a) Une lecture environnementaliste du développement durable

Les géographes ont le plus souvent, une lecture environnementale du développement durable. Ils ancrent la notion dans l’histoire longue de la prise en charge de l’environnement par la géographie et par l’écologie, établissant un parallèle fort dans l’évolution de ces deux disciplines. Trois géographes (VEYRET Y., 2005 ; LEFORT I., 2005 ; MANCEBO J.-F., 2006) ont tenté une épistémologie de la notion. Les chemins pris ne sont par tout à fait les mêmes mais l’idée directrice est constante : la géographie est précurseur en matière de développement durable. Pour défendre cette thèse, les auteurs réalisent un parallèle entre la géographie et l’écologie.

Yvette Veyret (2005) attribue l’origine du développement durable à Rousseau qui a mis en relation la société, la nature et les ressources (ROBIC M.-C, 1992). La relation Homme/nature est alors définie comme destructrice et perturbatrice. Dans la lignée de Rousseau, l’auteur inscrit le mouvement conservationniste américain puis l’école de Ratzel en Allemagne et celle de Berckley qui mesurait les transformations écologiques de l’environnement sous l’action des sociétés. En France, elle souligne que les géographes restent plutôt en dehors de la réflexion à l’exception de Jean Bruhnes dans son Principes de géographie humaine de la France (1910) et d’Elisée Reclus qui défend une vision romantique de la Nature et insiste sur le rôle de l’homme dans les dégradations du milieu. Un peu plus tard, Max Sorre dans son premier tome des fondements de la géographie humaine (1943) inscrit la société dans un « complexe pathogène » d’où sont issus les dangers qui menacent la société. Yvette Veyret finit d’ancrer la réflexion environnementale au sein de la géographie en la définissant comme un résultat de la crise que connait la géographie physique depuis les années 1950. Ce sont Pierre Georges avec son ouvrage sur L’environnement (1971), Jean Tricard avec sa Géomorphologie applicable et Georges Bertrand avec sa théorie des géosystèmes qui sont mis en avant.

Ainsi Yvette Veyret fait de la dénonciation des dégradations environnementales et la prévision de l’épuisement des ressources naturelles, les éléments sur lesquels s’est construit le développement durable. Elle place l’émergence du débat à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, ce qui donne à la géographie et à l’écologie la primauté de la réflexion. C’est un moyen de revendiquer et de légitimer la prise en charge du développement durable par la géographie et plus particulièrement par la géographie physique toujours à la recherche d’un paradigme²².

Isabelle Lefort (2005) suit un raisonnement similaire sans ancrer le développement durable du côté de la géographie physique. L’auteur situe l’origine de la notion à la fin du XIXème siècle et au début du XXème dans l’école vidalienne de la géographie et dans sa conception naturaliste des problématiques sociales (PELLETIER Ph., 1993). Je ne reviendrai pas sur Vidal de la Blache dont les théories ont déjà été expliquées précédemment. Isabelle Lefort relève les nombreuses références à l’écologie présentes dans le corpus vidalien. Entre un tiers et la moitié des premiers articles des Annales de géographie relèvent de l’écologie ou de la géographie des plantes. La démarche analytique engendre une rupture dans le paradigme vidalien car elle sépare ce qui était associé sur le plan théorique : le milieu biophysique, l’homme et la société. C’est ce qui explique que les géographes soient passés à côté du concept d’écosystème dans les années 1930. D’une part la démarche est sectorielle et ne porte que sur le milieu biophysique. D’autre part, l’écosystème ne spatialise pas les phénomènes. Or c’est justement l’espace qui devient de l’objet de la géographie à partir des années 1950 avec l’émergence de l’aménagement du territoire et d’une politique de gestion des espaces naturelles. Bien que les apports de l’écologie à la géographie soient marginalisés dans les années 1960 (à l’exception de Georges Bertrand) au profit d’autres types d’approches, la géographie se recentre sur l’écologie dans les années 1970, dans le contexte de la prise conscience internationale des problèmes environnementaux.

Yvette Veyret et Isabelle Lefort s’inscrivent dans la lignée des travaux de Marie Claire Robic (1992) qui a travaillé à une épistémologie de l’environnement. Inscrire l’histoire du développement durable dans celle de l’environnement, c’est cohérent à l’échelle de la géographie. Au regard de l’histoire de la discipline, il semble y avoir un lien direct entre le développement durable et l’environnement. En revanche, en observant la notion à une échelle méta, la filiation n’est plus aussi franche parce le développement durable s’inscrit dans la lignée des théories du développement. On ne peut donc pas raccrocher la notion uniquement au milieu biophysique. Le développement durable est un hybride de la modernité. Il se situe dans un espace intermédiaire entre le milieu biophysique et l’Homme/société. C’est un impensé de l’écologie et de l’économie. Avoir une lecture strictement économiste du développement durable soulève les mêmes remarques.