2. Le développement durable, un hybride

Le développement durable est un hybride ou quasi-objet (LATOUR B., 1991). L’auteur désigne ainsi toutes les formes de la connaissance qui mélangent le milieu biophysique et l’homme et la société. Ces hybrides se situent entre le pôle du milieu biophysique et le pôle homme/ société, qui structurent la science moderne comme l’illustre la figure ci-dessous.

Figure 59 : La localisation des hybrides
Figure 59 : La localisation des hybrides (D’après LATOUR B., 1991 (1997), figure 4, p.74)

Ce schéma est adapté du travail de Bruno Latour. Nous avons remplacé le terme de Nature par celui de « milieu biophysique » et le terme de culture par « homme/société » pour la cohérence de notre propos. L’auteur donne plusieurs exemples d’hybrides comme l’ADN, le SIDA. Ce sont des objets qui ne peuvent être pensés au travers de l’unique prisme du milieu biophysique ou de l’homme et de la société. Le SIDA est certes un virus qui peut être expliqué aux moyens d’expériences en laboratoire et pour lequel on peut trouver des traitements. Néanmoins, on ne peut pas traiter toutes les problématiques qui lui sont liées sans faire appel aux questions sociales, culturelles et économiques affiliées. Derrière le SIDA émerge la problématique de l’accès aux soins, de la pauvreté, des représentations sociales qui entourent la maladie… On peut faire le même genre de remarques sur le développement durable qui convoque, tant des éléments du milieu biophysique que d’autres éléments économiques, sociaux, culturels, techniques…

Les savoirs qui se situent à chacun des pôles (milieu biophysique et homme/société) de la modernité sont des formes pures. Ces savoirs sont issus du travail scientifique de séparation et de purification de la réalité. La distinction entre le milieu biophysique (ou objet) d’une part et l’homme et la société (ou sujet) d’autre part, nécessite que toute réalité soit, au préalable, divisée en deux entités. Ces entités sont ensuite réduites en unités élémentaires pouvant être traitées par des disciplines spécifiques. Cette division scientifique de la connaissance conduit à diviser l’étude d’un même objet. L’homme est ainsi l’objet de la sociologie, de la psychologie, de l’histoire, de l’anthropologie, de la biologie… Cette organisation du travail scientifique a contribué à un incroyable progrès de la connaissance au cours du XXème siècle. La dérive qui en découle, c’est la fragmentation de cette connaissance. Chaque scientifique n’est compétent que dans la portion de la connaissance qu’il a explorée. C’est la thèse défendue par Max Weber en 1919 dans Le savant et le Politique. Il n’est plus possible d’avoir une vision d’ensemble des objets étudiés (MORIN E., 1990). Le paradigme scientifique est donc simplificateur et réducteur, ce qui est problématique. Or depuis Descartes, il est établi que « le tout est plus que la somme des parties. » Une partie de la réalité ne peut donc être appréhendée par une division disciplinaire de la Science.

Les hybrides font partie de cette impensée. Ils ne peuvent être qu’ « un mélange de formes pures » (LATOUR B., 1991 (1997), p.105). Ils ne peuvent pas être pensés en dehors de ces formes qui structurent la science. La modélisation graphique (figure 4) du développement durable en trois sphères est l’illustration d’un mélange de formes pures. Il permet d’aborder le développement durable par le biais de trois formes de connaissances identifiables et qu’il est possible de relier à une ou plusieurs disciplines : l’environnement, l’économie, le social. D’ailleurs, sur le schéma extrait de Wikipédia il est très significatif que la sphère environnementale ne soit pas nommée « environnement » mais « écologie ». La substitution est signifiante. L’environnement, c’est d’abord et avant tout l’objet de l’écologie et non pas des sciences physiques, de la géologie, de la géographie physique… Le développement durable est un hybride qui résulte de l’incapacité des sciences de l’écoumène, la Géographie, l’économie et l’écologie, à penser le lien homme-société-milieu biophysique.