c) Le développement durable est-il hologrammatique ?

Le principe hologrammique se construit en miroir «  la partie est dans le tout et le tout est dans la partie ». Pour pouvoir démontrer l’adhésion du développement à ce principe, nous allons le décomposer. La discussion ne portera pas sur l’usage actuel de la notion de développement durable. Il ne s’agit pas d’établir si le développement durable est employé de manière hologrammatique dans les sphères sociales et scientifiques mais de savoir s’il peut l’être.

Analysons d’abord la première partie du principe : « la partie est dans le tout »

Le développement durable se situe à l’intersection de l’économique, du social et de l’environnemental (Cf. la modélisation graphique de la notion en figure 4). Néanmoins, il n’englobe pas l’intégralité des savoirs économiques, sociaux et environnementaux et sciences qui organisent ces savoirs. Le développement durable se compose de portions (ou parties) de différents champs disciplinaires. Chacune de ces parties est nécessaire mais non suffisante. L’intersection de deux des trois sphères du développement durable conduit vers un autre type de développement ; viable, vivable ou équitable (Cf. figure 4). Le développement durable n’est possible que si les parties sont dans le tout. C’est un de ses principes fondateurs. Qu’en est-il de la réciproque ?

« Le tout est dans la partie » implique que la globalité de l’entité est présente dans chacune des parties qui la composent. Là encore, c’est un principe constitutif. Sur le plan théorique, le développement durable doit pouvoir s’inscrire dans les différents paradigmes disciplinaires qui le composent pour pouvoir se constituer. C’est le premier temps du nouveau travail scientifique (la distinction). Dans la réalité, la notion est aujourd’hui prise en charge par différentes disciplines scientifiques. Le travail scientifique consiste le plus souvent à fragmenter la notion de développement durable pour ne traiter que ce qui entre dans le cadre du paradigme scientifique de la discipline concernée. Ce qui montre bien que dans le cadre du paradigme de la science moderne, le développement ne peut pas exister en tant que tel. La notion se conforme tout à fait au principe hologrammatique sur un plan théorique.

Le caractère systémique et pluridimensionnel du développement durable assure son adhésion aux trois principes de la complexité. Il est dialogique, récursif et hologrammatique. Il tolère la juxtaposition de l’ordre et du désordre en son sein et la présence d’incertitudes et de contradictions. Le dernier pas à franchir pour que le développement durable s’inscrive pleinement dans le cadre de la pensée complexe, est qu’il soit un système auto-éco-organisation. Ce principe a été passé volontairement sous silence parce qu’il sera traité ultérieurement.

Le développement durable pourrait prendre place dans le cadre d’un nouveau paradigme scientifique, au sens latourien du terme. Ce paradigme est celui de la complexité dont Edgar Morin résume ici l’esprit.

‘«  La pensée de la complexité, on le voit, n'est nullement une pensée qui chasse la certitude pour mettre l'incertitude, qui chasse la séparation pour mettre l'inséparabilité, qui chasse la logique pour s'autoriser toutes les transgressions. La démarche consiste, au contraire, à faire un aller-retour incessant entre certitudes et incertitudes, entre l'élémentaire et le global, entre le séparable et l'inséparable. Il ne s'agit pas d'abandonner les principes de la science classique - ordre, séparabilité et logique - mais de les intégrer dans un schéma qui est à la fois plus large et plus riche. Il ne s'agit pas d'opposer un holisme global et creux à un réductionnisme systématique ; il s'agit de rattacher le concret des parties à la totalité. Il faut articuler les principes d'ordre et de désordre, de séparation et de jonction, d'autonomie et de dépendance, qui sont à la fois complémentaires, concurrents et antagonistes, au sein de l'univers 113  » (MORIN E., 2008)’

Le développement durable trouverait alors la place qu’il ne peut pas trouver au sein de la constitution de la modernité. Dans le paradigme scientifique actuel, c’est un hybride situé dans un espace intermédiaire entre le pôle du milieu biophysique et celui de l’homme et de la société. Il est dans un impensé, discipline que l’écologie et l’économie ne peuvent pas prendre en charge de manière isolée sans se heurter aux limites de leurs frontières disciplinaires. Au centre d’une controverse scientifique entre la durabilité forte et la durabilité faible, il ne peut ainsi pas accéder au statut de concept. Paradoxalement, de nombreuses sciences modernes candidatent à la porte du développement durable pour le prendre en charge. Nous allons voir au travers de l’exemple de la géographie que le développement durable reste à l’état d’exemples, de faits ponctuels que l’épistémologie disciplinaire ne parvient pas à théoriser.

Notes
113.

MORIN E., Pour une réforme de la pensée, texte disponible le 28 janvier 2008 à :

http://college-heraclite.ifrance.com/documents/r_actuels/em_reforme.htm