b) Une lecture économiste du développement durable

Le pendant d’une entrée écologique du développement durable est développementiste, raccrochée au pôle homme/société de la modernité. Le développement durable s’inscrit alors dans la lignée des théories du développement dont il corrige les erreurs ou les abus. C’est ainsi qu’il est défini dans le dictionnaire d’Yves Lacoste: « Le développement durable consiste, quant à lui, à prendre en compte le long terme et la protection de l’environnement dans le processus d’accroissement des richesses et d’amélioration des conditions de vie des populations.[…]Il s’agit d’une stratégie globale de développement qui combine la protection de l’environnement avec la lutte contre la pauvreté, la création d’activités économiques, des services et d’infrastructures et la mise en place d’une gouvernance locale, régionale et nationale.» (Lacoste Y., 2003,p. 247-248). Le développement durable est ici un processus de croissance économique. Certes cette croissance a une dimension qualitative. Elle prend en compte le milieu biophysique et vise une amélioration de la qualité de vie de la population. L’affiliation au développement est explicite : le développement durable est « une stratégie globale de développement ».

Il n’est pas étonnant que les géographes s’inscrivent dans une perspective développementiste du développement durable. C’est un héritage de l’histoire de la discipline. Cette filiation découle de l’histoire de la géographie. Dans les années 1960, ils « ont contribué à la connaissance des éléments du sous-développement : bas niveau de vie, faible espérance de vie, analphabétisme, prédominance de l’agriculture » (BRUNET R., 1993, p. 157). Deux écoles ont investi plus particulièrement ce champ : la géographie tropicale dans les années 1950 sous l’égide de Pierre Gourou et la géopolitique sous la direction d’Yves Lacoste. Seule la seconde s’inscrit vraiment dans le paradigme développementiste. La première a adhéré à une vision vidalienne de l’évolution des sociétés. Le développement durable s’inscrit dans la continuité des travaux menés antérieurement en géographie, sur le développement ou plutôt sur le sous-développement. Ces travaux ont été réalisés sans que « les géographes [participent aux] controverses qui ont traversé les sciences sociales (…) » Sur le plan épistémologique, il n’y a pas eu d’analyse critique en géographie des fondements du concept de développement. De la même manière, il n’y en a pas aujourd’hui sur le développement durable. Le clivage au sein de la géographie entre une durabilité faible et une durabilité forte reflète celui qui oppose la géographie physique et la géographie humaine.

La géographie est traversée par un clivage profond (milieu biophysique/ homme et société) qui ne permet pas à la discipline d’entamer une réflexion solide sur l’épistémologie du développement durable et de mobiliser la notion au sein de son champ disciplinaire. Pourtant, l’urbanisme et l’aménagement du territoire constituent des champs d’application du développement durable. Sans réflexion théorique, l’application du développement durable en géographie n’est pas homogène et cohérente.