b) Vers une redéfinition du travail scientifique

1) Le dialogue des disciplines

Edgar Morin (1990) propose de structurer ce nouveau travail scientifique autour de deux opérations, la distinction d’une part, la conjonction d’autre part. Chaque discipline explore tout d’abord la partie de la question qui le concerne mais le concept ou la théorie ne se constitue que dans le dialogue entre disciplines.

Ce dialogue interdisciplinaire est d’abord une confrontation des apports disciplinaires. De cette confrontation peut résulter des contradictions. Chaque discipline se défait alors d’une partie de son bagage, abandonnant dans le dialogue certains acquis ou postulats incohérents avec les apports d’autres disciplines sur la question. Leur maintien rendrait la constitution de l’objet impossible. Le dialogue disciplinaire est une mise à distance des savoirs disciplinaires établis. C’est un travail de déconstruction des savoirs. L’objet en construction, ici le développement durable, est donc inférieur à la somme des savoirs disciplinaires.

La seconde étape de ce dialogue est une phase constructive. Il s’agit de faire interagir les apports disciplinaires pour créer un nouvel objet qui a une optique de développement durable. On qualifie fréquemment l’objet nouveau de « durable » pour signifier son rattachement au développement durable. Ont ainsi été créés la ville durable, l’agriculture durable, les transports durables… L’objet en construction, est alors supérieur à la somme des savoirs disciplinaires.

Le développement durable est possible dans le cadre d’un dialogue interdisciplinaire pensé comme une distinction et une conjonction des savoirs disciplinaires déjà constitués. Ce nouveau travail scientifique ne s’inscrit plus dans le cadre de la science moderne. Est-il postmoderne ? Certainement pas au sens latourien (LATOUR B., 1991) du terme puisque la postmodernité obéit à la constitution de la modernité. Ce nouveau travail est-il non moderne ? C’est probable. On pourrait le situer sur l’axe non moderne du schéma de la constitution moderne de Latour (Cf. figure 60). Ce nouveau travail scientifique permet en effet de penser les hybrides. Il s’inscrit dans le cadre d’un nouveau paradigme scientifique, celui de la pensée complexe