b) Une responsabilité instrumentale et minimaliste

Le principe de responsabilité individuelle, pris de manière isolée, sous-tend une responsabilité minimaliste et instrumentale, c'est-à-dire que l’environnement n’est pas une valeur en soi mais a une valeur pour les usages qu’il offre.

‘« Associée aux notions de civisme et de comportement, il semble que la responsabilité soit ici considérée dans sa dimension légaliste, celle d’un univers de « droits et devoirs », qui peut donner lieu à diverses interprétations et dérives. Dans cette conception étroite de la responsabilité, qui associe cette dernière à la prudence, au respect à l’application de règles, on retrouve une « responsabilité de surface », instrumentale. On y reconnait les caractéristiques de la modernité, avec sa visée individualiste et anthropocentriste » (SAUVE L., 2001 in SAUVE L. et VILLEMAGNE C., 2003, R. 118).’

Cette responsabilité n’est pas celle dont parle Hans Jonas (1979). Ce n’est pas une responsabilité globale, intégrale qui s’étend à l’être, aux savoirs et à l’agir. La responsabilité individuelle ainsi impulsée par l’EDD ne permet pas et ne repose pas non plus sur une responsabilité dans les savoirs : tout est en effet imposé et non construit et conscientisé librement. En effet, l’éducation au développement durable se structure sur un modèle transmitif de la connaissance selon lequel les apprentissages se réalisent par une diffusion de la connaissance de celui qui sait vers celui qui apprend. C’est ce que nous avons établi dans le chapitre 2. Les savoirs mobilisés par l’EDD, ne sont donc pas co-construits ni même soumis à la critique. La responsabilité de savoir n’est pas possible et par effet domino, celle de l’agir non plus car « la responsabilité de l’agir suppose la responsabilité de savoir » (op.cit., R.119). On ne peut être responsable de ses actes qu’en connaissance de cause. Le savoir est la pierre angulaire de l’action. Dans la perspective du développement durable, la responsabilité de l’agir se heurte en outre immédiatement à un second obstacle, celui du collectif.

La mise en œuvre d’une responsabilité individuelle ne permet pas de constituer un collectif. Ce dernier ne peut pas résulter de la simple addition des individus. « Le tout est plus que la somme des parties ». L’émergence du collectif nécessite l’agrégation des individus et pas seulement leur juxtaposition. L’écocivisme ne permet pas cette agrégation car il se construit sur une relation univoque individu/environnement comme l’illustre le schéma ci-dessous.

Figure 69 : La relation individu/environnement dans l’écocivisme
Figure 69 : La relation individu/environnement dans l’écocivisme

Les relations entre les individus entre eux sont totalement absentes de cette configuration. Chaque individu entretient un rapport personnel avec l’environnement et s’engage au travers des écogestes mais la communauté en tant qu’acteur à part entière est absente ou implicite. Il y a donc un désengagement de la sphère collective ce qui constitue une limite forte à la responsabilité envers l’environnement, même si par ailleurs il y a des politiques menées au nom de collectifs (état, communes…). Il y a un certain nombre de questions qui ne peuvent pas trouver de solutions à l’échelle individuelle. Prenons l’exemple de l’usage de la ressource en eau. Diminuer notre consommation quotidienne d’eau en réduisant les pertes ou les usages inutiles, contribue à améliorer la situation mais ce sont l’industrie et l’agriculture qui sont les deux grandes consommatrices d’eau. A l’échelle individuelle, le citoyen, ici le consommateur, ne peut pas agir. Il n’en a pas le pouvoir. Il n’en a pas non plus la possibilité. Le consommateur ne peut par exemple pas choisir ses achats entre en fonction de la quantité d’eau nécessaire pour fabriquer un produit, ce critère ne figurant pas sur les produits en vente. Se limiter à une responsabilité individuelle empêche la responsabilité collective de se constituer. Il me semble même que cela peut aboutir de manière contreproductive à un désengagement sociétal. Il ne peut sembler inutiles de prendre des mesures législatives fortes puisque les solutions se situent dans l’action individuelle. C’est ce qui conduit aujourd’hui à rédiger des lois en matière de droit de l’environnement qui ne sont pas contraintes mais plutôt incitatives. On peut par exemple bénéficier d’avantages fiscaux pour des travaux qui permettent d’économiser l’énergie mais les propriétaires ne sont pas obligés de le faire. En clair, en matière de développement durable, on peut faire, plus qu’on n’est obligé de faire.

Le fondement éthique sur lequel repose le développement durable est ainsi rendu problématique. En se centrant sur l’individu, on circonscrit et on borne la responsabilité à la personne et à ses actes. On courcircuite ainsi le collectif. La responsabilité des uns s’arrête où commence celle des autres, principe déjà cher à Rousseau. Le pouvoir d’action individuelle est d’autant plus limité que certaines questions ne peuvent être abordées et prises en charge qu’à une échelle macro, sociétale voire internationale. Le principe de responsabilité individuelle est donc superficiel et instrumental. C’est le reflet d’une société issue de la Modernité, telle que postule le développement durable. Paradoxalement, la notion de développement durable contient l’idée d’une solidarité intergénérationnelle. La responsabilité individuelle est mise en œuvre au nom d’une responsabilité future. On retrouve ici un des principes de la responsabilité d’Hans Jonas (1979). Mais finalement, ce sont les enfants qui portent la responsabilité.