelles découvertes ébranlaient l’ensemble du système d’interprétation du monde. Son discours était impie. Au XVIIème siècle, « libérés de l’hypothèque religieuse, [les Modernes] devinrent capables de critiquer l’obscurantisme des anciens pouvoirs en dévoilant les phénomènes naturels qu’ils dissimulaient […].» (LATOUR B., 1991 (1997), p.53). Le milieu biophysique devient ainsi une réalité objective qu’il est possible de connaître et d’investiguer. C’est un objet et non une interface entre l’homme et le monde. La réalité et la connaissance qu’il est possible d’en avoir, existent en dehors de l’homme. Elles constituent une entité close. C’est aux sciences de la Nature que revient cette charge.

L’homme, le sujet, devient transcendantal. Il n’est pas objet de connaissance mais il conditionne la connaissance. C’est la distinction qu’opère Kant dans sa Critique de la raison pure entre l’objet-en-soi et le sujet transcendantal. « Ainsi dans la science d’Occident, le sujet est le tout-rien ; rien n’existe sans lui, mais tout l’exclut ; il est comme le support de toute vérité, mais en même temps il n’est que « bruit » et erreur devant l’objet » (MORIN E., 1990, p.53). Bruno Latour, (1991) dans son histoire la modernité, montre bien à travers l’histoire de la philosophie moderne que la distinction entre le sujet et l’objet s’est accentuée ensuite entre le XVIIème et le XIXème siècle. D’une distinction, c’est une séparation puis une contradiction qui se sont opérées entre l’homme et le milieu biophysique. C’est ainsi que s’opère pour l’auteur, des « secondes Lumières » qui critiquent les sciences de la nature et leurs préjugés en souhaitant distinguer les sciences de l’idéologie qui les anime. La société et l’homme deviennent objet de connaissance. C’est le second temps de la constitution de la modernité (LATOUR B., 1991). La constitution s’achève pour l’auteur avec le non modernisme et le postmodernisme qui exprime les limites de la constitution de la modernité109. Nous ne nous étalerons pas sur le postmodernisme et les discussions qui lui sont affiliées. Ce qui nous intéresse ici c’est que pour cette science moderne, le développement durable, est un entre-deux impur.

Notes
109.

Bruno Latour se définit comme un non moderne.